La NBA en plein virage : des trades qui deviennent parfois de vrais divorces, et un divorce ça peut être vicieux

Le 29 sept. 2021 à 15:02 par Arthur Baudin

Clippers Paul George Kawhi Leonard
Source image : NBA League Pass

Présenté par HoopsHype comme l’un des maux qui pourraient contraindre la Ligue à modifier très prochainement sa réglementation, le trade développe une dimension vicieuse qui amène désormais les deux partis – franchise et joueur – à se quitter en mauvais termes. Regard extérieur oblige, nous ne sommes pas au courant de tous les éléments internes d’une séparation qui aujourd’hui, ressemble grandement à la poignée de mains entre Thomas Ngijol et Fabrice Éboué. On débrief.

S’il est une chose importantissime à savoir, c’est qu’un trade implique bien plus de deux acteurs. Certes la franchise et son déserteur restent les principaux concernés, mais avec la place qu’occupent les médias dans nos sociétés, il va de soi que beaucoup de nouveaux paramètres entrent en compte. Les déclinaisons comme la famille du joueur et son agent ont également leur mot à dire. Il ne faut donc négliger aucun parti, sous peine de manquer le coche et de perdre une bataille de calculs qui nécessite rhétorique, habileté et un zeste d’hypocrisie (toute une bouteille). Le but du jeu, c’est que chacun y trouve son compte sans que les appels téléphoniques ou les réunions en tout genre ne se multiplient jusqu’à saturation et lassitude médiatique. L’image du joueur et de la franchise pourraient ainsi être touchées. Grâce au travail de HoopsHype qui s’est entretenu avec trois agents et deux dirigeants – restés anonymes -, un horizon jusqu’à présent flou s’éclaircit et nous dévoile ses méthodes de gestion de trade, parfois peu orthodoxes.

« C’est un divorce. […] Il faut devenir méchant à un moment donné. Ce que j’essayais toujours de faire, c’était de forcer le tempérament et la disponibilité du joueur à changer pour montrer à l’équipe que cela ne fonctionnerait pas. » – un agent de plusieurs All-Stars, resté anonyme

Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette situation est totalement comparable à celle d’une ex un peu lourdote qui passe son temps à vous textoter. Plutôt que de lâcher des vérités trop crues pour être entendues, il est plus érudit de se rendre indésirable et repoussant. L’excuse du « c’est pas toi c’est moi, tu seras jamais heureuse avec moi » est une bonne idée mais ne fonctionne pas forcément avec une franchise NBA, donc l’agent supposé anonyme (moui d’accord) nous donne ses méthodes pour qu’une demande de trade glisse comme dans tobogan mouillé. Se façonner une image de petit bad boy en cisaillant ses dispos pour l’équipe, snober quelques rassemblements pourtant importants et griser son tempérament, tout ce que fait actuellement Ben Simmons quoi. On rappelle que l’Australien, actuellement à Los Angeles, a refusé que Joel Embiid, Tobias Harris et Matisse Thybulle ne prenne l’avion de Philly pour venir discuter, et a séché le media day ainsi que la reprise du camp d’entraînement. C’est qui son agent déjà ? M’enfin, l’agent resté anonyme confie ensuite que leur parole est souvent remise en cause par les franchises, ce pourquoi il est toujours préférable que le joueur aille directement faire sa requête auprès des dirigeants. C’est aussi une manière pour lui de se faire oublier et de gérer tranquillement la grosse part du boulot qu’un trade implique, sans que l’équipe ne le cible comme le principal responsable de ce transfert. « S’ils communiquent, que communiquent-ils ? » rajoute l’agent, démontrant qu’il doit toujours être averti des intentions de la franchise et que son joueur permet le relais entre les deux camps. Le tabou fait qu’un métier qui a normalement pour vocation de manager une carrière, soit désormais obligé de jouer au téléphone arabe pour communiquer avec la direction d’une équipe.

La suite prend place sur un échiquier. Bien que la plupart des agents fassent en sorte que l’affaire ne fuite pas dans les médias, car la franchise est déjà en position de faiblesse et que cela pourrait la perturber davantage, il arrive que les différents partis divulguent publiquement des infos de manière sélective. « En fonction de la réaction de l’équipe, si ce n’est pas ce qu’ils veulent, ils s’adressent aux médias et diffusent la demande de trade », confie un dirigeant anonyme. Une franchise a également le réflexe de se servir des médias pour faire monter les enchères, en inventant des rumeurs comme quoi telle ou telle équipe aurait proposé un joli package. Cela a beau être rare, les agents entretiennent parfois de bonnes relations avec les directions, auquel cas ils peuvent discuter ensemble des potentielles destinations afin de monter un trade qui arrangerait les deux camps. Mais le ton cordial peut rapidement laisser place à la douille camouflée puisque rien n’empêche l’équipe de négocier avec une franchise qui n’intéresse pas du tout le joueur, dans le dos de l’agent. Si ce dernier n’est pas assez puissant pour faire capoter un deal déjà bien avancé, alors c’est ciao bambino et Goran Dragic le joueur n’est plus maître de son destin. Vous l’aurez compris, les deux partis principalement concernés sont munis d’armes qu’ils doivent utiliser au bon moment et il est rarissime que la poignée de mains finale satisfasse tout le monde. Un agent se souvient avoir bloqué l’échange de son joueur star au dernier moment, provoquant l’ire d’un cadre.

« Je me souviens qu’un cadre m’a appelé pour me dire : “Espèce de connard. Tu m’as bai**. Je vais venir te choper”. J’ai vraiment été pris au dépourvu. Je l’ai laissé m’insulter. Quand il eut fini, il m’a raccroché au nez. Ensuite, je ne l’ai pas rappelé. Environ une semaine plus tard, il m’a appelé et s’est excusé pour sa réaction. » – un agent, resté anonyme

Le plus souvent, ce qui guide la tournure que va prendre une demande de transfert, c’est sa cause. Manque de temps de jeu, d’ambitions collectives ou négociations contractuelles ayant foiré, la demande du joueur peut se montrer légitime comme décidée à la volée. Pour imager tout ça, on voyait mal les Pelicans retenir Anthony Davis plus longtemps lorsque ce dernier a demandé son trade en janvier 2019. Il a finalement filé l’été suivant aux Lakers, mais même pour un immense talent resté sept ans avec les E’Twaun Moore et Luke Babbitt, et envieux de se barrer à un an du terme de son contrat, rien ne fut simple. A contrario, difficile de donner raison à un type comme Paul George qui s’est taillé aux Clippers après avoir signé une prolongation bien grassouillette avec le Thunder l’été précédent, de 137 millions sur 4 ans. Le genre d’affaire qui vient totalement chambouler le plan d’avenir de la franchise dont tous les moves dépendaient forcément d’un roster comprenant l’ailier All-Star. Quand on ne peut pas on ne s’engage pas, et c’est là que le CBA – contrat qui lie la NBA, les 30 propriétaires de franchises et le syndicat des joueurs – va devoir très prochainement frapper un grand coup en favorisant la situation des équipes qui sont trop souvent prises au dépourvu. Une prolongation doit rester une prolongation et ne pas engager seulement l’équipe qui lâche les flouzes, pour un garçon qui peut se barrer vraisemblablement quand il le souhaite. Né dans l’évolution des mœurs, voici un nouveau défi pour la Grande Ligue qui une fois de plus, va devoir s’adapter.

Ça fait du bien de mettre le nez hors des parquets, même si c’est pour le foutre dans des affaires de gros sous. C’est toujours appréciable de comprendre les rouages d’un système qui, bien qu’il nous cache probablement encore quelques valisettes passées sous le manteau, devient de plus en plus accessible à la compréhension générale. Une sorte de Game of Thrones en moins cool.

Sources texte : HoopsHype


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