Les règles folles du basketball en Corée du Nord : bienvenue chez Kim Jong-un, où un dunk vaut 3 points et les tirs clutch valent 8 points

Le 18 mars 2022 à 12:37 par Bastien Fontanieu

Corée du Nord basketball
Source image : Youtube - Vice

Si vous pensiez que le basketball se jouait partout de la même manière… détrompez-vous. En Corée du Nord, où le ballon orange est très apprécié, les règles de notre sport préféré sont assez différentes de celles utilisées chez nous. Quelles sont les différences majeures ? Et d’où vient cette passion pour le basket ? Bienvenue chez Kim Jong-un, dans une région du monde où un dunk vaut 3 points et les tirs bien clutch peuvent vous offrir 8 points.

Tout part d’un postulat assez invraisemblable, une phrase qu’on ne pensait pas lire ou même prononcer.

Un dunk qui vaut 3 points…?

Hormis sur certains jeux-vidéos, ou dans des disciplines gravitant autour du basket mais qui sont davantage liées au monde amateur qu’à celui des professionnels, voir des dunks qui comptent pour trois-points ressemble plus à une vaste blague qu’à autre chose. Ou bien à une anomalie. Un bug dans la matrice, comme si quelqu’un avait décidé de faire totalement différent du reste du monde.

Well.

Bienvenue en Corée du Nord.

La Corée du Nord, ou RPDC pour République populaire démocratique de Corée, se situe en Asie de l’Est et compte plus de 25 millions d’habitants au moment où ces lignes sont écrites. Un pays qui, médiatiquement, a plutôt eu tendance à provoquer la peur et une sorte d’énigme chez les Occidentaux de par son isolement et son mode de fonctionnement. À sa tête, Kim Jong-un, qui a pris la place de son père Kim Jong-il en 2011, lui-même ayant pris la place de son père Kim Il-sung en 1994, ce dernier étant reconnu comme le véritable fondateur du pays. On est donc sur une affaire de père en fils, comme dirait l’autre. Considérée comme une dictature en reprenant certains éléments phares de ce modèle comme le culte de la personnalité et le contrôle de la population par le Parti des travailleurs, la Corée du Nord fait littéralement comme bon lui semble, sans avoir à se justifier. Et cela va donc du quotidien des habitants aux propos tenus dans les médias… jusqu’au basketball, où les règles ont été modifiées à souhait.

Mais d’où vient cette passion pour la balle orange ?

Michael Jordan Scottie Pippen Dennis Rodman Chicago Bulls

À la fin des années 90, lorsque la Corée du Nord est encore dirigée par Kim Jong-il, père de Kim Jong-un, des tentatives de rapprochements sont réalisées entre le pays et celui de l’Oncle Sam, les Etats-Unis. On est alors assez loin des menaces nucléaires qui vont joyeusement animer l’actualité des années suivantes, notamment la décennie récente. D’un côté, Kim Jong-il donc, et de l’autre, Madeleine Albright qui est la secrétaire d’Etat des USA en poste. Une visite historique est alors réalisée par cette dernière en l’an 2000, sur le sol coréen. On parle bien d’une visite historique, car Madeleine Albright devient ainsi la première secrétaire d’Etat à rendre visite à la Corée du Nord dans l’histoire des Etats-Unis. Si les discussions avancent paisiblement et un semblant de cordialité pointe son nez après la visite, un élément important attire cependant notre attention.

En effet, comme le rapporteront les différents témoins de cette entrevue, Madeleine Albright offre à Kim Jong-il un ballon de basket signé par Michael Jordan, un cadeau en guise de bonne foi et d’amitié de la part des Américains. Coutume dans les rapports internationaux et dans les affaires géopolitiques, on offre un petit quelque chose de chez soi, avec le sourire. Et si pour le coup en France on aurait tendance à filer une bonne bouteille de pinard avec un bon gros Saint-Nectaire bien puissant du palais, pour cette occasion l’Amérique frappe juste. Pourquoi ? Et bien parce que Kim Jong-il est… un immense fan des Bulls des années 90. Les fameux Bulls de Michael Jordan, Scottie Pippen, Dennis Rodman, Phil Jackson et compagnie. Certes, la culture américaine et l’idéologie de l’Oncle Sam ont tendance à effrayer le leader nord-coréen et ses subordonnés, mais lorsqu’il s’agit de beauté sportive et de divertissement, Kim Jong-il ne peut résister devant la grâce, la domination et le charisme dégagé par l’équipe de Chicago dans la décennie 1990. Certains affirment que non seulement Kim Jong-il avait installé un terrain de basket dans chacun de ses palais, d’autres vont jusqu’à dire que le leader nord-coréen avait carrément une médiathèque dédiée à Michael Jordan, incluant tous les matchs joués par ce dernier avec les Bulls. Avec son cadeau, Albright fait donc un véritable strike (ou filoche, au choix), qui aura un impact assez énorme sur la suite des opérations.

Car si le cadeau fait à cet instant est destiné pour Kim Jong-il, leader en place, la transmission de la passion a déjà été réalisée vers Kim Jong-un. Et ce ballon signé par Jordan va définitivement lier le futur leader de la Corée du Nord avec le basketball. Né en 1984, Kim Jong-un voit son enfance et son adolescence forcément animée par les exploits de Michael Jordan et compagnie, soit racontés par son père, soit transmis via les images autorisées par ce dernier. Alors, on ne va pas aller jusqu’à dire que Kim Jong-un avait des giga posters de Rodman et Pippen placardés dans sa chambre, mais vous avez l’idée. Il est important de rappeler, aussi, que le basketball représente un vrai objectif de développement en Corée du Nord à cette époque car le potentiel “identitaire” de ce sport est immense. En effet, si le Parti des travailleurs peut récupérer la discipline et l’utiliser afin de diffuser efficacement des messages de la propagande locale, tout le monde est content… non ? Travail collectif, sacrifice vers l’objectif commun, un peu de spectacle, difficile de demander mieux.

Kim Jong Un Dennis Rodman basketball Corée du Nord

Avance rapide jusqu’en 2011, année durant laquelle Kim Jong-un va prendre le pouvoir en succédant à son père, Kim Jong-il, décédé une semaine avant Noël.

En ayant eu de la NBA dans son biberon et cette passion pour le basketball transmise par son père, le nouveau leader de la Corée du Nord décide de mettre les bouchées doubles et veut alors utiliser le sport comme un puissant moyen de diffuser son message à sa population. Petit rappel pour celles et ceux qui n’auraient pas toute l’histoire de la Corée du Nord en tête : lorsqu’il dirigeait le pays, Kim Jong-il avait lui utilisé le cinéma en ce sens. C’était un outil parfait pour rentrer dans les têtes, et ce dernier voulait créer un véritable Hollywood nord-coréen, totalement indépendant. Bon, on ne reviendra pas sur les méthodes utilisées en allant jusqu’à kidnapper Shin Sang-ok et sa femme Choi Eun-hee, un des plus grands réalisateurs sud-coréens et une des plus grandes actrices sud-coréennes afin de réaliser ces films de propagande, mais le cinéma était bien le fer de lance de Kim Jong-il pendant son règne. De son côté, Kim Jong-un va donc miser sur le sport.

Et quelle meilleure idée, pour se différencier des autres et montrer sa toute puissance, que de faire les règles du basket à sa manière ?

Incapable de rivaliser avec la toute-puissante NBA, ni avec l’émergente CBA (Chinese Basketball Association), la Corée du Nord de la balle orange doit trouver un moyen de se démarquer. Kim Jong-un décide alors de retravailler les règles du basketball, en y effectuant les modifications suivante à partir de 2013. L’idée, en plus de la connotation politique, est de rendre le jeu encore plus fun et spectaculaire. Attention, âmes sensibles amoureuses des règles habituelles du basket… s’abstenir.

# LES DUNKS VALENT TROIS POINTS

Oui, vous avez bien lu. Et c’est certainement la règle la plus choquante, de notre point de vue occidental qui suit le basket au quotidien.

Un dunk vaut trois-points ? Du coup Giannis tourne à combien de points par match en Corée du Nord ? 75 ? Rudy Gobert est dans le Top 5 des meilleurs scoreurs all-time ? DeAndre Jordan au Hall of Fame ? Et où retrouve-t-on les snipers d’élite, qui semblaient avoir fait leur différence avec le shoot à trois-points en NBA par exemple ? On va y revenir ci-dessous. Mais la règle du dunk qui vaut trois-points a quelque chose de stupéfiant, car totalement tournée vers le spectacle et le désir d’offrir des actions exceptionnelles aux spectateurs. Il serait intéressant de voir, du coup, si les tentatives seraient plus nombreuses en ce sens. Est-ce que des joueurs, conscients qu’ils ont intérêt à aller tomar dans la raquette, vont prendre plus de risques et donc bosser leurs dunks plutôt que leurs tirs à mi-distance ou leur gestion de balle ? Est-ce que les pourcentages au tir sont éclatés car plus de la moitié des dunks sont loupés ? Peut-être qu’il ne s’agit que d’un bonus, et qu’on se retrouve dans un jeu tout à fait normal mais qui voit les dunks être tout simplement primés.

# UN PANIER À TROIS POINTS VAUT 4 POINTS SI LA BALLE RENTRE SANS TOUCHER L’ARCEAU

Voilà nos snipers, et on peut dire qu’ils sont sacrément avantagés avec cette règle !

Si tu ne touches que de la ficelle sur un tir derrière l’arc, ton shoot vaut 4 points et non pas 3 points.

On ne préfère même pas imaginer la réaction de Stephen Curry, Kevin Durant et compagnie devant ce type de modification. Est-ce que cela veut dire que Duncan Robinson est All-Star ? Et Seth Curry est dans la course au MVP ? Les comparaisons entre les deux univers sont fascinantes, mais c’est surtout la “gestion” de cette règle qui nous interroge. Est-ce que cela veut dire qu’un arbitre est littéralement dédié à cette vérification ? Une technologie sensorielle a-t-elle été développée afin de checker avec exactitude si un tir fait filoche ou non ? Car un shoot peut effleurer un arceau, et donner l’impression de ne faire que swish. En NBA, on voit des replays de plusieurs minutes prendre place avec les arbitres afin de savoir, en fin d’horloge des 24 secondes, si la balle a touché l’arceau. Sur un tir qui rentre aussi vite, on peut difficilement affirmer que l’arceau a été touché ou non. Mais peut-être que Kim Jong-un s’en bat les reins et qu’il veut juste féliciter ceux qui rentrent des beaux tirs, donc sans trop d’arceau.

# UN PANIER INSCRIT DANS LES 3 DERNIÈRES SECONDES VAUT 8 POINTS

La révolution du money-time, tout simplement.

Un shoot à moins de trois secondes de la fin du match vaut 8 points…?

Cela veut donc dire qu’à -7 avec deux secondes à jouer, il y a encore du suspens. Cela paraît fou, et en même temps tellement intrigant. Pour des types comme Damian Lillard ou Luka Doncic, on ne préfère pas imaginer les massacres. Et alors pour les entraîneurs, c’est sans commentaire. Tu bosses pendant plus de 40 minutes afin de remporter ta rencontre, et t’as Jean-Michel d’en face qui envoie une ogive à trois-points pour défoncer tes 6 précieux points d’avance…? Joe Johnson et DeMar DeRozan doivent probablement secouer leur tête devant cette règle. L’idée d’un suspens qui dure plus longtemps peut mériter réflexion, mais il serait intéressant de voir comment les joueurs réagiraient face à ce type d’action, et si le niveau de sel serait décuplé en ce sens. Car on ne parle même plus de buzzer beater là, on parle d’un véritable coup de poignard dans le coeur avec le sourire et en slow motion.

# EN CAS DE LANCER-FRANC RATÉ, 1 POINT EST RETIRÉ

Là, on est peut-être sur une masterclass pour le sport, les joueurs et le public à la fois.

Aujourd’hui, dans notre basket habituel, un lancer raté provoque quelques huées ou au minimum une tête secouée et des encouragements de la part des coéquipiers. On dit au copain de se concentrer, et que ça va finir par rentrer. Mais il est vrai que l’impact d’un lancer raté n’est pas énorme. Tu peux même offrir des burgers gratuits au public adverse avec des lancers loupés de nos jours, ce qui représente un résultat assez chouette au final. Si on retire 1 point par lancer raté ? Non seulement certains joueurs en manque de technique se feraient foudroyer, mais en plus le money-time deviendrait absolument immanquable. À moins que… des entraîneurs abusent de cette règle et décident de partir sur un hack abusif ? La frustration est réelle lorsqu’on voit un joueur loupé un lancer-franc, car on a tendance à hurler que ce sont les bases du basketball. Avec cette règle, une emphase serait mise à l’entraînement sur les lancers, mais les défenses pourraient du coup agir n’importe comment face à la possibilité de retirer 1 point à l’adversaire.

# UN MATCH PEUT FINIR À ÉGALITÉ

Bon, celle-là pour le coup, on capte pas trop.

Si t’es pour du show, du suspens et de la tension, y’a rien de pire que de dire égalité score final. On veut du shoot au buzzer et des actions mythiques, non ?

Au basketball, on ne peut tout simplement pas finir sur un match à égalité, du moins dans la version occidentale pratiquée jusqu’ici. Depuis quasiment le tout début de ce sport créé par le Docteur James Naismith, on a voulu définir un vainqueur. Que l’issue soit sur un tir au buzzer, un lancer, un panier refusé, ou quoi que ce soit d’autre. L’idée d’égalité n’a pas vraiment de sens, hormis dans une saison régulière où les nombreux matchs pourraient définir différents types de points, un peu comme au football. Pour le moment, on est sur des vainqueurs et des perdants, au lieu de 0 point pour perdant, 1 point en cas d’égalité et 3 points pour les winners. Mais en Playoffs ? Ce serait tout simplement absurde. Un Game 7 qui finit à égalité, que se passe-t-il, on crée un Game 8 ? Après tout, dans le monde de Kim Jong-un, peut-être que oui.

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Mis en avant ces dernières années par les échanges insolites entre Dennis Rodman et Kim Jong-un, la Corée du Nord et le basketball ont une histoire. Un passé, un présent et en avenir, qui peuvent sembler très éloignés de nous, mais ont bien leurs propres codes. Difficile de croire qu’Adam Silver, toujours adepte de nouveautés, adoptera une des règles du basket nord-coréen en NBA, mais rien n’est impossible ni inenvisageable. Récemment, on a bien décidé d’atteindre un score précis au All-Star Game en supprimant le chrono… alors attention aux tireurs de lancers-francs, car peut-être que dans 20 ou 30 ans les tirs loupés sur la ligne retireront 1 point à l’équipe.