Black History Month : de Earl à LeBron, quand le basket transcende les frontières du sport

Le 02 févr. 2020 à 15:17 par Julien Dubois

Black History Month
Source image : NBA.com

Depuis 1970, le mois de février tient lieu de Black History Month et vise à rendre hommage au long combat du XXème siècle contre la ségrégation raciale. Comme on a pu le remarquer à l’échauffement, Nike a lancé une campagne via des t-shirts prônant l’égalité. Cette initiative s’inscrit dans la continuité de la gamme Equality, qui a pour égéries LeBron James et Serena Williams, et marque une volonté de Nike de combattre le racisme.

En 1876 entrent en vigueur les lois Jim Crow qui légalisent la ségrégation entre les blancs et les Afro-Américains. Jusqu’à 1964 et le Civil Rights Act, les Afro-Américains étaient considérés comme inférieurs aux blancs, et ce, dans la loi. Le sport en général, et donc la NBA, était soumis à ces règles mais est progressivement devenu un moyen de contestation voire un précurseur de l’égalité. Nous nous devons de rendre hommage à la fois aux basketteurs qui ont eu le courage de se lancer dans la Grande Ligue à l’époque où celle-ci était hostile aux Afro-Américains, ainsi qu’à tous ceux qui ont subi des remarques racistes tout en continuant à se battre sur le terrain comme pour fermer des bouches (Wilt on arrive).

Avant 1948, la loi interdisait (depuis 1887) à toute équipe d’aligner un joueur noir dans une grande ligue. On dit avant 1948 car c’est en septembre de cette année que Jackie Robinson joue son premier match en MLB avec les Dodgers de Brooklyn. Cet événement met définitivement fin aux “Negros Leagues” qui sévissaient depuis la fin du XIXème siècle. Le début de la longue histoire Afro-Américaine en NBA va donc pouvoir commencer à s’écrire…

1950 : Cooper, Clifton et Llyod comme tournant

C’est deux ans après Jackie que les premiers Afro-Américains arrivent en NBA. Pour la belle histoire, le premier drafté, le premier à jouer et le premier à signer un contrat dans la ligue sont trois personnes différentes : Chuck Cooper, Earl Lloyd et Nathaniel Clifton.

C’est Nat qui est propulsé sous les projecteurs en premier : il signe un contrat aux New York Knicks le 25 avril 1950. Il jouera 8 saisons en NBA avec des moyennes de 10 points et 8,2 rebonds par match, ce qui lui permettra même d’être nommé All-Star en 1957. Pour souligner les exploits de ce véritable précurseur, les Associated Black Charities de la Grosse pomme le gratifient d’un “Black History Maker Award”. C’est le moins que l’on puisse dire, Clifton va véritablement bouleverser l’histoire avec l’aide de deux copains. Nat est le premier à signer un contrat mais il n’est cependant pas le premier à avoir eu l’honneur d’être drafté…

Le même jour, Chuck Cooper est le premier Afro-Américain drafté, en 12ème position. Il jouera 6 saisons et 409 matchs sous le maillot des Celtics et des Hawks et plantera 6,5 points en moyenne. Il aura la chance d’être drafté et coaché par le grand Red Auerbach – paye ton précurseur en plus d’être un monstre du coaching. L’accident de voiture qui met fin à sa carrière n’atteint en rien sa volonté : Cooper valide un master en assistance social et travaille avec la ville de Pittsburgh sur des espaces récréatifs et autres infrastructures en étant bien sûr le premier Afro-Américain à ce type de poste. Respect.

Mais ce n’est ni le précurseur Nat ni le courageux Chuck qui foulent en premier les parquets lustrés de la NBA. Earl Lloyd joue sept matchs avec les Capitols de Washington avant que l’équipe ne se dissolve (ça a toujours été stable les franchises à D.C.), dont le premier match pour un Afro-Américain. Le 31 octobre 1950 (un jour avant Chuck), l’histoire se joue et c’est contre les Royals de Rochester que cela se passe. Une fois l’équipe de la capitale dissoute, Earl jouera 6 saisons avec les Nationals de Syracuse et remportera même une bague (étant donc le premier Afro-Américain champion NBA, avec Jim Tucker) en 1955, en marquant 10,2 points et en prenant 7,7 rebonds de moyenne. L’ailier précurseur écrit dans son autobiographie qu’il n’avait jamais eu de vrai conversation avec un blanc de son âge, avant cette fameuse Draft en 100ème position et son intégration dans l’équipe. Une intégration notamment facilitée par son coéquipier Bill Sharman, rookie de Caroline du Sud, qui l’emmène en voiture à l’entraînement chaque jour. Son coach, Horace McKimmey, sudiste également, fait tout pour faciliter son intégration, en témoigne l’anecdote dingue qui suit. Lors d’un déplacement, Earl obtient difficilement l’accès à l’hôtel de l’équipe (réservé aux blancs) et se fait refuser l’accès au restaurant. Il commande donc un repas directement dans sa chambre mais, outré, Horace refuse qu’il mange seul et l’accompagne pour son repas dans sa chambre : cela semble anodin aujourd’hui, mais c’est un geste fort pour l’époque.

Cette dernière anecdote met l’accent sur un point important : ces joueurs Afro-Américains qui marquent l’histoire ont pu le faire grâce à leur détermination, leur courage face à la violence, et la solidarité de certains joueurs blancs qui ont refusé les défauts de leur temps pour soutenir leurs compatriotes. Red Auerbach est une véritable icône de la lutte contre le racisme dans l’histoire du sport, Bill Sharman est plutôt un héros de l’ombre (il est au Hall of Fame, quand même), qui a rendu possible le rêve de Chuck. Tirons nos chapeaux à ces hommes, tous ces hommes, qui ont permis à l’histoire de suivre son cours : et oui, c’est un sport d’équipe le basketball, quelle que soit la performance en jeu.

Les années 1950/1960 : les premières superstars Afro-Américaines

Dans le sillage de nos trois avant-gardistes, deux véritables superstars du basket vont marquer l’histoire : Bill Russell et Wilt Chamberlain, treize titres à deux.

Bill débarque en 1956 sous l’aile d’un certain Red Auerbach – tiens, tiens… – en sortie de JO et prêt à gober 19,6 rebonds pour sa première saison. Titré dès 1957, il compile sur l’ensemble de sa carrière 11 bagues dont deux en tant que coach-joueur, ce qui nous mène à un autre morceau d’histoire : Billou est le premier coach Afro-Américain toute grande ligue sportive confondue ! Il faut également comprendre que The Good Lord évolue en NBA au moment où le Civil Rights Movement commence à faire du bruit aux US, ce qui conduit à une recrudescence des violences raciales notamment dans les tribunes. Sa domination et son assurance ne sont donc que l’illustration d’un grand courage qui n’a d’égal que sa persévérance (et sa régularité…). Il se trouve que le Celtic est également actif dans le mouvement Black Power, ce qui pousse certains à le taxer de racisme anti-blanc, ses propos envers la ville de Boston n’aidant pas en ce sens (“c’est un marché aux puces du racisme“). Ses relations ambiguës et distantes avec le public ainsi que les médias ont également contribué à cette image troublantes sur le sujet. Au regard de l’histoire, on voit surtout un monstre des raquettes qui a gobé quasiment autant de bagues que de rebonds, tout en s’imposant comme la première superstar Afro-Américaine de la Grande Ligue. L’autre icône n’est autre que son rival direct : le grand Wilt Chamberlain.

Grand par la taille (2m16), par les stats (100 points en un match par exemple) mais aussi par le mental (on arrive en courant). Victime lui aussi de haine raciale tout au long de sa carrière, l’histoire la plus folle se tient en fin de cursus universitaire lors du Final Four 1957, qui avait lieu au Texas. Dans la nuit juste avant la finale, des membres du Ku Klux Klan ont débarqué à sa fenêtre pour brûler des croix tout en hurlant toutes formes d’insultes racistes. Sympa la nuit à l’hôtel, pas sûr qu’il y aura 5 étoiles sur leurs notes… Le lendemain, malgré la défaite, Chamberlain va répondre à sa manière en étant nommé MVP de la finale. Une fois arrivé en NBA, la moisson que le monstre va réaliser s’inscrit dans cette continuité et ne peut que faire passer les insultes raciales pour ridicules. Ses performances et son efficacité lui permettent de devenir l’un des athlètes américains les mieux payés avec un contrat à 65 000 dollars (on est loin des 80 millions d’Aaron Gordon). Pas forcément actif dans les médias ou engagé comme Bill, Wilt répondra, comme souvent, sur le terrain, en s’imposant comme le meilleur joueur de l’époque. Celle-ci même où on considérait les Afro-Américains comme des citoyens ‘inférieurs‘. Et pan, dans la bouche du racisme.

Le travail du temps et l’évolution des mentalités

Les années 1970 et 1980 marquent le véritable essor des Afro-Américains en NBA en raison de nouvelles règles. En effet, pendant la majeure partie des années 1960, un quota de quatre Afro-Américains par équipes fut en vigueur, ce qui a pu ralentir le développement de l’égalité dans la Ligue. De nouvelles superstars émergent et les mentalités évoluent sur le terrain comme dans la société en général. Cependant, le public se désintéresse de la NBA en partie à cause du racisme ; ce qui prendra notamment fin avec l’essor de Julius Erving en ABA et la rivalité entre Magic et Bird, nous rapprochant un peu plus de la situation actuelle.

Avant cela, c’est à Kareem Abdul-Jabbar qu’il faut rendre hommage. En plus d’être l’inventeur d’un des moves les plus indéfendables de l’histoire du basket, il prend part à l’Olympic Project for Human Rights en 1968 pour lutter contre la ségrégation raciale. La même année, il boycotte les Jeux Olympiques de Mexico pour la même raison. John Carlos et Tommie Smith lèvent leurs poings gantés sur le podium du 200 mètres pour rappeler à tous que malgré le Civil Rights Act, la ségrégation existe toujours et le combat doit continuer.

Le pivot des Bucks arrive en NBA après avoir été hué et sifflé sur tous les parquets de NCAA et, spoiler alert, la Grande Ligue ne sera pas plus clémente. Un article du Los Angeles Times l’accuse d’être un raciste anti-blanc, et disons que cela ne facilitera pas son intégration dans la cité des anges. Malgré cela, il réalise une carrière incroyable au même titre qu’un certain Oscar Roberston, lui aussi victime de discrimination à la même époque. En effet, ce dernier mange pour la première fois de sa vie au restaurant pour fêter un titre de champion d’État avec son lycée, la première fois de sa vie. Par la suite, évoluant en NCAA avec les Bearcats de Cincinnati, il doit dormir seul sur le campus universitaire alors que toute son équipe est à l’hôtel. Le lendemain, après avoir hésité à jouer, il rentre sans s’être échauffé et claque 25 points… Il est également, toujours en championnat universitaire, menacé de mort par le KKK quelques temps avant un gros tournoi en Caroline du Nord. Tous ces événements ne l’ont pas découragé et sa persévérance lui a permis de devenir l’un des meneurs les plus complets et respectés de l’histoire de la NBA.

Quelques années après KAJ, Magic Johnson débarque en NBA relançant ainsi les audiences de celle-ci : sa rivalité avec Larry Bird révolutionne, en effet, bien plus que le jeu. Le premier affrontement des deux monstres en finale de NCAA 1979 marque son époque à tel point que ce match fut le plus regardé de l’histoire avant d’être détrôné en 2013. Magic représente toute la beauté du basket et semble transcender tous les préjugés de l’époque, ne laissant place qu’à la beauté de l’une des plus grandes équipes de l’histoire du basket américain. Au-delà de cette simple magie du bonhomme, le Laker entreprend par la suite toute une lutte contre le SIDA après l’annonce de sa séropositivité en 1991, usant de son influence à bon escient. Avant d’être entre autres un GM pyromane, Johnson a aidé toute une planète à évoluer dans sa compréhension d’une maladie mortelle.

LeBron en tête des contestations modernes : plus qu’un simple basketteur

La situation actuelle est évidemment incomparable à celle qu’ont connu les légendes dont on parlait ci-dessus, mais quelques controverses continuent à éclater dans une Amérique encore divisée par cette question. La NBA moderne se trouve pouvoir compter sur un porte-parole fort en LeBron James, qui n’hésite pas à intervenir sur un terrain bien plus grand que celui de basket (attention, on ne parle pas de son implication dans les transferts). À l’initiative de la gamme More than an athlete de Nike, nom également de sa mini-série sur ESPN, BronBron donne le ton sur la portée et le rôle qu’il souhaite avoir. Cela se matérialise par l’ouverture de son école I Promise à Akron mais aussi par des propos publics bannissant toute forme de racisme, par exemple.

En 2014, dans une conversation téléphonique rendue publique, David Sterling, propriétaire des Clippers déclare ne pas vouloir de “personnes noires” dans son arène lors des soirs de matchs. Sa compagne avait posté une photo d’elle avec Magic sur Instagram, ce qui déplu à David qui lui demanda de ne pas le refaire tout en exprimant ses idées racistes au téléphone. À cette occasion, Magic prendra la parole sur ESPN pour dénoncer ces paroles tout en expliquant que Sterling ne se rend pas compte de la portée de ce qu’il dit, à quel point cela peut blesser les Afro-Américains, d’autant plus quand on connaît le lourd passif du pays sur la question de ségrégation et d’égalité sociales. LeBron, alors en sortie de match de Playoffs, explique que ce genre de propos n’a rien à faire dans le sport et qu’il faut continuer à “développer ce sport” en passant au-dessus de ce genre d’incident. Il assume pleinement son rôle hors du terrain et essaye de faire avancer la NBA dans un sens positif, comme ont pu le faire d’autres avant lui.

La même année, sa maison de vacances à Los Angeles (dans laquelle il doit habiter toute l’année maintenant) est vandalisée : un homme entre par effraction dans la propriété et tague le N-word sur le portail de la maison. La portée du mot et l’action sont choquantes. LeBron réagit en expliquant au micro d’ESPN qu’il a pleine conscience de la place qu’a le racisme dans l’identité de son pays, et que cet événement montre que même avec de l’argent, de la reconnaissance et des fans, être noir aux Etats-Unis représente un challenge quotidien pour de nombreux Afro-Américains. La situation est d’autant plus sensible que ses enfants étaient directement concernés : ce genre d’incident marque une jeunesse et forge un caractère mêlant lucidité et appréhension sur le monde. Malgré le choc de cet événement, le King prend le temps de remarquer à quel point des progrès ont été fait sur le sujet et fait apparaître une touche d’optimiste sur le combat à venir. Patron.

Cette courte chronologie montre à quel point la route fut longue et sinueuse. Elle n’est pas terminée, loin de là. Aujourd’hui, la situation est bien meilleure et les sportifs peuvent trouver un leader en LeBron sur cette question. Tout ceci fut néanmoins possible grâce à des hommes qu’on mentionne pas assez souvent comme Chuck, Nat ou Earl, qui ont eu le courage de se lancer en premier lorsque les risques étaient décuplés. Le sport est un spectacle, le sport est un jeu, le sport est un business, mais le sport est aussi un moyen de passer de “separate but equal” à Equality. Allez, au boulot, on y retourne car il reste du taf.