Se taire, c’est cautionner.

Le 31 mai 2020 à 16:22 par Bastien Fontanieu

jaylen brown
Source image : YouTube

C’est un événement qui a chamboulé les Etats-Unis et suscité de vives émotions, un peu partout dans le monde. Le décès de George Floyd sous le genou d’un policier blanc à Minneapolis cette semaine a poussé l’Amérique dans une zone de quasi-implosion, et provoqué des échanges houleux sur les réseaux sociaux. Des joueurs de NBA sont ainsi montés au créneau ces derniers jours, pour s’exprimer, manifester, témoigner leur soutien et tout simplement faire ce qu’il faut faire : ne pas se taire.

La position est délicate.
Initialement, c’est l’hésitation qui domine au-dessus de tout.

Pourquoi devrait-on parler de cet événement en prenant position, alors que TrashTalk est un média d’actualité NBA ? De quel droit, ou plutôt dans quel siège sommes-nous, pour sortir de cette zone de confort sportive et soudainement s’exprimer avec pugnacité sur un sujet de société. Surtout lorsque ce sujet est mis sur la table par une occurrence américaine, et non française. La réponse tient en quelques exemples.

Donald Sterling et ses propos racistes en 2014. Jason Collins et son coming-out en 2013. Russell Westbrook injurié à Utah. Joel Embiid en équipe de France, Jeremy Lin et l’appropriation culturelle, et ainsi de suite. Oui, même si cela peut sortir des méthodes traditionnelles et créer la controverse quant au rôle d’un média de sport en France, nous avons toujours tenu à prendre la parole pour faire avancer le débat sur certains sujets qui sortent des quatre lignes du terrain, et à des moments précis. Le cas de George Floyd entre dans cette catégorie.

 

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Il y a l’auteur d’un côté, et il y a le rédacteur de l’autre. Le rédacteur voit Jaylen Brown taper 15h de routes en bagnole, de Boston à Atlanta, pour participer ce samedi à une manifestation pacifique contre les injustices sociales dans son pays. C’est Malcolm Brogdon, lui aussi vice-président de l’association des joueurs, qui rejoint son collègue des Celtics pour s’exprimer avec éloquence sur les événements récents. On peut aussi citer LeBron James, Trae Young, Dwyane Wade, Stephen Curry, et des dizaines de basketteurs actifs ou retraités qui ont pris la parole sur leurs réseaux afin d’articuler publiquement leur frustration cette semaine. Meyers Leonard a tapé du poing sur la table en parlant du privilège blanc qui a lieu aux Etats-Unis, Steve Kerr a lui affirmé que “les blancs n’ont pas encore fait assez” pour éviter ce genre de drame.

Dans les faits, le lien est… fait. Des joueurs de NBA parlent de George Floyd, on va relayer avec ces faits, et puis c’est tout.

Sauf qu’il y a l’auteur, et donc les personnes que nous sommes intrinsèquement, derrière l’écran. Derrière nos rôles ou nos responsabilités. Il y a le moment présent, le respect d’une mission quotidienne comme rédiger un papier sur la NBA car notre situation routinière l’impose. Et il y a le moment plus global dans notre histoire, l’obligation de faire avancer les choses car l’humanité en nous l’impose, car la plateforme qui nous est offerte le requiert. L’idée ici n’est pas de faire la morale sur la façon de traiter un sujet d’actualité, à chacun le droit de s’exprimer à sa façon. Et personne en ce bas monde peut se considérer parfait, même LeBron. Dans un moment d’honnêteté et d’introspection, on peut considérer que cette parole aurait pu être prise pour les Adama Traoré, Zyed, Bouna, Théo et tant d’autres sur bien des sujets en France qui demandent ces élans d’expression. Que pour chaque tragédie il y a une part d’arrivisme, et que la prise de parole ne doit pas retomber une fois l’actualité modifiée.

Mais au-delà du droit et du pouvoir, il y a un devoir. Et ce devoir, c’est de s’exprimer. Quel que soit le combat.

Les récits des années 1940, 50 et 60 nous replongent dans une ère où la parole était là aussi fondamentale. Pas de réseaux sociaux à l’époque, pas de chaîne de télé bombardant des infos (ou de la peur, au choix) H24. Mais des combats, menés de front par des héros de leur époque, qui ont justement fait face à cette hésitation initiale et ont vu qu’il y avait quelque chose de bien plus grand que le moment présent. Que l’effort, car pour beaucoup de monde il s’agit d’un effort, en valait la peine. Et que cela n’améliorerait peut-être pas leur monde, mais que cela embellirait celui de demain. Ce sont les Bill Russell, les Oscar Robertson, les Earl Lloyd, et les Red Auerbach. Ce sont les Kareem Abdul-Jabbar et Wes Unseld, boycottant les Jeux Olympiques de 1968, qui ont tenu droit et pris d’énormes risques quand l’Histoire le demandait. Bien sûr que c’était dangereux à leur époque, que cela pouvait avoir des conséquences terribles pour eux comme pour leurs proches. Et ce danger, bien que différent il existe aussi aujourd’hui, dans une ère d’étiquetage et de la catégorisation.

Tu as pris position donc tu es ceci. Tu as affirmé cela donc tu es untel.

Oui. C’est sûr, c’est risqué et cela peut en faire flipper certains.

Mais se taire dans ce cas précis, c’est cautionner un meurtre. C’est rester dans ce moment présent uniquement, par flemme et par peur, sans contribuer à l’amélioration du monde de demain. Sans prendre conscience qu’il s’agit de quelque chose de bien plus grand, comme le sport l’a tant rappelé au fil des années en permettant aux plus grands athlètes de véhiculer un message positif. Cet égoïsme du silence, on ne le partage pas et on ne le partagera pas. Car il en va de notre responsabilité et de nos valeurs, de choses qui dépassent notre équipe préférée, nos avis sur le jeu de James Harden, nos punchlines sur le contrat de Gordon Hayward ou sur le management des Knicks.

Ce qui s’est passé cette semaine aux Etats-Unis doit pousser à l’expression, à la revendication. Comme ce que l’on peut voir en France et dans d’autres pays. Et il est clair que l’on ne doit pas attendre qu’un événement se produise chez les ricains, tel un haut-parleur mondial, pour échauffer sa voix soudainement. Mais il faut bien un point de départ, un ralliement, quelque chose qui fédère et pousse à l’expression au-delà des barrières habituelles. Si la mort filmée d’un homme sous le genou d’un agent de police, “tel un zèbre dans la gueule d’un lion” soulignait Killer Mike ce weekend, ne vous choque pas au point de vous exprimer sur la situation, alors nous sommes au regret d’annoncer que nos voies se distanceront.

To be silent is to be complicit.
Black lives matter.

We have a platform, and we have a duty to our Black members, employees, creators and talent to speak up.

— Netflix (@netflix) May 30, 2020

Peut-être que la prise de position d’un média français NBA sur ce sujet ne changera pas le monde. Certainement. Peut-être que cela en énervera certains, aussi. Mais peut-être que ces mots, ajoutés à tant d’autres mots venant de tant d’autres personnes à notre époque, contribueront à un regard. Ce regard en arrière, celui jeté quelques décennies plus tard, en se disant que malgré les risques, les critiques, les insultes ou les menaces, cela en valait clairement la peine.

La parole est à nous, et à vous. Maintenant.


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