Les bagues ou rien : quand la NBA et ses joueurs ne jurent que par le nombre de titres remportés

Le 24 juil. 2016 à 13:43 par Bastien Fontanieu

NBA

C’est une réalité à laquelle nous nous sommes habitués. Mieux, ou pire selon les avis de chacun, nous avons aidé à la façonner. Mais aujourd’hui, en voyant des affaires comme celle entourant Kevin Durant, la question peut être posée : la ruée vers l’or des bagues est-elle devenue trop… déterminante pour juger un joueur ?

Soirée comme une autre, à réfléchir un peu naïvement sur la situation de la Ligue de nos jours. Enfin, comme une autre, pas vraiment. Car même si la tentation première est de faire de cette douce soirée estivale une scène des plus normales, le contexte sportif empêche toute forme de normalité. En effet, en quelques semaines, Tim Duncan et Kobe Bryant ont pris leur retraite, pendant que Kevin Durant a décidé de rejoindre les Warriors. Tout un symbole, forcément. Car au-delà du débat prototypique qui entoure l’ex-ailier du Thunder (respectons sa décision putain, ouais mais enfin quel lâche, comment peux-tu dire ça Michel), c’est le choc complet – suite à ce bouleversement des acquis communs – qui rend ce mois de juillet assez chelou. Deux guerriers qui passent toute leur carrière à se battre dans leur équipe respective, 10 titres glanés en 20 ans, puis l’autre gâchette qui décide de quitter OKC pour coucher avec celle qui l’a tant fait souffrir un mois auparavant. Bonjour le bordel. Et comme par hasard, une pensée qui va doucement finir par germer, au point de faire sortir de sous-terre cette question, d’apparence tabou : et si, après tout, ce choix de vouloir jouer à Golden State était le résultat logique d’années passées à hiérarchiser puis tabasser les joueurs aux quatre coins de la NBA, que ce soit chez les fans comme dans les médias ?

La réflexion semble assez idiote au premier abord. Ou disons plutôt, simpliste. Car l’acte même de distribuer des notes, des places et des positions à chaque joueur, est un besoin propre à tout fan, intrinsèquement lié au sport et au domaine de la compétition. On a besoin de ranger tout le monde dans des cases, faire des classements bien propres avec sa petite logique personnelle et son bordel imaginaire. Face à cette nécessité donc, une division s’opère, tout comme une réunion par ailleurs. Et cette dernière, justement, a principalement lieu autour de quel critère, en NBA ? Les titres. C’est comme ça, depuis la nuit des temps. Bill Russell est fabuleux, car il a 11 bagues. Elgin Baylor est nase, car il a 0 bagues. Si on prendra quelques secondes, un peu plus tard, pour réaliser la stupidité de ces deux alexandrins, procédons d’abord au déroulement de la réflexion initiale et décortiquons chaque aspect, à commencer par la recherche d’alternatives. Bah oui Gérard, comment peut-on organiser les joueurs dans l’histoire, si on n’a pas de critères fixes ? Doit-on se tourner vers les statistiques ? Les qualités athlétiques ? Non, évidemment. Les succès collectifs, les titres, ce sont les accomplissements ultimes, ceux qui dirigent la Ligue chaque année et font rêver les fans tous les soirs. On ne bosse que pour ça, on se martèle afin d’y arriver, afin de rejoindre les légendes, et faire partie de cette élite, celle qui a déjà remporté un titre et peut donc, tel un péage particulièrement bovin, monter les marches dans ce classement des meilleurs joueurs de tous les temps. Mais en voyant le déménagement de Kevin Durant se dérouler devant nos yeux, c’est comme si l’obtention du respect en NBA ne semblait se faire que – et uniquement – par la possession de bijoux aux bout des doigts.

Et c’est justement là qu’on peut se poser plusieurs questions. La première, c’est bien évidemment, qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Comment peut-on continuer à dénigrer certains à cause de leur CV collectif, alors que leur grandeur individuelle n’a plus lieu dans quelconque débat ? Cas d’école, Chris Paul, dont le génie sportif est quotidiennement sous-estimé, sous-apprécié, pour une seule et bonne raison : il n’a pas sa bagouze. Pourtant, il faut être particulièrement aveugle ou confondre de sport pour ne pas voir que le meneur des Clippers est un des meilleurs meneurs de l’histoire, qu’il possède toutes les qualités requises chez un général cinq étoiles afin de rejoindre la table des héros. Mais non, malheureusement, modèle juridique et moral oblige, on s’obstine presque mécaniquement à le ranger dans la case Hotel Ibis alors qu’on est sur du Bristol sans trembler du menton. Sans prendre en compte, par ailleurs, qu’un titre se gagne énormément grâce à un management en béton armé ainsi qu’un coach des plus solides, conditions dont CP3 est orphelin depuis fort longtemps car bossant avec un génie d’un tout autre genre, dénommé Doc Rivers. Et des cas comme le sien, on pourrait en sortir des wagons tous les matins. Wilt Chamberlain n’est pas aussi respecté qu’un autre mastodonte, car sa main est moins brillante. Allen Iverson, John Stockton, Charles Barkley, Dominique Wilkins, Karl Malone, Pat Ewing, Reggie Miller et toute la fine équipe, tous rangés comme des malpropres dans le plus obscur tiroir, car ils n’ont pas coché la case champions. Quelle tristesse, quand on s’y penche sérieusement, de rester enfermés dans cette hiérarchisation systématique et basée sur les titres, alors que ces légendes ont tant apporté, dans des aspects dont on ne semble plus avoir grand chose à foutre, comme la persévérance face à la difficulté, la croyance en ses coéquipiers et la loyauté envers un groupe qui a cru en vous. No shots fired, KD en a déjà pris assez depuis ce début de mois de juillet.

La seconde question est donc la suivante, pourquoi ne pas tenter de respecter la loi du playground ? Par loi, on fait évidemment référence aux fameuses équipes organisées en deux-deux le dimanche aprem : les maillots contre les torses-nus. Pas de CV, pas de bagues, pas de hiérarchisation, hormis visuelle – donc physique – et technique – un peu plus tard -. Là, on aimerait volontiers regarder la place d’un Patrick Ewing ou d’un Carmelo Anthony, par rapport à d’autres collègues qui ont certes remporté leur bague, mais aussi grâce à un entourage brillant, à commencer par les recruteurs puis les stratèges de leur franchise (coucou Tony). Et face à cette interrogation, la réponse tombe sans la moindre surprise. Non, on ne peut opérer ainsi, ce serait trop subjectif et donc trop difficile de quantifier. Machin a tant de titres, là on obtient un bon repère dans l’immédiat. C’est à ce moment-là qu’on peut alors différencier certains chemins, comme le sacre d’un Dirk face à celui d’un KG. Entre un homme qui tient jusqu’au bout pour l’emporter où il a toujours été, et un autre qui a dû aller ailleurs afin d’y arriver. Voilà une vraie belle piste à creuser, et qui nous ramène justement à la case départ, donc à l’affaire du numéro 35. Le choix de la facilité, ou shortcut pour les anglicistes. Que notre cher Kevin Durant souhaite remporter sa bague afin de ne plus appartenir à la case des éternels opprimés, soit. C’est son boulot, son choix, respectons-le. Mais un titre validé avec des Warriors déjà fabuleux et qui l’ont tapé fin-mai ‘vaudra-t-il autant’ que celui qu’il aurait pu gagner avec le Thunder ? Numériquement oui, émotionnellement absolument pas. Il suffit d’ailleurs de voir LeBron offrir à Cleveland sa première bannière pour le hisser dans les hauteurs les plus stratosphériques, sans même avoir à se souvenir que deux premières parades avaient eu lieu en sa présence sous le maillot du Heat. La décision de KD est donc purement véhiculée par un besoin urgent de remporter un titre, mais voilà aussi où nous en sommes arrivés aujourd’hui : ne dépendrions-nous pas excessivement de ce divin coup de tampon, sur la carte de champion ? Et pour aller plus loin, ne devrions-nous pas nous-mêmes réduire l’importance de la bague et apprécier simplement l’excellence de certains, qui n’ont pourtant pas les doigts lourds ?

Le 4 juillet 2016 restera marqué pendant longtemps dans les mémoires des fans, de ceux qui étaient présents en direct, afin de découvrir la choquante nouvelle entourant la décision de Kevin Durant. Cependant, à y regarder de plus près, c’est peut-être aussi un peu de notre faute, aussi involontaire que ce fût. Car à force de rabaisser les non-titrés et de glorifier en permanence les propriétaires de bagues, nous avons contribué à créer un mécanisme qui ne se base plus que sur cette condition de respect sine qua none. Et c’est très certainement dans ce moule, assez pervers, que le paroxysme a été atteint avec KD cet été, au point de rejoindre l’ennemi dont il n’avait pas réussi à se débarrasser un mois auparavant. Il sera temps, un jour, de réorganiser tout ça, afin de remettre au premier plan un aspect fondamental de la grandeur sportive et qui ne se quantifie pas : qu’on n’est pas obligé d’avoir une bijouterie à la main afin d’être considéré comme une légende, et qu’on peut aussi être un des meilleurs de l’histoire sans posséder de bague. A bon entendeur…

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