Coupe du Monde 1990 : la Yougoslavie, première “vraie” Dream Team de l’histoire ?

Le 21 août 2023 à 10:13 par Gaspard Devisme

Yougoslavie 1990. 14/07/23
Source image : Youtube

Retour sur l’une des équipes les plus marquantes de l’histoire la Coupe du Monde. Un pays et une équipe d’un autre temps, constituée de joueurs venus… d’ailleurs.

Un peu de contexte

Août 1990, les plus grandes nations du basketball mondial se donnent rendez-vous en Argentine pour en découdre. Parmi elles la Yougoslavie, doublement titrée en 1970 et 1978. Douze ans après son dernier sacre et vice-Championne Olympique en titre, la bande des Balkans se rend en Amérique du Sud pleine d’ambitions. Quand les leaders du groupe se nomment Drazen Petrovic, Vlade Divac et Toni Kukoc, comment ne pas être rempli de motivation ? Le premier nommé a été élu MVP du dernier Mondial à seulement 21 ans, le suivant commence à faire son trou en NBA chez les Lakers, tandis que le troisième roule sur l’Europe avec le Jugosplatika Split. La légende raconte que le club battait tous ceux qui n’arrivaient pas à prononcer son nom. Résultat ? Triple Champion d’Europe entre 89 et 91.

La Yougoslavie aborde alors la compétition argentine avec l’or dans le viseur. Toni Kukoc, et un paquet d’autres cerveaux du basket européen, s’ajoutent à la paire Petrovic – Divac pour emmener haut le basket Yougoslave. Parmi les lieutenants, un certain Zeljko Obradovic, champion de Yougoslavie en 1987, devenu par la suite l’un des plus grands coachs européens de l’histoire. Les génies des Balkans ne le savent pas encore, mais c’est là leur dernière opportunité de briller ensemble.

Symbole d’une ère nouvelle se présentant, Drazen et Vlade ont déjà commencé à montrer leur talent outre-Atlantique. Bon, ce n’est vraiment que le début. Le premier est en galère à Portland et ne joue presque pas tandis que le second joue les back-ups à L.A. Alors quoi de mieux qu’une compet’ en mondovision pour rappeler à l’Europe qu’on existe, et montrer aux US qu’il serait temps de nous filer plus que des miettes ? Rien.

La ruée vers l’or

Pour les Yougos, la compétition commence face à Porto Rico, au Vénézuéla et à l’Angola. Une entrée toute en légèreté pour le mastodonte européen, sur le papier. Tranquillement vainqueurs des Sud-américains puis des Africains, les troisièmes du Mondial 86 sont bien plus embêtés par le pays caribéen. Quand je pense à Porto Rico, je pense d’abord à Sucre dans Prison Break, mais quand on associe à l’île américaine le mot “basketball”, il faut bien penser à… José Ortiz. Le FIBA Hall of Famer claque ce jour-là 23 points et mène les hispanophones vers une victoire 82-75.

19, 23 et 10, ce sont les écarts lors des trois matchs de la seconde phase de groupes pour Petrovic et compagnie. Amis Brésiliens, Soviétiques et Grecs, merci d’être passés, merci aussi de laisser la place aux basketteurs. On caricature bien sûr, mais la team yougoslave de 1990 c’est un concentré de génie et de technique, un orchestre où chacun serait né avec sa partition entre les mains.

 

La Yougoslavie est en demi-finale, à la surprise de… personne. Pour les accompagner, parce que oui il faut bien quatre équipes pour jouer des demi-finales, les Américains, les Soviétiques et les surprenants Portoricains se présentent aux portes de la finale. Tandis que les deux derniers nommés s’affrontent, les Ricains, deuxièmes de leur poule, se frottent à la bande yougoslave. Aussi talentueux soient-ils (Kenny Anderson, Chris Gatling, Christian Laettner, Alonzo Mourning…), les jeunes joueurs de Mike Krzyzewski n’ont jamais touché au monde professionnel. Impossible alors de rivaliser avec des joueurs qui ont déjà massacré l’Europe et commencent même, pour certains, à prendre leurs marques aux US. Jamais les États-Unis n’ont pu espérer quoi que ce soit face à un Drazen Petrovic des grands soirs (31 points dont 6 bombes du parking). Ah oui, vous ne lui faîtes pas confiance en NBA ? Vous direz surtout merci à Portland de l’avoir énervé.

Même l’expulsion pour 5 fautes de Vlade Divac ne change rien au scénario du match… 99-91, à qui le tour ? Tombeuse du poil à gratter portoricain, l’Union Soviétique a un titre à reconquérir après sa défaite en finale en 1986, et une revanche à prendre après la claque du second tour.

Largués de 23 points quelques jours avant, ce sont les Soviétiques qui font donc face à la Yougoslavie en finale. Contexte géopolitique mis de côté, les deux géants européens se donnent rendez-vous à Buenos Aires pour une bataille sportive. L’affiche est belle, la Yougoslavie l’est encore plus. Les 18 et 14 points de Petrovic et Kukoc accompagnent la sortie du bois de Zarko Paspalj (20 points) pour une victoire 92-75. 18 points d’écart dès la mi-temps, le titre n’était qu’une formalité pour ce groupe que les JO 1992 auraient tellement du confronter à la Dream Team.

“Quand les JO de Barcelone approchaient, nous pensions tous que cette équipe aurait pu avoir sa chance contre la Dream Team. Ce n’est pas réaliste car la Dream Team venait vraiment d’un autre monde, mais nous pensions que nous pouvions les mettre en difficulté.” – Igor Malinovic, auteur sur le basketball des Balkans.

Une équipe mythique, un trio légendaire

Une nation qui a donné naissance à six pays c’est assez paradoxal, mais ça n’a pas empêché les basketteurs des Balkans de s’entendre autour d’un intérêt commun : la balle orange. Si la relève, et ses principaux protagonistes Nikola Jokic et Luka Doncic, commence à sérieusement discuter, la Yougoslavie de 1990 c’est un condensé de ce que la région faisait de mieux. Le mieux en question ? Trois joueurs qui ont construit le pont, plus que jamais utilisé, entre le Vieux Continent et la National Basketball Association : Kukoc, MVP de la compétition, Petrovic, dont le surnom “Mozart” se suffit à lui-même, et le Serbe Divac à l’aube d’une carrière NBA de 16 ans. Les deux croates n’attendront pas beaucoup plus longtemps pour faire suer la Grande Ligue à leur tour. Toni arrive en 1993 et sera triple champion avec Chicago, Drazen n’aura besoin que de quelques mois pour lancer un ouragan offensif avec les Nets, aussi violent que sa disparition trois ans plus tard.

“Drazen en avait mis quelque chose comme 40 à Jordan, et il attaquait Jordan du genre, ‘C’est rien. Donnez moi la balle, je suis chaud. Je le joue.’” – Kenny Anderson à propos de Drazen Petrovic dans le documentaire Once Brothers

Si leurs accomplissements sont mythiques, c’est peut-être justement ce qu’ils n’ont pas fait qui les a véritablement inscrit dans la légende. Entre les différentes proclamations d’indépendance en ex-Yougoslavie en 1991/1992 et la brouille Divac – Petrovic, l’équipe n’aurait quoiqu’il arrive pas pu cohabiter beaucoup plus longtemps. Des regrets éternels, peut-être plus encore pour nous que pour eux. Beaucoup de “itche“, quelques “etche”, un paquet d’inconnus, mais surtout trois icônes sans qui la Dream Team 92 n’aurait pas eu à voir le jour pour redorer le blason de Tonton Sam. Merci pour ça.

“Quand vous formez cette équipe, c’est une sorte de miracle du basketball.” – Vjekoslav Perica, historien croate, au sujet de ce qu’aurait donné l’équipe yougoslave aux JO 1992

La rupture entre les peuples yougoslaves du début des années 90 et le drame Drazen Petrovic en 1993 mettent fin à une ère du basketball européen, sans entraver le début d’une nouvelle dont les résultats sont bien visibles aujourd’hui. Et si des joueurs comme Jokic ou Doncic peuvent gravir le mont NBA, c’est sans aucun doute grâce aux premiers de cordée.

Sources : Basket Mag, Basketball Network, Basketball Reference, Basket Retro, FIBA, Vice