Reggie Miller, ce moustique qui combattait les gros : retour sur la carrière d’un pur parleur

Le 24 août 2015 à 12:21 par David Carroz

Reggie Miller Playoffs revival
Source image : Youtube

Dans les années 90, le poste de shooting guard était bien représenté en NBA. Si Michael Jordan était bien évidemment le chef de fil de cette génération, d’autres ont également marqué l’histoire de leur franchise et même de la Ligue. C’est le cas de Reggie Miller, promotion 2012 du Hall of Fame et symbole du basket dans l’Indiana à la fin du siècle dernier. Portrait des épreuves que la star des Pacers a traversées pour être reconnu comme l’un des plus grands trashtalkers et l’un des joueurs les plus clutch de l’histoire.

Parce que comme le dit le Suprême, tout n’est pas si facile, tout ne tient qu’à un fil. Et en effet pour Reggie Miller, plusieurs combats l’ont attendu pour lui permettre d’être respecté, reconnu et admiré. De malformations à la naissance jusqu’au record NBA de paniers longues distances réussis (avant que Ray Allen le dépasse), il s’est forgé un caractère et une réputation à la hauteur de son talent et ses accomplissements.

Reggie Miller versus son physique

Quand on voit Reggie Miller pour la première fois sur un terrain de basket, sa silhouette détonne. Grand et élancé, il n’est pas du même moule que Jordan, Drexler ou Richmond, légèrement plus petits et plus costauds que le shooteur des Pacers. Ses jambes fines ne sont pas dans les standards NBA. Et pour cause. Enfant, il souffre de problèmes osseux à la hanche et les médecins annoncent à ses parents qu’il ne pourra jamais marcher correctement. Il doit se coltiner des appareils orthopédiques pour soutenir ses membres inférieurs pendant que les gosses du même âge se dépensent. Pas de course, pas de saut. Se déplacer, c’était déjà une victoire. Des années à mater d’autres gamins – dont ses frères et soeurs – derrière sa fenêtre. Dur. De quoi aiguiser un appétit féroce et forger un caractère. Après quelques années avec ses “prothèses”, ses jambes se renforcent musculairement, suffisamment pour compenser sa malformation et de rejoindre ses camarades et sa famille sur des terrains de sport.

Plus tard, ses adversaires n’hésiteront pas pour appuyer là où ça peut faire mal en envoyant valser Reggie Miller avec des contacts rudes pour l’envoyer au tapis, misant sur une chute de l’arrière sur ses genoux. Des gestes qui recevaient toujours le même accueil de la part du joueur des Pacers. Un sourire narquois, quelques mots doux. Et souvent un tir du parking, comme pour confirmer les paroles glissées à l’oreille de son agresseur en se révélant : “je vais te faire mal à ma manière.”

Mais parfois les chocs étaient trop durs pour Reggie. Comme en fin de saison régulière en 1996, quand après une collision avec Otis Thorpe et Allan Houston lors d’une victoire sur les Pistons, il tombe et se blesse à l’oeil. Pour celui qui gamin a souffert de sa mise à l’écart à cause des ses soucis physiques, cette fracture de l’orbite fait resurgir de vieux démons : et si un shooteur comme lui ne retrouvait pas une vision correcte ? Mais comme dans sa jeunesse, la peur sera mise de côté, et Reggie Miller reprendra le dessus pour revenir tenter de sauver les siens au premier tour des Playoffs; en vain. Malgré ses 29 points en 31 minutes lors du Game 5 face aux Hawks, les Pacers sont éliminés. Mais leur franchise player est rassuré.

Reggie Miller versus sa famille

En dehors de ses soucis physiques enfant, Reggie Miller a également dû prendre le dessus sur un adversaire redoutable et si proche : sa soeur. Chez les Miller, le sport est une affaire de famille : son frère Darrell a été “catcheur” en Major League Baseball, sa soeur Tammy jouait au volley. Mais son concurrent direct n’est autre que Cheryl, son aînée, considérée aujourd’hui comme l’une des meilleures joueuses de basket de l’histoire, elle aussi au Hall of Fame. Et comme souvent, même pour cette reconnaissance post-carrière, elle a devancé son frère, rejoignant le panthéon de la balle orange deux ans avant lui.

Mais c’est cette rivalité fratricide qui a fait grandir Reggie Miller. Des heures durant, il tapait des 1 contre 1 face à Cheryl. Plus âgée, plus grande, elle était sans pitié pour son frère, le contrant à tour de bras. Souvent, les parties s’arrêtaient quand le baron parvenait finalement à éviter la défense de sa soeur ou à exceptionnellement lui caler un block. Pas fréquent. C’est cette différence de taille et le besoin de trouver une solution pour dépasser les longs segments de la future star de la WNBA qui a façonné son jeu, et plus particulièrement son shoot caractéristique. Une rivalité qui va les rapprocher, mais pas pour autant diminuer l’esprit de revanche du futur Pacer. Car lorsqu’ils partaient affronter les autres gosses du quartier, les moqueries étaient nombreuses : “honneur aux filles” quand il s’agit de déterminer qui engage les matches. Une façon de rappeler au garçon qu’il reste le petit à côté de sa soeur. Pourtant, même si en grandissant l’écart diminue et que Reggie pense pouvoir prendre l’avantage, il reste dans l’ombre de Cheryl. Championne olympique en 1984, 12 ans avant la médaille d’or du frérot à Atlanta avec la Dream Team. Sans oublier que lorsqu’il pense s’affirmer, elle score 105 points dans un match au lycée. Pendant qu’elle brille sur les parquets, Reggie Miller est encore trop jeune pour se faire un prénom. Les fans adverses se chargeront de lui rappeler cela tout au long de sa carrière, chantant des “Cheryl, Cheryl” lorsqu’il touche la balle. Lui ne répond pas, encaisse sans broncher et veut faire fermer des bouches par son jeu. Ce qu’il fera au fur et à mesure de sa carrière, à tel point que Cheryl elle-même avouera qu’après le titre olympique de son frère et avec son nouveau statut en NBA, c’est dorénavant elle que les gens interrogent dans la rue : “c’est toi la soeur de Reggie ?”

Reggie Miller versus l’Indiana

En 1987, alors qu’il est le meilleur scoreur de l’histoire de UCLA derrière Kareem Abdul-Jabbar, Reggie Miller est sélectionné par les Pacers. Qui ? Le Californien de naissance ignore tout de la franchise et même de l’état. Sentiment réciproque puisque les fans sont furieux et conspuent Donnie Walsh à l’annonce de son choix par David Stern. Ils n’ont d’yeux que pour Steve Alford, pur produit local qui vient d’être sacré champion NCAA avec l’université d’Indiana et Big Ten MVP. Il atterrira à la place aux Mavs (26ème choix), sa carrière se limitant à 749 points et seulement trois titularisation.

Non seulement c’était un bien meilleur choix que de me drafter… Reggie ne s’est pas seulement révélé comme un excellent choix, mais  également une personne exceptionnelle pour l’état d’Indiana. – Steve Alford.

Bien entendu, Reggie Miller prouvera que les Pacers ont eux raison de miser sur lui. Pour sa première saison, il bat le record de paniers à 3 points inscrits par un rookie. Sur le parquet, il progresse jusqu’à devenir l’option numéro 1 de la franchise en attaque en 1992, lorsque Chuck Person est échangé. Sur les 13 saisons suivantes, il qualifiera Indiana en Playoffs à 12 reprises. Et pourtant, la relation n’a pas toujours été idyllique. Au moment d’avoir l’opportunité de changer d’air et de partir voir ailleurs si la possibilité d’être une star est plus grande, lui décide de rester malgré les conseils de proches. Il compte réaliser ce que personne n’a fait et nourri de grosses ambitions pour les Pacers, mais aussi pour lui au sein de la franchise. Son dévouement ne se limitait pas au parquet. Reggie Miller s’investit également au sein de la communauté. Il veut placer Indiana sur la carte, et lui aussi par la même occasion.

Mais en 1996-97, alors qu’il est au sommet de sa carrière avec l’or olympique et des sélections récurrentes au All Star Game, les événements vont prendre une tournure bien moins agréable. Les Pacers loupent les Playoffs et certains fans jugent Reggie Miller responsable de cette débâcle. Il faut dire qu’avec le gros salaire qu’il s’est vu offrir (plus de 11 millions cette année-là), on attend beaucoup de lui et l’absence de résultat collectif va permettre à certains abrutis de s’en donner à coeur joie. Qui plus est lorsque les négociations pour un nouveau contrat traînent en longueur, mettant en doute la volonté du numéro 31 de poursuivre l’aventure à Indianapolis. L’adresse n’est plus là pour Reggie. Pour couronner le tout, son mariage bat de l’aile. La cause de sa baisse de régime ? En attendant, il doit faire face donc à de grosses difficultés en dehors des parquets, auxquelles s’ajoutent d’autres réjouissances : lettres de menaces, coups de téléphones anonymes au milieu de la nuit… le “mot en N”, comme on dit au pays de l’Oncle Sam, est de sortie. À tel point que cette fois-ci, Reggie Miller songe à partir. Tous ces efforts fournis en vain. Partis en fumée. Comme sa nouvelle propriété, dans laquelle il espérait retrouver un peu de sérénité dans sa vie privée. Incendie criminel. Tentative de meurtre ? Toujours est-il que le joueur n’était pas dans sa maison. Et que la lumière n’a toujours pas été faite sur les raisons du sinistre, un simple acte de malveillance ou pire.

Mais alors qu’il avait annoncé au GM son envie d’ailleurs, Reggie va recevoir un coup de fil, bien plus agréable que ceux menaçants des derniers mois. Larry Bird, définition du basket dans l’Indiana, appelle le shooteur. Il prend les rênes de l’équipe, et il compte sur son franchise player, même s’il acceptera sa décision. Mais les mots sont forts “cette ville, tout comme moi, nous avons besoin de toi.” Miller reviendra, et il ne le regrettera pas.

Reggie Miller représente les “bouseux” versus la grande ville

Malgré ces périodes délicates, Reggie Miller a tout fait pour représenter les Pacers et même l’Indiana. Cet état vu comme un repère de pecnots, de paysans arriérés. N’est-ce pas New York ? L’arrière quant à lui voulait qu’on voit les Hoosiers autrement et qu’on parle du “Carrefour de l’Amérique” avec plus de respect. Il a donc oeuvré en ce sens. Et quelle plus belle scène médiatique que le Madison Square Garden quand on veut faire passer un tel message ? Les Knicks et leurs fans, c’est eux que Reggie Miller veut moucher. Surtout que pendant la période baseball de Jordan, leur arrogance énerve le Californien de naissance. Ils se croient supérieurs, possible. Ils négligent les gars de l’Indiana, fort probable. Mais en finale de Conférence Est en 1994, ce sont bien les Pacers qui se présentent face à eux. Avec un Reggie Miller déterminé. Il faut dire que l’an passé, son duel avec John Starks avait tourné au vinaigre, même si les pensionnaires de la Big Apple s’étaient imposés sans trop de souci au premier tour des Playoffs.

1994 alors, nouvelle confrontation. À 2-2 dans la série, les Knicks pensent se diriger tranquillement vers une victoire au MSG et ainsi se rapprocher d’une qualification qu’ils jugent acquises. Les “Cheryl Cheryl” descendent des tribunes pour accompagner Miller. Spike Lee vocifère à côté du terrain et les hommes de Pat Riley sont à l’aise. Pas tant que ça. Chauffé à blanc par le réalisateur de “Do the right thing”, l’arrière des Pacers prend feu et détruit New York. 25 points dans le dernier quart-temps et des échanges de regard musclés avec Spike. Jusqu’au moment où Reggie Miller mime le geste de l’étouffement. Les Knicks et Spike Lee “chokent” et perdent le match. Ils se qualifieront tout de même après les deux rencontres suivantes, mais ils sont avertis : lors des prochaines confrontations, le franchise player des Pacers ne baissera pas les yeux devant eux. L’avertissement est lancé.

Quelques années plus tard, Indiana tombera face au coeur des Knicks nouvelle version, lors de la saison du lock-out. Une action à 4 points de Larry Johnson, un New York renversant les obstacles les uns après les autres et une nouvelle élimination des Pacers juste avant les Finales NBA. Un revers que Reggie Miller aura du mal à digérer. Obsédé par cette défaite et son incapacité à mener Indiana au bout, il passera son été à bosser comme jamais. Pour atteindre enfin la dernière marche et chuter face aux Lakers de Kobe Bryant et Shaquille O’Neal la saison suivante.

Reggie Miller versus l’horloge

Il ne faudra pas très longtemps aux Knicks pour se rendre compte que l’avertissement de 1994 n’était pas de paroles en l’air. Moins d’un an. En 1995, Indiana et New York se retrouvent en demi-finale de Conférence. La série de la saison précédente est encore dans les esprits, tout comme la performance de Reggie Miller. Pat Ewing et ses troupes ont encore l’avantage du terrain. Ils le gardent durant 47 minutes, presque 48. À 9 secondes près en fait. Celles durant lesquelles l’arrière d’Indiana va faire encore mieux qu’en 1994. Avec 6 points d’avance et moins de 20 secondes à jouer, les Knicks pensent certainement déjà au Game 2. Le public aussi. Les joueurs également, d’un côté comme de l’autre. Pas tous. Pas Reggie Miller. D’un premier tir primé, il réduit l’écart de moitié. Puis il intercepte la remise en jeu, retourne sur le parking et balance une nouvelle ogive. Égalité. La suite, c’est John Starks qui craque sur la ligne des lancers francs alors que son homologue des Pacers assure. 1-0 Indiana, puis 4-3 à la fin de la série. “This is for you Indiana.” L’icône locale, à défaut d’avoir changé les idées reçues sur les “bouseux”, a terrassé l’horloge ainsi que les Knicks, plaçant a minima les Pacers sur la carte NBA.

Reggie Miller versus Michael Jordan

Reggie Miller savait qu’il rencontrerait toujours quelqu’un de plus costaud, plus rapide ou plus athlétique que lui. Mais cela ne l’effrayait pas. Il n’a d’ailleurs jamais refusé un duel avec Michael Jordan. Qui a plus énervé et fait sortir MJ de ses gonds que son adversaire des Pacers ? Les Bad Boys, et c’est tout. Il suffit de taper “Reggie Miller Michael Jordan” sur YouTube pour voir défiler les vidéos des prises de bec entre les deux hommes. Une rivalité dont le paroxysme est atteint en 1998. Le numéro 31 est persuadé qu’il va prendre le dessus sur le 23 et que les Pacers vont éliminer les Bulls. Au cours d’une des séries les plus dures du règne chicagoan (seulement la seconde fois où les Bulls sont poussés au Game 7), Reggie Miller rentre un 3 points qui permet à Indiana de revenir à 2 partout. Pourtant, il souffre. Victime d’une entorse de la cheville, il sert les dents pour ne pas montrer de point faible à Jordan et les siens. Mais les efforts ne seront pas suffisants, et Chicago passera en 7 pour s’offrir son second three-peat quelques semaines plus tard. Là encore, une élimination que Miller aura du mal à digérer, choqué de la défaite tellement il y croyait.

La fin des combats

Après l’échec face aux Lakers, le noyau dur des Pacers quitte l’Indiana. En particulier le coach Larry Bird. Reggie Miller va alors avoir les noix, lors des années qui suivent, d’aller chercher un titre ailleurs ou de participer à la reconstruction de sa franchise. Loyal, il endossera le rôle de mentor de la génération Jermaine O’Neal, qui bien que responsable d’une période noire de l’histoire des Pacers, ne manquera jamais de respect à “Uncle Reg”. Comme lorsqu’en 2005, ce même Jermaine O’Neal accepte d’aller se poser sur le banc à la fin d’un match contre les Bucks alors qu’il avait scoré 55 points, à 2 unités du record de la franchise détenu par Reggie Miller. Un record qui tient toujours malgré les tentatives de Roy Hibbert pour l’atteindre en 5 matches cumulés. Et même dans ces saisons-là, où il n’était plus l’option numéro 1 d’Indiana, les fins de match serrées ressemblaient à celles du passé : on donne la balle à Reggie et il en fera bon usage.

Durant sa carrière et même sa vie, Reggie Miller a grandi et progressé à travers les épreuves et les rivalités qui l’ont poussé à se dépasser et donner le meilleur de lui même. Véritable animal au sang froid dans les moments cruciaux, mais dont l’hémoglobine peut vite se réchauffer lors d’un échange verbal, il est l’image du basket aux Pacers, dans un état qui a vu naître Larry Bird. Il peut toujours se consoler avec ce titre honorifique, lui qui n’a jamais pu atteindre le Graal en NBA, comme tant de contemporains de Michael Jordan. Ce qui ne l’empêchera pas de lui dire qu’il le prend où il veut et quand il veut en 1 contre 1. Et c’est ça qu’on aime.