Hank DeZonie, le quatrième pionnier oublié par la NBA

Le 12 févr. 2024 à 07:09 par David Carroz

Hank DeZonie, le pionnier oublié
Source image : Midjourney

Dans la liste des pionniers de la communauté afro-américaine ayant foulé les parquets NBA, Hank DeZonie n’est pas le blaze le plus cité ou le plus connu. Il faut dire qu’en plus d’avoir débarqué dans la Ligue quelques semaines après le trio Chuck Cooper – Earl Lloyd – Nathaniel Clifton – il s’est contenté de cinq petites rencontres avant de rendre son tablier. Une histoire qui illustre très bien cette difficile ouverture de la NBA.

On le sait, les archives sur les débuts de la NBA sont des pépites à aller chercher. Et il faut souvent beaucoup creuser puisque la Ligue a la mainmise sur son histoire et la narration qui va avec, en particulier en ce qui concerne ses origines. Tout d’abord lorsqu’elle décide que seule la BAA est à prendre en compte avant 1949, la NBL étant clairement mise de côté, voire oubliée. On enchaine rapidement avec un story-telling sélectif concernant l’intégration des joueurs afro-américains puisque si Earl Lloyd, Chuck Cooper et Nathaniel Clifton sont désormais reconnus – il a fallu du temps d’ailleurs pour cela – Hank DeZonie a pour sa part été abandonné au bord de la route de la narration. Il suffit de jeter un œil sur le site l’histoire de la ligue pour s’en apercevoir. En lisant la page dédiée à la saison 1950-51, voilà ce qu’on peut lire :

“La saison a aussi été marquée par la première apparition de joueurs noirs dans la ligue. Chuck Cooper est devenu le premier joueur noir a être drafté lorsqu’il a été sélectionné par les Boston Celtics; Nat “Sweetwater” Clifton est devenu le premier à signer un contrat NBA lorsqu’il a signé avec New York, et Earl Lloyd est devenu le premier à jouer dans un match NBA de saison régulière parce que le calendrier a fait que son équipe de Washington débutait un jour avant les autres.”

Résumons. Chuck Cooper, premier drafté. Earl Lloyd, premier à jouer. Nat Clifton, premier à signer.

Hank DeZonie ?

Le quatrième homme, le dernier arrivé, le premier parti. Quoique pas vraiment, puisque Lloyd – avant de revenir en 1952 – a dû quitter sa franchise pour rejoindre l’armée avant même que DeZonie pointe le bout de son nez en NBA. Le premier oublié donc.

Pourtant, Hank DeZonie est bien de l’ouverture de la NBA aux Afro-américains en cette saison 1950-51. Début décembre, il foule pour la première fois un parquet NBA, le jersey des Tri-Cities Blackhawks – franchise qui représente Davenport dans l’Iowa ainsi que Moline et Rock Island dans l’Illinois – sur les épaules, face aux New York Knicks. Un clin d’œil puisqu’il croise donc pour ses débuts un autre pionnier, Nat Clifton. Avec qui il partage d’ailleurs quelques points communs dont des passages sous le maillot des New York Rens et des Harlem Globetrotters, les deux meilleurs Black Fives de l’histoire. Les deux joueurs sont en mode arrosage automatique ce jour-là, un sur huit pour Sweetwater, trois sur treize pour DeZonie. Peu importe, il fait désormais partie de la grande famille NBA. Non on rigole, cela n’a rien d’une grande famille à l’époque, en tout cas pas pour les Afro-américains. Hank DeZonie le rappelle lui-même :

“Je ne jouais pas. Je n’étais pas intéressé. Red (NDLR : Sarachek, un entraineur qui a remarqué DeZonie en ABL avant de le conseiller aux Blackhawks) pensait que je pouvais jouer et faire comme si de rien n’était. […] C’était comme cela, je ne pouvais plus supporter cela. Mis à l’écart du reste de l’équipe qui restait dans un hôtel luxueux. Cela te remue les tripes. Les épines de la ségrégation ont laissé des cicatrices que vous ne pouvez pas imaginer. Ces personnes (blanches) ne se rendent pas compte de ce qu’elles ont fait aux autres. C’était une expérience pitoyable parce qu’il n’y avait plus aucun plaisir à jouer. L’hébergement, la ségrégation. Je n’en pouvais plus.”

Contrairement aux autres pionniers, Hank DeZonie n’a pas la force d’accepter cette situation et la frustration qui peut en découler.

C’est d’ailleurs l’une des grandes différences avec les autres pionniers. Déjà repéré par Red Auerbach – séduit par sa puissance, ses qualités athlétiques mais aussi son adresse au tir – qui l’invite pour le training camp des Celtics, Hank DeZonie est finalement recalé. Son caractère ne colle pas aux aspirations du futur coach mythique qui débute son histoire à Boston. Avec son expérience professionnelle déjà conséquente – entre les New York Rens et les Harlem Globetrotters – DeZonie n’est pas un débutant. Il a déjà encaissé les coups de la ségrégation et fait ses preuves sur les parquets. C’est ce qui rejaillit ensuite chez les Blackhawks. Entre un coach qui ne l’utilise guère et une séparation constante des autres membres de l’équipe en dehors du terrain, les bases ne sont pas saines pour que l’intérieur de 1m98 s’épanouisse.

17 points, 18 rebonds et 9 passes en 5 rencontres.

C’est le bilan de la triste aventure de Hank DeZonie en NBA lorsqu’il dit stoppe le 13 décembre. Mais il fait bien partie des ces premiers Afro-américains sur les terrains NBA. Ne mérite-t-il pas de figurer lui aussi dans les livres d’histoire quand on connaît le contexte racial de l’époque ? Surtout qu’il illustre une autre facette de cette ouverture de la ligue. Moins glorieuse, mais tout autant représentative de ce que vivaient les Afro-américains aux États-Unis à cette époque. Cette atmosphère qui le pousse à s’éloigner de la Ligue rapidement mérite d’être soulignée dans la narration de l’intégration de la NBA, rappelant qu’elle ne fut pas un long fleuve tranquille.

Ironie de l’histoire, ce n’est pas la première fois que la National Basketball Association passe un coup de balai sur les accomplissements de DeZonie.

En effet, lorsqu’elle laisse de côté l’histoire de la NBL en 1949 lors de la fusion, elle réduit au silence les prémices de l’intégration que cette ligue a connu, au contraire de la BAA. Dont la présence de Hank DeZonie et de toute l’équipe des Rens. Après de longues années de barnstorming, suite à de nombreuses tentatives d’intégrer une ligue professionnelle, les New York Renaissance disposent enfin d’une chance en NBL. Enfin une chance, façon de parler. En remplaçant les Detroit Vagabond Kings qui mettent la clé sous porte, ils doivent s’installer à Dayton dans l’Ohio, bien loin de leurs habitudes à Harlem. Sportivement, c’est compliqué. Financièrement, encore plus. Et le fait de ne pas être retenus pour rejoindre la NBA lors de la fusion est le coup de grâce pour les espoirs des Rens à faire partie d’une grande ligue.

Comme d’autres joueurs des Rens suite à cet échec, Hank DeZonie (meilleur scoreur de l’équipe avec 12,4 points en 18 rencontres) rebondit en ABL. Une ligue mineure mais néanmoins intégrée qui fait son petit bonhomme de chemin dans l’ombre de la NBA et qu’il connaît déjà bien, puisque le bougre n’hésite pas à “doubler”. En gros, DeZonie joue dans une équipe de ABL – les Harlem Yankees – en plus de son contrat avec les Rens. C’est donc sans surprise qu’il rebondit en ABL après ses déboires chez les Tri-Cities Blackhawks.

Dans son jardin, il cartonne jusqu’à sa retraite en 1953.

Une carrière moins médiatique mais réussie puisque selon la Pro Basketball Encyclopedia, aucun joueur n’a scoré plus que Hank DeZonie en ABL entre 1949 et 1953. Pas de quoi lui ouvrir une nouvelle porte en NBA, mais en avait-il seulement encore envie après son pénible premier essai ? À la place, il a su faire son trou à Harlem, où il tenait un bar avec sa femme, le Renny Lounge. Un établissement situé au rez-de-chaussée du Renaissance Ballroom, bâtiment qui a vu les exploits des Rens des années plus tôt.

Né dans le quartier en 1922, il y est resté très attaché toute sa vie, vivant comme un déchirement la période de son enfance où il déménage puis vit dans le Bronx. Mais cette rupture de quelques années a aussi forgé Hank DeZonie, puisque c’est dans ce quartier majoritairement blanc à l’époque qu’il a pris son envol en tant que basketteur. Les playgrounds où il tâte la balle orange avec ses camarades juifs deviennent le seul endroit où il parvient à s’intégrer, s’amuser, s’épanouir. Où il idolâtre John Isaacs qui brille déjà chez les Rens et qui sera son coéquipier des années plus tard.

La NBA a finalement admis son statut de pionnier à Hank DeZonie en le présentant au cours d’une cérémonie d’avant match en 2000. Il a rejoint Earl Lloyd ainsi que la fille de Chuck Cooper et la femme de Nathaniel Clifton – les deux pionniers étant décédés respectivement en 1984 et 1990 – le 31 octobre 2000 au Madison Square Garden pour l’ouverture de la saison des 50 ans des débuts des Afro-américains en NBA. Un peu moins de neuf ans plus tard, il meurt le 9 janvier 2009 dans un hosto de Harlem suite à des soucis respiratoires et pulmonaires qu’il traînait depuis de nombreuses années. Sans plus de reconnaissance de la part de la Ligue.