Tour du monde des playgrounds – Dyckman Park, New York, États-Unis

Le basket-ball est un sport urbain qui possède cet avantage de pouvoir être pratiqué n’importe où à condition de trouver un cercle, un peu solide de préférence, et un filet pour les puristes. Avant d’évoluer devant 20 000 personnes tous les soirs dans des salles aux équipements derniers cri, de nombreux joueur NBA se sont d’abord fait un nom sur un modeste terrain de quartier. Mais ne vous fiez pas aux apparences, on y retrouve parfois des ambiances plus chaudes qu’un Game 7 des Finales. A chaque playground son atmosphère, ses règles, ses légendes et son histoire. Prochaine étape de notre tour du monde des courts les plus marquants, direction les États-Unis et plus particulièrement New York, pour une visite guidée du Dyckman Park qui a notamment vu passer J.R. Smith et Kevin Durant.

La fiche

  • Nom : Monsignor Kett Playground
  • Adresse : 204th Street and Nagle Avenue
  • Ville : New York, New York
  • Construction : 1970’s, 1980’s
  • Tournoi : Dyckman Tournament
  • Surnom : Dyckman Park, Dyckman
  • Joueurs passés par le Dyckman Park : J.R. Smith, Kevin Durant, Kyrie Irving, Kemba Walker, Lance Stephenson…

L’histoire du Dyckman Park

Le mythe de Rucker Park, le passage du Goat à l’Happy Warrior… New York ne serait pas la Mecque du basketball sans les playgrounds qui parsèment la ville qui ne dort jamais. Aujourd’hui, direction le nord de Manhattan pour lacer ses chaussures sur le bitume du Monsignor Kett Playground. La Grosse Pomme est connue pour donner à ses parcs, le nom d’anciens New-Yorkais qui ont marqué leur ville pour une cause, voire le pays entier. Justement, Monsignor Kett était un collégien de l’église catholique, au début du XXème siècle, avec l’ambition de devenir pasteur. Patriote résolu, il part en Europe à 20 piges pour combattre sous la bannière étoilée, lors de la Première Guerre mondiale. Accueilli comme il se doit à son retour, il devient pasteur et continuera la vie qu’il avait quitté durant quelques années en sillonnant les églises jusqu’à son décès en 1969.

Dès lors, un immense parc est créé en son honneur, abritant des terrains de baseball, handball et évidemment de basket. Situé à l’écart du bourdonnement de la ville et de son attractivité touristique, le quartier de Dyckman met rapidement son nom sur Monsignor Kett Playground. Certainement plus facile à prononcer, et à localiser. Très vite, le playground se vêt de la couleur verte qui reste encore aujourd’hui la couleur emblématique de Dyckman. Très vite aussi, le lieu se professionnalise. Plus précisément, dans les années 1990, les premières summer leagues se constituent sous l’impulsion d’un entraîneur, Kenny Stevens, qui donnera au playground une dimension plus professionnelle que nulle part ailleurs.

Par ses codes, coutumes, règles, le Dyckman se fond parfaitement dans la cité new-yorkaise, tout en étant un playground unique, par son niveau de jeu encore actuel. Le terme actuel est ici primordial. Car contrairement à beaucoup de courts de la ville, le Dyckman est assez récent, puisque construit autour des années 1970-80. Cette émergence parmi les “poids lourds” goudronnés de Harlem et de Manhattan, a mis une bonne dizaine d’années à se développer, mais une fois lancé, le Dyckman Park s’est révélé être LE rite de passage obligé pour chaque lycéen, amateur, joueur NBA peu importe dès lors que l’on sait manier un ballon orange et que l’on est adroit avec. Aujourd’hui, l’âme du Dyckman est plus vivante que jamais, en comparaison à de nombreux playgrounds désertés par les ballers. Une réussite qui ne doit rien au hasard avec un tournoi qui a deux objectifs : offrir une plate-forme aux équipes et aux participants pour mettre en valeur leurs talents dans une ambiance intense et compétitive où les joueurs peuvent être reconnus et éventuellement recrutés. Deuxièmement, offrir à la communauté et à ses résidents une activité de divertissement positive, fun et excitante que toute la famille attend avec impatience, chaque année, chaque été.

L’heure de gloire du Dyckman Park

Avant l’ouverture de la décennie 1990, l’été entier, les meilleurs ballers de NYC se donnent rendez-vous au Rucker Park, à West 4th Street, au Goat Park… pour ouvrir la saison des playgrounds après un hiver rude et un doux printemps. Construit depuis une vingtaine d’années, le Dyckman Park ne peut pas rivaliser avec ces lieux prestigieux, en plein essor de spectateurs, de niveau de jeu et d’ambiance. Dans ce contexte, Kenny Stevens qui est alors un entraîneur de jeunes cherche une idée qui pourrait faire exploser le lieu. Après quelques rebonds et tirs à mi-distance de réflexion, Stevens trouve l’issue : lancer la première summer league professionnelle de tout New York. Car à cette époque les affrontements et les rivalités ne sont pas officielles, et ne sont validées que par la rue. Avec cette idée, Kenny Stevens veut professionnaliser son playground, mais avec une valeur motrice : une ambiance conviviale et familiale.

Nous sommes à l’été 1990, les Pistons viennent d’être champions pour la deuxième année consécutive, George Bush père est président des États-Unis et la France paie en franc. Oui, c’est une époque lointaine. Mais cette année-là, l’idée de Stevens se transforme concrètement. Pour la première édition du Dyckman Basketball Tournament, six équipes de douze joueurs viennent jouer des coudes au Monsignor Kett Playground. Début modeste, certes mais un début officialisé avec des teams composées de joueurs NCAA, notamment. Par ce tournoi, le but est aussi d’aider les commerces locaux et les habitants du quartier durement touchés par le fléau de la drogue. Parfaitement conscient des ravages de la “dame blanche” sur les plus jeunes spécialement, Kenny Stevens veut faire de sa summer league un événement annuel, dont la meilleure récompense serait de sortir des jeunes adolescents de l’emprise de la drogue, et de prévenir certains de se faire séduire par cette dernière.

Des efforts, et un travail acharné font augmenter la liste des équipes présentes au Dyckman Tournament. Le tournoi peine à se lancer, avec plusieurs équipes obligées de parcourir la ville pour jouer face à leurs adversaires. C’est alors que Kenny Stevsn décide d’ouvrir son tournoi à d’autres états du pays. De plus en plus de teams estampillées NYC, mais aussi du Connecticut et du New Jersey, sont ainsi curieuses de cette nouveauté que la rue peut offrir, et viennent en masse sur le playground excentré du vacarme new-yorkais. Car la particularité du Dyckman est son niveau de jeu, que certains considèrent comme le meilleur de tout New York, et il y a de quoi. La décennie 1990 s’écoule et déjà, dès 2000, la marque Converse décide de sponsoriser le Dyckman Tournament. La marque à l’étoile devient ainsi la première d’une longue série, les années d’après, à poser son logo et surtout, ses liasses de billets au Monsignor Kett Playground. Chacun y trouve son compte, cela permet de financer l’équipement de basket (ballons, maillots, rénover des paniers…) et d’aider les commerces locaux, qui reçoivent toujours plus de public grâce à ces sponsorings. Pour Converse, l’opportunité d’aller au-delà de la NBA et de retourner aux sources, dans la rue.

Le tournant des années 2000 est abordé en conquérant par le Dyckman. Sa popularité ne fléchit pas, mieux elle s’agrandit encore et encore. Jusqu’à 2 500 spectateurs assistent à certains matchs du Tournament, annulant toute perspective d’un joueur de prendre un trois points dans le corner, l’endroit est plein à craquer. Le fil conducteur de ce playground est la volonté de professionnalisation. Depuis les années 2000 justement, du lycéen à la star NBA, chacun a le même maillot avec le logo Dyckman devant, et le numéro derrière. Bleu ou vert, aucune distinction n’est faite en dehors de la balle orange. Avec cette tradition désormais ancrée, le Dyckman est devenu une réelle institution au point de se faire labelliser par la NBA et la NCAA. En raison de son atmosphère, de sa qualité de jeu, de la qualité du terrain et plusieurs autres critères, les deux ligues ont estimé que l’endroit était adéquat pour laisser leurs poulains batailler pendant l’été sans risques. Pas mal comme récompense pour Kenny Stevens, non ? Alors forcément, cela attire quelques bons petits joueurs de panier-ballon…

Ils sont passés par là

Dans la fournaise new-yorkaise, le Dyckman est devenu un lieu de passage obligé pour un futur drafté, comme une star NBA accomplie. D’ailleurs, les professionnels ou semi-professionnels sont attendus au tournant lorsqu’ils se présentent au nord de Manhattan. Joakim Noah, amoureux de la Grosse Pomme s’est rendu plusieurs fois au Dyckman dans ses années universitaires, et reste profondément marqué par l’ambiance hostile et sans pitié du lieu. Au-delà de la rudesse mentale de certaines soirées, ces ambiances ont permis au garçon de progresser psychologiquement et d’être capable de jouer n’importe où en NBA. Il rapporte aussi que certains joueurs NBA se sont faits huer après un match de summer league. Cela vous donne une idée de l’atmosphère. Professionnel on a dit, alors forcément si un joueur est horrible… sanction.

Les joueurs NBA ne manquent jamais quand la saison de la Grande Ligue prend fin après avoir couronné son champion. Entre juillet et septembre, un ballet s’organise avec chaque année, des têtes nouvelles ou des habitués. Corey Brewer, Brandon Jennings, Lance Stephenson, Kemba Walker, Kyrie Irving… la liste est trop longue pour citer l’ensemble des garçons de la Ligue qui ont déjà ramené leurs talents au Dyckman. Car depuis 2004, Nike sponsorise lui aussi l’événement annuel et attire naturellement ses joueurs. En 2011, certains décrivent encore cet été comme le climax du Tournament. Kevin Durant se ramène en ville pour y affronter Michael Beasley. Avec une bonne dose d’iso, les deux joueurs montrent les muscles et veulent impressionner le public local. On pense tout de suite à Kenny Stevens, qui avait toutes les peines du monde à faire venir des équipes dans les années 1990 et qui là, voit débarquer une superstar NBA mondiale. Le duel est épique, mais c’est bien KD qui s’adjuge le public. Indéfendable en NBA certains soirs, Durant confirme ce statut sur du bitume et remporte la bataille face à Michael Beasley, dans une ambiance électrique et électrisante.

Nike va encore plus loin dans son partenariat et fait venir elle-même des joueurs, disputer les rencontres pour la “Team Nike”. Mais pas n’importe quels joueurs, les meilleurs ballers de la ville se rejoignent sous la bannière de la marque à la virgule et remportent le tournoi. De quoi faire encore monter le niveau de la compétition. Plus récemment, en 2017, c’est D’Angelo Russell qui a éclaboussé le Dyckman par ses dribbles, passes et ses shoots assassins depuis le parking. De quoi se mettre le public new-yorkais dans la poche avant d’arriver à Brooklyn le même été.

Et maintenant ?

Le Dyckman n’est pas sous assistance respiratoire, il est plus vivant que jamais. Les exemples ne manquent pas et prouvent que le streetball n’est pas encore mort. Kenny Stevens a réussi un coup de maître qui était loin d’être gagné. En 1990, le Dyckman Tournament accueillait six équipes, aujourd’hui plus d’une centaine d’équipes, de neuf catégories d’âge différentes, viennent chaque été s’affronter au Monsignor Kett Playground. Mieux encore, depuis que le tournoi est ancré dans le quartier, les meurtres, viols, vols, cambriolages ont chuté de 67%. Peut-être la plus belle récompense pour son organisateur. En voyant certains playgrounds à l’abandon, le Dyckman innove sans arrêt pour continuer d’attirer les spectateurs et leur proposer le meilleur spectacle possible. Nul doute que les labels de la NBA et de la NCAA confèrent au Dyckman un statut noble qui n’est pas prêt de s’arrêter.

Étudier un playground new-yorkais aurait pu être une tâche tout à fait banale. Mais le Dyckman Park a cette particularité que les autres n’ont pas. Encadré, structuré, amélioré depuis les années 1990, le Monsignor Kett Playground a su attirer toujours plus d’équipes et de spectateurs au fil des années. À travers les sponsors signés et les joueurs NBA ramenés, le Dyckman s’est forgé sa propre identité, hostile et sans pitié. Malgré la volonté de devenir plus professionnel que jamais, l’ambiance familiale et conviviale est restée reine. L’importance des maillots uniques, de soutenir les commerces locaux et la communauté sont des priorités vitales, toujours défendues par son créateur. Pour l’anecdote, Kenny Stevens passe toujours le balai après le tournoi et nettoie son playground comme il nettoierait sa terrasse. À chaque coup de balai, doit-il se rappeler de la difficulté des années 1990, de la montée durant les années 2000 et de l’explosion du tournoi dans les années 2010. Une fois le nettoyage bouclé, doit-il regarder le Dyckman et se dire qu’il a réalisé quelque chose de grand.

Source image : YouTube/FUNG BROS.