Inman Jackson : le roc essentiel de l’ascension des Harlem Globetrotters
Le 07 mars 2022 à 10:16 par David Carroz
Parmi les joueurs qui ont marqué l’histoire des Harlem Globetrotters, Marques Haynes, Nathaniel Clifton ou Goose Tatum sont certainement ceux qui bénéficient de la plus belle cote de popularité. Mais bien avant eux, Inman Jackson a été la pierre centrale de l’équipe d’Abe Saperstein, en tant que joueur. Mieux, il a même cohabité avec ces stars lorsqu’il a poursuivi son aventure en tant que coach et homme de confiance du propriétaire dont il était proche.
Des débuts timides, à son image
Comme pour les Trotters, l’histoire d’Inman Jackson débute à Chicago. Une vingtaine d’années avant que le Black Five se forme, il voit le jour le 7 mars 1907. Sa mère de 16 piges est dans l’Illinois depuis peu. Elle vient de quitter la Caroline du Sud pour un avenir meilleur dans une grande ville du Nord. Ces opportunités, c’est Inman qui va les saisir en grandissant plus que la moyenne. Alors certes, selon nos standards actuels, 1,90 mètre n’a rien d’exceptionnel pour un basketteur. Mais au début du siècle, cela vous classe déjà parmi les golgoths des raquettes, surtout quand le quintal est approché sur la balance.
Avant d’atteindre une telle morphologie, Inman Jackson fait ses classes au sein de Wendell Phillips, lycée de Bronzeville – le quartier afro-américain de Chicago. L’établissement cartonne le basketball scolaire de Chitown au début des années vingt. De nombreux éléments qui vont former le noyau du Savoy Big Five puis des Harlem Globetrotters y étrennent leurs sneakers.
Jackson suit le parcours classique des ballers afro-américains de sa ville au milieu des années vingt. Tout d’abord avec un passage au sein du Chicago Giles American Legion Post qui alimente lui aussi les futurs gros Black Fives du coin. Une mise en bouche de deux saisons de 1925 à 1927. Puis il rejoint donc le Savoy Big Five au moment où l’équipe se forme. Si certains anciens de Wendell Phillips prennent rapidement du galon pour jouer les premiers rôles, Inman lui n’explose pas tout de suite. Il se contente d’un statut de doublure à l’intérieur, derrière des mecs plus expérimentés et rompus aux joutes intenses sous les paniers.
La progression chez les Globetrotters
Même lorsqu’une bonne partie de l’effectif prend la tangente avec les Harlem Globetrotters, il reste ce pivot discret. Un mec qui semble manquer de caractère pour s’affirmer comme un basketteur de premier plan. Il reste fidèle un temps au Savoy Big Five de Dick Hudson jusqu’en 1930. Cette année-là, il rejoint finalement les Trotters en tournée. Il y fait sa première apparition le 30 décembre, lors d’un déplacement à Cincinnati pour affronter le DeHart Hubbard Lion Tamers, une grosse équipe du Midwest. Le baptême du feu se solde par une défaite 39-32.
Comme dans les équipes qu’il a squatté jusque-là, les attentes placées en lui restent mesurées. Il évolue toujours dans l’ombre de ses coéquipiers plus expérimentés. Lentement mais sûrement, cette situation change à mesure qu’il enchaîne les rencontres. Avec un match par soir ou presque, il bouffe du terrain. Autant que des kilomètres parcourus avec la Ford T qui mène les Globetrotters de ville en ville. Titulaire puisque l’équipe ne dispose d’aucune profondeur de banc, Inman Jackson prend de la bouteille et emmagasine de la confiance.
Il dompte sa puissance et sa taille. Avec son physique – il est le plus grand de l’équipe – il joue comme pivot et se positionne au plus près du panier pour s’imposer dans une raquette où il est possible de poser sa tente en attendant que la balle arrive.
Le duo avec Runt Pullins
Outre cet aspect, il règne aussi en maître sur les entre-deux qui rythment les rencontres. À l’époque, une telle séquence de jeu suit chaque panier. Lors de certains matchs, il n’en laisse passer aucun. Un avantage non négligeable pour les Trotters qui dominent de plus en plus leurs adversaires. À la fin de sa première saison, la presse souligne ses progrès. Elle considère qu’on ne fait qu’apercevoir son talent. MIP de l’équipe peut-être, mais toujours dans l’ombre d’autres joueurs plus mis en avant par Abe Saperstein, comme Runt Pullins, la star de l’époque.
Un Pullins dont la personnalité plus extravertie est aux antipodes de celle d’Inman Jackson. Malgré ces différences, le duo s’affirme comme le socle du succès des débuts des Harlem Globetrotters. Cette association d’un meneur dribbleur avec un intérieur qui fait le show devient d’ailleurs la marque de fabrique de l’équipe. Une composante essentielle qui va suivre l’équipe à travers les âges, peu importent les joueurs du roster.
Ce one-two punch qui ravit les fans est possible grâce à l’évolution de Jackson. S’il reste réservé et laconique en dehors des parquets, il prend confiance sur le terrain. Plus mûr, plus expérimenté, il est désormais l’un des meilleurs pivots du circuit. Surtout, il ajoute à son jeu des gags, des tricks et tout l’arsenal du comédien qui assure le spectacle. Si Abe Saperstein pousse pour toujours plus de divertissement au sein des Trotters, l’impact d’Inman Jackson dans ce style qui caractérise l’équipe est prépondérant et fondateur pour la suite de l’aventure. L’élément qui a permis à l’équipe de se démarquer de la concurrence des nombreuses autres équipes de barnstorming. Le premier “Prince des Clowns” comme sont appelés ensuite les joueurs reprenant ce rôle, c’est lui. Ainsi que la mise en place du Magic Circle, dont il est considéré comme l’instigateur.
Si les changements de règles – élargissement de la raquette, 3 secondes et fin des entre-deux à chaque panier – modifient son positionnement, elles ne réduisent pas son impact ou son rôle essentiel. Il glisse poste haut et la balle passe par lui pour qu’il contrôle les attaques sur demi-terrain pendant que Pullins score à outrance.
Inman Jackson, le point d’ancrage
Malheureusement, le big two se sépare en 1934, lorsque Saperstein décide de changer la structure des Globetrotters. À partir de cette date, les joueurs ne sont plus associés, mais salariés et les conditions financières sont bien moins avantageuses pour eux. Pullins refuse et quitte le navire. Inman lui fait bloc et poursuit son histoire avec les Trotters. Il en devient de facto le joueur le plus important. Par son ancienneté, son niveau et son rôle sur les parquets.
Maintenant leader, top scoreur, clown et capitaine, il doit s’ajuster. Outre des responsabilités plus grandes, il compose avec de nouveaux coéquipiers. Lui le taiseux se fait violence pour montrer le chemin et porter l’équipe sur son dos. Un rôle qu’il prend très au sérieux, comme le prouvent les matchs disputés malgré les blessures.
Véritable point d’ancrage, il est le garant du show et de l’identité des Globetrotters. Comme lorsqu’en décembre 1934, un joueur des Terrible Swedes veut prendre les Trotters à leur propre jeu en enchaînant dribbles spectaculaires, trick shots et autres réjouissances. Sentant qu’il faut reprendre la main, Inman Jackson tire au pied dans le ballon depuis la ligne des lancers francs. Ficelle, le momentum du show est de nouveau du côté du Black Five.
Une relation à part avec Saperstein
Sur la seconde moitié des années trente, des joueurs partent, d’autres arrivent, mais le blaze d’Inman Jackson reste le premier couché sur la feuille de match. Celui qui assure la continuité. Malgré les kilomètres accumulés, malgré les litres sués. Quand la fin des années thirties se pointent, Inman boucle tranquillement sa première décennie comme Trotter. Il a 32 piges, en paraît 40 et son corps ne lui permet plus de performer avec la même régularité, ni le même niveau. Lui comme Abe savent que la fin se rapproche, du moins sur les parquets. Car si d’aventure Big Jack doit tirer sa révérence, Saperstein est catégorique : il y aura toujours une place dans l’organigramme des Trotters pour son fidèle soldat.
Si le caractère du proprio est remis en cause avec le temps, en particulier dans son comportement avec ses joueurs non dénué de racisme par de nombreux aspects, l’homme est complexe. Et les liens qu’il a noué avec Inman transcendent justement cette question raciale. Durant des années, ils ont partagé la même chambre d’hôtel, dans des bâtisses miteuses. Parfois le même lit.
Tout ce temps passé ensemble crée forcément du respect et de l’affection. Surtout, Abe sait que lors des crises, Inman est resté. Fidèle, solide. S’il avait pris la tangente comme Pullins en 1934, l’équipe ne s’en serait peut-être jamais remise. Chacun a conscience de ce qu’il doit à l’autre. Alors forcément cette relation privilégiée ainsi que son caractère posé lui vaut parfois des surnoms peu flatteurs comme “le fils d’Abe” ou des comparaisons avec l’Oncle Tom.
Le farewell tour le plus long de l’histoire
L’importance d’Inman Jackson est telle qu’alors que la saison 1936-37 devait être sa tournée d’adieu avec une bascule en tant que coach, il endosse finalement la casquette d’entraîneur-joueur avec l’équipe 2 des Trotters et donne même de temps à autres un coup de main à l’équipe fanion.
Sa carrière se prolonge et le pivot est toujours présent dans l’effectif en 1940, lors du second World Pro Basketball Tournament. S’il n’était pas entré en jeu lors de l’édition précédente où les Globetrotters se sont inclinés en demi-finale face à leur rivaux des New York Rens, c’est lui qui permet au siens de passer l’obstacle new-yorkais lors de la revanche.
Alors que les Rens sont menés d’un point, leur ailier Puggy Bell part seul au panier dans les ultimes secondes. Malgré ses 33 piges et son physique cabossé, Inman Jackson sprinte depuis l’autre bout du terrain. Probabilité de venir le contrer ou le gêner ? Proche de zéro, à l’image du nombre de points marqués par le pivot lors de ce match. Mais cet effort, il le fournit. Surpris de voir la course de Jackson, Bell perd de sa concentration et rate son lay-up. S’il tente de se rattraper au rebond, c’est bien Inman – qui a poursuivi son effort jusqu’au bout – qui prend le dessus et confisque le ballon. Les joueurs des Rens ont beau se jeter sur lui pour lui arracher la gonfle, il ne lâche rien.
Cette action oubliée, si peu connue, résonne certainement dans la tête des Trotters – en particulier celle de Jackson – comme le Block de LeBron James sur Iguodala lors des Finales de 2016. La médiatisation diffère, mais l’impact est le même. Il offre une délivrance à l’équipe. Quand la sirène retentit, validant le succès des Globetrotters, c’est avant tout la performance de Sonny Boswell – auteur de 19 pions sur les 37 de l’équipe – qui est mise en avant. Et pourtant, ils n’auraient servi à rien sans cet effort, ce taf de l’ombre. Impossible de savoir tout ce qui se passe dans la caboche d’Inman, mais de nombreux souvenirs doivent se bousculer.
Globetrotter un jour, Globetrotter toujours
Les années de galère, de regards mi-racistes mi-amusés des Blancs du Midwest. Des conditions de voyage pourries, des matchs à jouer tous les soirs ou presque dans des coins paumés. Le premier rendez-vous manqué au WPBT lors de l’édition de 1939. La sueur, la douleur, le manque de reconnaissance. Et enfin la victoire, la plus grande de sa carrière, avec un rôle essentiel. Toutes les peines, toutes les difficultés ne sont pas oubliées. Mais elles sont à ranger au placard, comme des cicatrices adoucies par cette consécration. Par un futur envisagé plus agréable. Désormais, les Harlem Globetrotters basculent dans la cour des grands, encore plus lorsqu’ils terminent le taf en remportant le tournoi quelques jours plus tard.
Cette consécration discrète pour Inman Jackson est son dernier moment d’éclat avec le maillot des Globetrotters. Son rôle est de moins en moins important sur les parquets. La nouvelle génération prend le pouvoir et pour sa part, le physique ne suit plus. Il dépanne occasionnellement, en particulier pendant la guerre quand plusieurs joueurs sont enrôlés. Il est désormais le relais de Saperstein auprès de l’équipe en tant que manager et coach.
Dans ses prérogatives, on trouve également le développement des nouveaux pivots qui débarquent au sein des Trotters. Celui qui a initié en grande partie le show de l’équipe par sa position sur le parquet et ses qualités de divertissement transmet son savoir aux jeunots. Sous son aile grandit Goose Tatum. Jackson le fait bosser sur les tricks – mais aussi sur l’aspect basket pur – jusqu’à ce qu’il soit en mesure de prendre le relais comme prince des clowns. Avant de s’éloigner de l’équipe après le décès d’Abe Saperstein en 1966.
Après plusieurs années de maladie, il rejoint à son tour le paradis de la balle orange le 6 avril 1973. Celui dont le personnage a été joué par Sidney Poitier dans le film sur les Trotters Go, Man, Go a connu une carrière de plus de deux décennies sur le terrain avant de la poursuivre aussi longtemps au sein de l’organisation. Un pilier dont l’importance inestimable chez les Globetrotters ne doit pas être oubliée. Chose faite en 2022 lors de son intronisation à titre posthume au Hall of Fame.
Source : Spinning the Globe: The Rise, Fall, and Return to Greatness of the Harlem Globetrotters de Ben Green