Le Boycott de Lexington : Bill Russell mène la charge contre le racisme en 1961

Le 17 oct. 2023 à 08:30 par David Carroz

Bill Russell, leader du Boycott de Lexington
Source image : Youtube - CLNS Media Boston Sports Network

Le 17 octobre 1961, Celtics et Hawks doivent se retrouver en match de pré-saison du côté de Lexington dans le Kentucky. Mais face à la ségrégation subie par les joueurs afro-américains au moment de prendre leur repas, ce qui aurait dû être une banale rencontre amicale va aboutir à un moment fort de l’histoire de la NBA : le boycott de Lexington.

Nous avons tous en tête le refus de jouer des Bucks lors de la bulle d’Orlando en 2020 pour réagir aux violences policières et à l’affaire Jacob Blake. Un boycott suivi par les autres franchises et soutenu par la NBA – mais aussi d’autres ligues majeures aux États-Unis. Si on espère qu’une telle action ne sera plus jamais nécessaire, elle n’est pas la première dans l’histoire de la NBA. En 1959, Elgin Baylor a ouvert les hostilités en refusant de jouer contre les Cincinnati Royals à Charleston après avoir dû quitter l’hôtel où logent ses Minneapolis Lakers, celui-ci n’accueillant pas les clients afro-américains. Mais les choses n’évoluent pas vite aux États-Unis. C’est un mur raciste similaire que se mangent des joueurs des Celtics et des Hawks en 1961.

Un match à Lexington ? Quelle bonne idée…

Dans sa volonté de toucher un public plus large – à l’instar de ce qu’elle fait aujourd’hui avec des rencontres à l’international – la NBA délocalise certains matchs. Profitant de la présence de deux anciennes stars des Wildcats de Kentucky – Frank Ramsey dans le roster de Boston et de Cliff Hagan au sein de celui de St. Louis – le ligue organise un match de préparation à Lexington. Dans le Kentucky donc. Deux joueurs connus dans le coin + une affiche entre les deux derniers finalistes NBA = de quoi toucher un peu de monde. Le public répond d’ailleurs présent, les places s’étant très bien vendues.

Oui mais voilà, Lexington est une ville au sud de la ligne Mason-Dixon. Un lieu pas forcément réputé pour son ouverture d’esprit sur les questions raciales. La fac de Kentucky a beau être une place forte du basketball universitaire, leur coach Adolph Rupp traîne aussi une réputation peu glorieuse sur l’intégration de son équipe. Il faut d’ailleurs attendre 1969 pour voir le premier Afro-américain chez les Wildcats. La NBA elle-même n’est pas exempte de critiques. La fin de la ségrégation dans la ligue n’a qu’une décennie derrière elle. Sur les années qui ont suivi cette ouverture, une forme de quota sur le nombre de joueurs afro-américains dans chaque équipe persiste.

Parmi les franchises pionnières et les plus tolérantes, les Boston Celtics. Entre la Draft du premier Afro-américain – Chuck Cooper – en 1950, le passage de Don Barksdale quelques saisons plus tard et la présence en 1961 de Bill Russell, K.C. Jones, Sam Jones, Snatch Sanders et du rookie Al Butler, le propriétaire Walter Brown et le coach Red Auerbach ne se soucient guère de la couleur de peau de leurs joueurs. S’ils sont bons, ils ont leur place. Et ils sont traités de la même façon que les autres. Malheureusement, tout le monde ne partage pas ce point de vue chez l’Oncle Sam.

Les origines du boycott de Lexington

La preuve à Lexington donc. Les Celtics s’installent dans le Phoenix Hotel. Sam Jones et Snatch Sanders décident d’aller manger un bout au bar de l’établissement et se font recaler. Ils ont beau insister en expliquer qu’ils squattent à l’hôtel, la serveuse ne revient pas sur son un refus. Sam Jones se remémore la réponse prise de plein fouet :

“Je suis désolée mais on ne sert pas les nègres.”

Humiliés et choqués, ils retournent furax dans leur chambre et veulent se barrer au plus vite. Ils tombent alors sur K.C. Jones et Bill Russell à qui ils racontent la scène. Dire que cela ne plaît pas à Billou est un euphémisme, lui qui a prévenu sa direction quelques années plus tôt lorsqu’il s’était vu refuser l’accès à un hôtel à Charlotte : la prochaine mésaventure de la sorte, il ne jouera pas. Et il tient parole. Accompagné des autres Afro-américains des Celtics, il se rend dans la chambre de Red Auerbach. En voyant débarquer ses joueurs, il comprend tout de suite qu’il y a un problème. S’il tente de calmer le jeu et obtient des excuses du proprio de l’hôtel et même la possibilité de manger gratuitement, le mal est fait. Bill Russell ne compte pas revenir sur sa décision. Le changement d’avis de l’hôtel n’est pas sincère. Juste une réponse à la colère d’Auerbach. Et dès qu’ils auront quitté Lexington, l’établissement pourra poursuivre sa ségrégation – bien que le propriétaire se défend, disant qu’il s’agit d’une incompréhension (mais bien sûr) et que son établissement ne pratique pas de politique discriminatoire.

“J’ai dit à Red que nous partions, se rappelle Bill Russell en 2013 au sujet de l’incident. Parce que c’était important pour moi que tout le monde, partout, sache que les joueurs noirs décident de se défendre.”

Hawks et Celtics, pas le même combat

Bien qu’en désaccord avec le choix de ses joueurs, Red Auerbach accepte cette décision. Il les conduit lui-même à l’aéroport pour qu’ils puissent rentrer à Boston. Une fois arrivée dans le Massachusetts, une surprise les attend. L’affaire s’est ébruitée et du monde est venue les accueillir se souvient Sam Jones :

“Il y avait une foule à l’aéroport. Surtout des Blancs. J’ai trouvé ça sensas. Cela faisait du bien de voir ces gens nous apporter leur soutien.”

Bill Russell pour sa part s’assure que le message est bien passé en gérant le service après-vente auprès des journalistes :

“Nous devons montrer que nous désapprouvons ce genre de traitement, sinon le statu quo prévaudra. Nous avons les mêmes droits que n’importe qui d’autre et nous méritons d’être traités en conséquence. J’espère que nous n’aurons plus jamais à subir ce genre d’abus. Mais si cela se produit, nous n’hésiterons pas à prendre encore une fois les mêmes mesures.”

Malgré une rotation des C’s réduite à sept joueurs, le match s’est joué. Pour une victoire anecdotique des Hawks 128 à 103. Frank Ramsey, le régional de l’étape est dans la lignée du soutien de l’institution des Celtics. Le propriétaire Walter Brown regrette que le match ait été maintenu. Il déclare qu’ils ne joueront plus dans les villes du Sud où ses joueurs ne seront pas traités de la bonne façon. Ramsey, quant à lui, présente ses excuses :

“Aucune personne avec un cerveau dans le Kentucky n’est ségrégationniste. Je ne peux pas vous dire à quel point je suis désolé, en tant qu’être humain, en tant qu’ami des joueurs impliqués et en tant que résident du Kentucky, de l’embarras de cet incident.”

Du côté de St. Louis, le son de cloche est bien différent. Deux joueurs des Hawks – Woody Sauldsberry et Cleo Hill – connaissent le même traitement au restaurant. Ils suivent Russell et boycottent le match après avoir échangé avec lui. Silence complet au sein de la direction de la franchise. Pire, difficile de se contenter de voir uniquement une coïncidence dans le trade quelques semaines plus tard de Sauldsberry. Et encore pire pour le rookie Cleo Hill qui vit une saison cauchemardesque. Pourtant annoncé comme un phénomène, il est mis à l’écart par ses coéquipiers . Deux franchises, deux ambiances. Et un combat commun pour tous les Afro-américains de la NBA souligné par ce boycott de Lexington.