Interview Nicolas Batum x TrashTalk : “Ça fait 10 ans que je suis là, c’est l’équipe la plus tarée qu’on ait eu.”

Le 16 sept. 2019 à 19:46 par Bastien Fontanieu

batum
Source image : TrashTalk

Médaille autour du cou, sourire pas loin des cernes, l’équipe de France est revenue au pays ce lundi et est passée par Paris à l’occasion d’un petit point presse. Qui y était ? TrashTalk, évidemment. C’était donc le moment idéal pour parler avec plusieurs joueurs, dont le capitaine Nicolas Batum. Entre nouveau rôle, avenir du basket du France, critiques sur les réseaux et explications face à l’Argentine, Batman pose le masque et a répondu à nos questions. 

Il est là, crevé comme les autres, gros voyage oblige. Mais bon, c’est le protocole à respecter, et il sait comment ça se passe. Dispo, motivé, Batum démarre son tour de presse en sachant que les mêmes remarques ou questions vont lui être posées. Alors, déçu ? Et les attentes des gens ? Pas découragé pour autant, Nicolas nous croise du regard, il s’approche puis tend la main, sourire en coin. Alors vous, vous me faites marrer. Je lis tout, je regarde tout et vous me faites marrer. Sympa, car la maison n’est pas tendre avec l’ailier. Mais il le sait. C’est le jeu… Le ton est donné, deux chaises et un dictaphone, on passe à table.


Y’a un écho que tous les joueurs ont partagé sur cette compétition, c’est l’état d’esprit dans le groupe. On sent que vous avez pris votre pied, ensemble. Tu peux me donner ton point de vue là-dessus, la différence avec les équipes précédentes notamment ?

Hier soir, on était au restaurant on a fait un grand dîner pour clôturer la compétition. Et avec Nando on a dit la même chose, nous deux en particulier parce qu’on est là depuis 2009 donc ça fait 10 ans qu’on est là. On leur a dit : “vous savez les gars, ça fait 10 ans qu’on est là, c’est l’équipe la plus tarée qu’on ait eu.” Littéralement, mais dans le bon sens hein.

Tarée, dans le sens le mélange des personnalités j’imagine ?

Ouais ! En fait, tous les jours il se passait un truc. C’était très bonne ambiance. C’est pas la même génération tu vois, c’était différent : là on a vraiment changé. Je le disais à Frank la dernière fois, le mec il a pas vu la tête de Zidane (rire). Il est né en 98, il l’a pas vu le doublé, c’est une toute autre génération. C’était marrant, et c’était différent de ce qu’on a pu connaître auparavant. Ma dernière compétition c’était en 2016, c’était les JO et c’était très différent. Là, on a passé un vrai bon moment. Et ça c’est vu sur le terrain, parce qu’on était “neuf”. C’était une équipe toute neuve, même dans les rôles des 4 leaders.

Rudy, Evan, Nando et toi ?

Ouais, tous les 4 on a eu des rôles différents auparavant, donc même pour nous c’était limite nouveau. Et c’était le cas pour chacun, Evan est devenu le nouveau leader dans une compétition où il devait gagner, pas comme en 2017. Rudy avait un statut à confirmer au niveau mondial, après ce qu’il a fait en NBA depuis quelques temps maintenant. Et Nando était repositionné en 6ème homme de luxe, je pense qu’il a été encore plus fort qu’en 2015, c’est sa meilleure campagne, pour moi. Et moi, dans ce rôle de “Boris” entre guillemets.

J’allais enchaîner là-dessus justement. On l’a dit, répété, et notamment parce que tu l’as dit toi-même. Même s’il y a encore beaucoup de critiques – justifiées ou non – sur les réseaux à ton égard, c’est comme si t’avais trouvé un rôle idéal par rapport à ton approche du jeu. On peut affirmer ça ?

En fait, ça va aussi avec ma carrière. Mon rôle en équipe de France depuis que je suis venu, donc depuis 2009, c’est là où peut-être les gens ont du mal à comprendre ça mais… j’ai toujours essayé de m’adapter à ce que le coach demandait, ce dont l’équipe avait besoin.

C’est ça, ton motto.

Et ça fait 10 ans que ça dure. J’ai 9 campagnes en équipe de France, sur ces 9 campagnes j’ai 5 médailles. Je suis à plus de 50% de réussite donc ça marche un peu. Alors c’est vrai qu’il y a des matchs moins bons, je dis pas que c’est parfait. Mais depuis 2009 ça a d’abord été : comment je vais aider Tony, Babac et Flo (Pietrus) à gagner. De 2009 à 2013 c’est ce que j’ai fait. En 2014, TP est pas là, qu’est-ce que je dois faire ? On me dit : “Nico, prends la tête de l’équipe de France.” J’ai dit : “les gars, je serai pas Tony Parker. Oubliez, c’est pas mon jeu donc c’est mort.”

Et pourtant tu nous lâches deux derniers matchs de grand malade (35 et 27 points).

Oui, mais ce ne sont que 2 matchs. Alors qu’au niveau général, mon but dans toute la campagne de 2014 c’était de fédérer tout le monde. Et quand tu regardes la campagne, avant mes 2 derniers matchs t’as aucun mec qui est meilleur marqueur de l’équipe deux fois de suite. Et c’était ça mon rôle, avec cette équipe là.

Ensuite en 2015 ?

Après, en 2015, on retourne en France et le 5 majeur a été changé, les rôles aussi. Et 2016 c’était la fin du cycle. Et là on est reparti sur quelque chose d’autre. Donc j’ai toujours essayé de m’adapter à ce que Vincent voulait de moi, et ce dont mes coéquipiers avaient besoin, au lieu d’imposer mon truc. Pour la bonne et simple raison qu’il en faut des joueurs comme ça dans une bonne équipe. Peut-être que j’ai le potentiel pour faire autre chose, mais pour moi si je m’impose dans certains trucs ça pouvait enrayer la machine. Et je voulais pas ça.

En tout cas, de notre point de vue, en ayant commenté les matchs et suivi de près ta compétition, on a l’impression que tu t’es rapproché d’un rôle qui te fait le plus kiffer. Je dis pas qu’avant c’était moins bien, mais en terme de plaisir ressenti est-ce que c’est le cas ?

On va dire que c’est dans mon Top 3. Y’a 2011, 2014 et là cette Coupe du monde. Ma campagne préférée, c’est 2011.

Y’a deux moments qui nous ont marqué en direct, on voulait avoir ton avis là-dessus, et ta perspective parce que t’as un rôle précis dans ces deux moments précis. Le premier, c’est -7 contre Team USA…

Ouais.

… et -15 contre l’Australie.

Aucune panique.

C’est ce qui traversait l’écran. Mais à ce moment-là, sur le banc, dans le temps-mort, qu’est-ce qui se dit ? Qui parle ? Vincent (Poirier) nous dit que t’as pris la parole, qu’est-ce qui se passe dans le groupe ?

Et bien c’est là où, contre l’Argentine, on a paniqué. On était pas bien. On a eu un stress… comment dire. On était pas dedans en fait ! On était pas dedans, on a pas su réagir, on a pas su être bons mentalement pour rebondir. Mais à -7 contre les Américains ? On était bien. On le savait parce qu’on jouait de la bonne façon. Pendant la mi-temps du match face à l’Australie, pareil. Team USA on avait 7 points de retard, contre l’Argentine en début de match aussi, mais on jouait pas de la même façon, on était mieux. C’est juste qu’on ne mettait pas nos tirs contre Team USA. On était persuadés qu’ils allaient se fatiguer, parce que leurs titulaires jouaient limite 35 minutes par match. Alors que nous ? Evan il joue 25 minutes par match. Donc on savait que la fraîcheur était de notre côté et que ça allait cliquer à un moment donné. On le savait, donc il n’y avait pas de panique.

Zéro panique à ce moment là ?

Zéro.

C’est ouf. Tu parlais de l’Argentine à l’instant, j’ai posé cette question à tous les joueurs donc je te la pose aussi. Baguette magique, on est vendredi 13 septembre à 9h du matin donc avant de jouer la demi-finale. Que ce soit individuel ou collectif, et maintenant que c’est à tête reposée, est-ce qu’il y a quelque chose que t’aurais aimé modifier ?

Le début de match. Ce sont les trois premières minutes.

Et c’était quoi le problème, l’attitude ?

L’attitude oui. Le lendemain, on a regardé ces 4 premières minutes de jeu en vidéo… Tu regardes l’entame contre l’Allemagne lors de notre tout premier match du Mondial, et cette entame contre l’Argentine ? Honnêtement on aurait dit nous à Pau quand on a joué la Turquie en prépa (NDLR : défaite 74-69). Tu vois ce que je veux dire ? C’était ça en fait le problème, notre début de rencontre.

Ce qui est choquant, parce que sur le reste du Mondial, quasiment tous les débuts de matchs sont au top.

Extraordinaires.

Je sais même pas combien de 1er quart-temps vous lâchez sur toute la campagne.

Quasiment aucun.

Donc c’est ce foutu début de rencontre face à l’Argentine…

C’est dès le début. On a pas su se mettre dedans, on les a mis dedans, et après ils sont tombés dans une euphorie et ils étaient possédés sur le terrain. C’était incroyable.

On a une dernière question à te poser. Pour faire avancer le basket en France, c’est un travail qui doit être partagé par tout le monde, je pense qu’on est d’accord là-dessus. La fédé, les médias, nous, vous les joueurs, etc. Mais la prochaine étape pour que le basket grandisse, c’est quoi selon toi ? On a parlé de distribution télé, de résultats en EDF, quel est ton point de vue là-dessus, à la fois en tant qu’acteur et ambassadeur en France ?

Je dis pas ça de moi, et tu vas comprendre pourquoi c’est le cas, mais faut qu’un club français réussisse sur la scène européenne. Pour moi c’est ça.

Quels que soient les joueurs dans l’équipe ?

Il faut ça. Il le faut. Là où l’équipe de France par exemple elle va faire des résultats ? Et bien t’auras aucun de ses joueurs qui joueront en France. Donc le public ne peut pas se rallier à nous. Alors que se rallier à une grosse équipe française qui fait de gros résultats en Europe… C’est là où le rugby est bon. C’est là où le hand est bon. Parce qu’ils ont des clubs qui sont bons sur la scène internationale. Au foot aussi. Au basket ? Non. On est le seul sport collectif qui n’a pas ça. Et c’est ça qui manque.

Bah on se rattache constamment à Limoges en fait.

Ouais mais c’était il y a 30 ans. Tu vois ce que je veux dire ? Et je dis pas ça parce que je suis avec Villeurbanne, mais c’est selon moi ce qu’il manque. Mais ça viendra par la suite.


Remerciements : FFBB, Nicolas Batum