Les origines taïwanaises de Jeremy Lin : un poids comme un tremplin, à assumer au quotidien
Le 02 oct. 2016 à 06:42 par Bastien Fontanieu
C’est dans un dossier long et intéressant réalisé par Yahoo Sports que le nouveau meneur des Nets s’est ouvert sur un sujet des plus tendus en ce moment dans le sport américain : faire avec ses origines et tenter de se créer un chemin.
Il fallait plus ou moins vivre dans une cave, pour ne pas avoir vu le nom de Colin Kaepernick défiler sous nos yeux ces dernières semaines, et les débats qui ont suivi ses actes aux Etats-Unis. Dans un virage des plus anxiogènes de leur histoire, après 8 années passées sous les directives de Barack Obama et un vote à venir opposant Donald Trump à Hillary Clinton, la question raciale et ethnique est au centre des conversations chez l’Oncle Sam. Et même si le quarterback des 49ers est loin des parquets, la NBA est la première à accepter l’intégration de ce sujet dans sa reprise annuelle, avec des joueurs qui se sont déjà exprimés et ont prévu de montrer leur soutien publiquement. Du coup, même si Jeremy Lin n’est pas le plus renoi d’entre tous, sa situation reste particulière en tant qu’américain d’origine taïwanaise. Et dans le contexte exposé à l’instant, le meneur de retour à New York est appelé plus d’une fois afin de donner sa position, son avis sur cette question bourrée de tension. Comment faire pour évoluer dans le monde du sport, transmettre un message, être pris au sérieux sans avoir forcément l’étiquette d’athlète collée sur le front, lorsqu’on se sent constamment visé par des discriminations et des stéréotypes inamovibles ? Grandir aux States en n’étant pas un sportif blanc, à quoi cela ressemble ? Plusieurs attitudes sont possibles, une vient d’être prise par Kaepernick et a touché à un aspect quasi-divin du pays aux 50 états, le patriotisme. Lin ne vit pas dans un scope aussi préoccupant que celui du footballeur américain, notamment en ce qui concerne les brutalités que ses proches peuvent subir au quotidien, mais ses paroles méritent d’être écoutées car certaines de nos attitudes sont liées à ce sujet des plus préoccupants.
“J’ai toujours dit que, dans mon histoire, mes origines représentaient une épée à double-tranchant. On peut prendre simplement l’élément racial en lui-même. Quoi que je fasse, ce sera ultra-amplifié, que ce soit bien ou au contraire pas bien. Les gens me zappent rapidement ou vont dire de sales choses sur moi, à cause de mes origines. Et si je cartonne, les gens vont dire que je suis formidable et incroyable, à cause de mon apparence.
Quelque part, Linsanity n’aurait pu se produire si j’avais eu une couleur de peau différente. Disons que cela aurait été moins immense, et dans ce cas précis mes origines ont joué à mon avantage. Mais avant cela, avant de pouvoir obtenir du temps de jeu sur un terrain, j’ai dû surmonter tellement d’obstacles sur mon chemin et qui étaient liés à des stéréotypes. J’ai donc appris avec le temps qu’il y avait du bien comme du moins bien, qu’il fallait avancer avec le tout et apprécier les opportunités offertes.
En fait, c’est quelque chose qui m’arrive constamment, et un peu partout. Dans les stades des équipes qu’on visite, c’est presque automatique. L’autre soir à Brooklyn, j’essayais de quitter le Barclays Center et une des femmes travaillant sur place m’a demandé des accréditations afin de me laisser passer. Puis quelqu’un est intervenu et lui a dit que j’étais un joueur. Mais je suis habitué aujourd’hui, disons que cela fait partie du fait d’être asiatique en NBA.”
Bien évidemment, on ne peut comparer une demande d’accréditation désagréable à entendre sans cesse avec des agressions pouvant mener à la mort, comme on a pu le voir ces derniers mois. Mais dans la discrimination qui est imposée à Lin, il y a un mécanisme assez pervers dont il faudrait pouvoir se détacher, afin de ne pas tomber dans la même soupe triste et fade qu’on peut observer, même en France. Il est bon, pour un Chinois. Combien de fois l’a-t-on entendu ? Même au sein de la rédaction, car il s’agit d’un réflexe basé sur une flemme méthodologique, une envie de couper à travers champs alors qu’il y a mieux à faire. Pourtant, la plupart du temps, l’intention est humoristique et elle peut taper dans le mile en utilisant le vocabulaire appropriée. Et encore une fois, on ne parle pas de vie ou de mort dans ce cas précis, Lin le dit lui-même et il a su avancer avec les obstacles qui lui étaient imposés, et qui étaient d’un ordre différent. Simplement, ses propos résonnent car l’acoustique actuelle est propice chez l’Oncle Sam. Et dans un virage social fort qui touchera une génération entière par la suite, le voir décrire sa propre condition avec les bons termes et une distanciation intéressante est toujours bienvenu. Pour que lui aussi, dans sa lutte moins médiatisée mais pourtant importante à observer, il puisse permettre aux futurs basketteurs d’origine asiatique de rentrer dans un stade sans passer pour un photographe.
Les stéréotypes sont encore bien présents, dans le monde de Jeremy Lin comme celui de notre quotidien. Il est d’ailleurs évident que les farces continueront sur Rush Hour, dès que le meneur se mettra en duo avec un renoi, et c’est certainement fondamental de pouvoir en rigoler. Mais cela n’empêche en rien d’avancer sur le sujet, afin de réduire les remarques bien plus hostiles. Car il y en a, et pas qu’un peu.