Black History Month : Elgin Baylor fait décoller la NBA et se bat pour le respect

Le 20 févr. 2023 à 09:13 par David Carroz

TrashTalk Black History Month Elgin Baylor
Source image : Youtube, montage Léonce MVP

Dans la liste des joueurs les plus importants de l’histoire de la NBA, Elgin Baylor mérite une place de choix. Star reconnue, son impact sur le style de jeu rayonne encore aujourd’hui. Tout comme son engagement pour sa communauté, même s’il s’en défend.

Elgin Baylor, ce sont avant tout des chiffres. Vertigineux. 27,4 points et 13,5 rebonds de moyenne sur 14 saisons, même si les deux dernières sont peu représentatives à cause des blessures. 71 pions sur le museau des Knicks en 1960, un record pour les Lakers qui va tenir jusqu’à l’extinction des dinosaures canadiens provoquée par Kobe Bryant. 61 points lors du Game 5 des finales de 1962. Personne n’a fait mieux dans l’histoire à ce niveau de la compétition. On peut saupoudrer tout cela de quelques accolades comme 11 sélections au All-Star Game ou 10 saisons finies dans une All-NBA Team. Bref, un mec qui pèse, comme en attestent sa place au Hall of Fame ou au sein des 75 meilleurs joueurs célébrés l’an dernier par la NBA.

Les esprits chagrins pour qui seuls comptent les titres brandiront comme sentence irrévocable que ses sept voyages jusqu’aux finales NBA (en 1965, les Lakers atteignent cette dernière marche sans succès aussi, mais il est blessé) se sont conclus par autant de défaites. Que lorsqu’il prend sa retraite après neuf petites rencontres lors de la saison 1971-72, les Lakers vont cette fois au bout et ramènent le premier titre de leur histoire à Los Angeles (les précédents datant de l’époque Minneapolis). Qu’il est par conséquent un gros loser. Ou peut-être juste un sacré poissard qui a connu son prime en même temps que Bill Russell qui raflait tout sur son passage avec les Celtics.

Mais Elgin Baylor, c’est bien plus que cela. Que ces données chiffrées qui ne racontent qu’une partie de sa légende. Celle qui a fait de lui l’ancêtre des Julius Erving ou Michael Jordan. Quand il débarque en NBA en 1958, le jeu pratiqué ne fait pas rêver. Les mecs tirent les pieds vissés au sol, peu de place est laissée à l’inspiration des joueurs. Bref, on peut vite s’ennuyer. En s’élevant dans les cieux, en apportant sa créativité et ses arabesques aériennes, il a révolutionné ce sport. Bill Simmons résume cela très bien :

Avec (Bill) Russell, Elgin a transformé un jeu horizontal en un vertical.

Le dossier du bonhomme est donc très sérieux lorsqu’on évoque l’histoire de la NBA. Impact des chiffres. Impact du style. Mais aussi impact social lorsque le 16 janvier 1959, encore rookie, il refuse de jouer. Alors que les Minneapolis Lakers sont en déplacement à Charleston pour affronter les Cincinnati Royals – oui, en ce temps des matchs sont délocalisés pour toucher plus de monde – il va boycotter la rencontre. À l’aube des Sixties, la Virginie occidentale est semblable à de nombreux États américains : ségréguée. Si bien qu’au moment de se poser dans leur chambre d’hôtel, Elgin Baylor et deux autres coéquipiers afro-américains – Boo Ellis et Ed Fleming – le réceptionniste déclare qu’ils se trouvent dans un établissement respectable et qu’ils n’ont rien à faire ici. Ils doivent aller voir ailleurs.

Si aujourd’hui on célèbre le MLK Day, le 16 janvier est aussi une date importante dans la carrière d’un joueur d’exception, monsieur Elgin Baylor. Pour @trashtalk_fr je vous raconte tout ca. On s’assoit pépère pour profiter 👇👇👇 pic.twitter.com/Kyyy3mPz0k

— David TrashTalk (@TheBigD05) January 16, 2023

Les contestations des autres joueurs des Lakers n’y changent rien et l’’équipe finit par bouger dans un autre hôtel, dans le quartier noir de la ville. Le malaise est palpable, les joueurs blancs reconnaissant même à Elgin Baylor qu’ils ne se sentent pas à leur place dans cette nouvelle auberge. Une façon pour eux de voir l’envers du décor, ce que vivent les Afro-américains, constamment dans cette société américaine régie par les lois Jim Crow.

Malgré cela, Baylor se sent vide. Posé dans le vestiaire avant le match, il décide de protester. Il annonce donc à son coéquipier Rod Huntley, régional de l’étape, qu’il ne jouera pas. Celui-ci qui a poussé pour que cette rencontre ait lieu dans sa ville de naissance, ne comprend pas. Las, Elgin Baylor lui exprime son état d’esprit :

Je suis un être humain Rod. Je veux être traité comme un être humain.

Huntley ressent alors la douleur, la détresse de son coéquipier. S’il reconnaît ne pas forcément comprendre ce que traverse Baylor, il le soutien :

Tu as raison. J’avais tort. Ne joue pas mon pote.

Maintenant, il va falloir assumer pour Elgin Baylor. Le boycott d’une rencontre NBA, ce n’est pas banal. Si pendant le match les gens s’interrogent sur la raison de cette absence, rien ne fuite. Mais lorsqu’ils découvrent un peu plus tard qu’il ne s’agit ni d’une blessure, ni d’une suspension, ni d’une maladie, le cirque peut commencer. Un torrent de haine se déverse sur l’ailier des Lakers, tout comme les lettres d’insultes. La NBA, très courageusement, refuse de prendre position et préfère laisser les Lakers gérer ça en interne. Et alors qu’il aurait pu suivre la tempête médiatique, Bob Short, le proprio, défend son joueur, aussi bien publiquement qu’en privé. Le problème n’est pas la réaction d’Elgin Baylor, mais le traitement qu’il a subi.

La NBA se met dans la roue de Bob Short et décide d’interdire aux hôtels la discrimination des joueurs. Le maire de Charleston, qui avait certes déclaré regretter l’incident sans pour autant demander pardon, finit par appeler Elgin Baylor pour s’excuser. Si Baylor s’est toujours défendu de toute volonté politique, affirmant seulement avoir agi pour lui, il n’en a pas moins fait bouger les choses. Et probablement inspiré Bill Russell – pas mal non plus comme joueur engagé pour sa communauté – à suivre le même chemin du boycott pour des faits similaires lors d’une rencontre à Lexington en 1961. Ou encore les joueurs qui en 1964 ont fait planer la même menace sur le All-Star Game, cette fois-ci pour améliorer leurs conditions. Et qui étaient en première ligne pour soutenir l’idée aux côtés du président de l’association des joueurs Tom Heinsohn ? Bill Russell et Elgin Baylor.

Autant dire qu’en dehors de sa marque indélébile laissée sur les parquets par son style et ses performances, Elgin Baylor a aussi offert aux joueurs actuels un héritage majeur : celui de se battre pour leurs droits. Pour cela et pour tout le reste, sa place est parmi les étoiles qu’il tutoyait lorsqu’il s’envolait vers le cercle.


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