Black History Month : Edwin B. Henderson, le grand-père du basketball afro-américain
Le 03 févr. 2023 à 17:33 par David Carroz
1896. La décision de la Cour Suprême Plessy v Ferguson pose les bases de la ségrégation à travers son sinistre “séparés mais égaux”. Pendant des décennies, les Afro-américains sont mis de côté pour tout : le vote, l’éducation et même le sport. Alors le basket inventé quelques années plus tôt par un Blanc “à l’origine pour être un sport pour les hommes blancs” d’après Michel Novak dans The Joy of Sports, ils s’en cognent. Jusqu’à ce que Edwin B. Henderson ne décide d’en faire un outil d’éducation et d’émancipation.
Je doute énormément que la simple acquisition de centaines de diplômes ou honneurs universitaires ait influencé l’opinion publique d’Amérique autant que l’appel émotionnel provoqué par nos meilleurs athlètes. – Edwin Bancroft Henderson
Pourtant, lorsque Edwin B. Henderson apporte le basketball à ses élèves afro-américains à partir de 1904, sa vision est avant tout éducative. Pour lui, ce nouveau sport et ses valeurs doivent permettre aux siens de s’élever socialement en leur offrant éventuellement l’opportunité d’avoir des entrées dans des universités prestigieuses. C’est d’ailleurs du côté de Harvard que pour sa part il a réellement découvert le panier-ballon, lors de cours estivaux pour pouvoir enseigner ensuite l’éducation physique.
Mais le coup de foudre n’est pas immédiat. Au lycée déjà, Edwin a pu voir quelques camarades taquiner la balle orange, principalement chez les filles. D’ailleurs, il reconnaît des années plus tard sa difficulté à transmettre sa passion chez les petits gars de sa communauté qui “considèrent le basket comme un sport de fillettes.”
Pour Henderson, ce nouveau jeu – dont il tire l’enseignement de professeurs ayant eux-mêmes découvert le basketball auprès du Dr. James Naismith – est parfait pour accompagner sa communauté et lui offrir des opportunités. Un peu d’intelligence, un peu de force et du travail d’équipe : recette succulente pour pousser les Afro-américains à l’activité physique à une époque où la santé publique au sein de cette communauté est un véritable problème. À D.C., le taux de mortalité des Afro-américains est deux fois plus élevé que celui des Blancs, avec la pneumonie et la tuberculose qui jouent un triste rôle de faucheuse bien trop important. Henderson en a bien conscience :
Il est malheureusement vrai que la vitalité de la jeunesse nègre est sapée par la ville surpeuplée […] et avec une mauvaise hygiène de vie.
L’équation est simple et se rapproche des idéaux de James Naismith mais aussi des principes de la “Chrétienté Musculaire” à la mode dans les YMCA : un esprit sain dans un corps sain. Edwin B. Henderson apporte donc basketball à sa communauté dans le système éducatif ségrégué de Washington D.C. Avec pour objectif d’améliorer la santé des siens et leur proposer des chemins pour s’élever, avancer au sein de cette société où ils sont laissés à part.
Il le vit lui-même lorsqu’il souhaite assister à une rencontre de basketball au sein d’une YMCA. Même auprès de ceux se réclamant de l’amour du Seigneur, il se fait mettre à la porte, un Afro-américain n’ayant pas à se mélanger avec les Blancs. Il comprend donc que c’est à lui de mettre en place toute la structure pour permettre à sa communauté de pratiquer ce sport. La tâche est immense, mais petit à petit, il forme des arbitres, entraîne des joueurs, trouve des endroits où jouer. Il organise tout, en dépassant même le cadre de la balle orange puisqu’il est l’un des instigateurs de l’InterScholastic Athletic Association qui va être la base du sport lycéen et universitaire pour les Afro-américains pendant plusieurs années dans de nombreux états.
Mais cette structuration ne suffit pas à assouvir la passion que voue Edwin B. Henderson au basketball. Il tâte aussi la balle orange. En particulier au sein de la YMCA de sa communauté située dans la Douzième Rue de Washington D.C. Avec succès, puisque cette équipe remporte le titre de Colored Basketball World’s Champions en 1910. Un trophée décerné par la presse afro-américaine qui étudie les rencontres des Black Fives – des équipes 100% issues de cette communauté – afin de savoir lequel est le boss du game. Certes, il ne s’agit pas d’une compétition organisée, encore moins à grande échelle, mais pour la première fois, ce titre remis depuis 1908 échappe à une formation new-yorkaise.
Un coup d’éclat sans lendemain pour Edwin B. Henderson car dès la saison suivante, il raccroche ses sneakers à tout juste vingt-sept piges, promesse faite à son épouse lors de leur mariage. Il se concentre donc de nouveau sur l’organisation, la formation et l’arbitrage pour permettre à la balle orange de continuer son développement au sein de sa communauté. Puis c’est encore à un niveau au-dessus, en tant que militant pour les droits civique, qu’il poursuit son œuvre.
Un travail monumental longtemps oublié par l’histoire. Seule la découverte de souvenirs stockés dans une vieille malle par ses descendants a permis de donner un coup de projecteur sur Edwin B. Henderson. À force de boulot, ils ont fini par convaincre le panthéon du basketball d’ouvrir ses portes à celui qui est désormais considéré comme le Grand Père du basketball afro-américain.
Source : The Black Fives: The Epic Story of Basketball’s Forgotten Era de Claude Johnson et Hot Potato de Bob Kuska