“The Shot” : l’histoire de l’un des shoots les plus iconiques de Michael Jordan
Le 07 mai 2023 à 09:36 par Antoine Demaegdt
Le 7 mai 1989, un chapitre incontournable de l’histoire du basketball s’écrivait en l’espace de trois petites secondes : “The Shot”. Michael Jordan – sur un buzzer-beater légendaire – qualifie alors les Chicago Bulls pour la demi-finale de la Conférence Est. Trois petites secondes qui en réalité s’insèrent dans une incroyable série contre les Cleveland Cavaliers. Alors comme c’est rarement agréable de se faire spoiler, reprenons les choses dans l’ordre pour mieux les apprécier.
On entend souvent que Michael Jordan est le joueur le plus “clutch” de l’histoire. Mais qu’est-ce que ça veut dire être clutch ?
Il est vrai que ce terme ne signifie pas toujours la même chose pour chacun, on a tous du mal à le définir rigoureusement mais en même temps on sent bien ce que ça veut dire. Surement parce que le clutch est un “sentiment” avant d’être autre chose. Etre clutch, c’est certes accomplir des actions mythiques comme celle-ci mais c’est aussi – et surtout – un état d’esprit. Et Michael Jordan est peut-être ce qui s’approche le plus de ce qu’est le Clutch, avec un grand C : des actions légendaires et des paroles toujours rejointes par des actes. Alors oui les anniversaires ça ne sert pas qu’à offrir des cadeaux : ça sert surtout à porter une attention. Et comment on porte une attention à un tir au basket ? En le conservant dans la mémoire collective de chaque fan. Flashback :
Prenons comme point de départ de ces trois secondes suspendues… la saison précédente, 1987-88.
MJ signe une saison historique en étant le premier joueur de l’histoire à remporter le trophée de MVP et de défenseur de l’année. La même année. Depuis, seuls Hakeem Olajuwon en 1994 et Giannis Antetokounmpo en 2021 ont réussi une telle performance. Au sommet de son art, Jordan massacre la saison régulière avec des statistiques à l’image des mots : 35 points de moyenne à 53,5% au tir, 5,5 rebonds, 5,9 passes décisives et 3,2 interceptions par soir. Mais bien que porté par sa superstar, Chicago se prend le mur des Bad Boys de Detroit en demi-finale de Conférence, car cette domination Jordanesque n’est pas encore collective pour les Bulls. Ce qui d’ailleurs se transpose sur la saison 1988-1989 puisqu’ils termineront sixièmes de la conférence Est pour retrouver les Cleveland Cavaliers au premier tour. Alors comment va se finir cette série ? Faisons comme si on ne savait pas en repartant du début.
Une série de Playoffs au bout de son suspense
En finissant 6è à l’Est, les Bulls ne partent logiquement pas favoris dans cette série. Il faut rappeler qu’en face le collectif bien huilé des Cavaliers est porté par trois All-Stars : l’orfèvre Mark Price, le slasher Larry Nance (père) et le géant Brad Daugherty. Côté Bulls, le meilleur joueur de la série est bien évidemment Michael Jordan mais Scottie Pippen et Horace Grant sont alors très jeunes, toujours dans leur saison sophomore (2è année dans la Grande Ligue). Du bon matos certes mais qui manque un peu d’expérience face à une équipe de Cleveland dont les fondations semblent plus solides. D’ailleurs, si l’on regarde les confrontations en saison régulière, les Bulls ont toujours perdu face aux Cavs sur cette saison. Alors comment aborder ce premier tour (au meilleur des 5 matchs à l’époque) pour Chicago ? Michael Jordan le raconte dans The Last Dance :
“On avait joué contre cette équipe 6 fois déjà dans notre division, ils nous avaient battu 6 fois. Donc on avait vraiment plus rien à perdre.”
L’état d’esprit est donc clairement annoncé et comme par hasard, on le ressent dans les chiffres puisque Sa Majesté tourne gentiment en 39,8 points, 5,8 rebonds, 8,2 passes décisives et 3 interceptions de moyenne sur la série. De quoi faire flipper pas mal de défenseurs… C’est donc dans un état d’esprit d’outsider acharné que les Bulls arrivent dans cette série, acharnés au point de prendre le Game 1 à Cleveland (95-88). Les Cavs vont réagir en prenant le Game 2 (96-88) mais Chicago rétorque immédiatement à domicile pour le Game 3 (101-94) et mène alors 2-1 dans la série. Les Bulls vont donc jouer un Game 4 avec la possibilité d’éliminer Cleveland chez eux. Et ce quatrième match est très serré. Les Cavs surclassent Chicago collectivement mais en face Michael Jordan refuse de capituler : il inscrit 50 points à 50% au tir et grâce à cette performance Jordanesque les Bulls sont au contact dans le clutch. Seulement MJ va… manquer un lancer-franc crucial en fin de match qui fera basculer la rencontre en faveur des Cavaliers : égalisation à 2-2 et match décisif dans l’Ohio. Comme quoi, même lui peut flancher par moment…
Le 7 mai 1989 : win or go home
Ce Game 5 sera le match plus serré de la série : aucune équipe ne prend le large dans cette guerre de tranchées. Côté Cleveland, on a un trio net qui se détache avec un Mark Price à 23 points, un Ron Harper à 22 points et un invité surprise qui aura son importance : Craig Elho en sortie de banc, avec 24 points au compteur. Côté Bulls, toute l’équipe contribue au scoring avec des titulaires à minimum 10 points.
Le match débouche sur un money time de titan, il ne reste plus que 20 secondes à jouer et Jordan est déjà à 40 points… Les Bulls sont menés 98-97 mais Michael va planter un tir à mi-distance – en se défaisant de Craig Elho – pour mener à 6 secondes de la fin. Temps-mort immédiat pour Cleveland. Sur l’action suivante, les Bulls manquent d’attention et se prennent un rapide passe-et-va des plus académiques. Une erreur qui semble bête mais qui est à relativiser avec l’interdiction de défendre en zone à l’époque. Mais ce n’est pas fini puisque ce panier rapide laisse trois petites secondes sur l’horloge. Doug Collins – le coach des Bulls – prend un temps-mort, Chicago est mené d’un point avec 3 secondes sur l’horloge et tout le monde sait à quoi s’attendre. Craig Elho défend Michael Jordan sur la remise en jeu, les Bulls lancent leur système pour libérer leur superstar qui bataille pour recevoir la balle : un dribble… deux dribbles… et Jordan s’élève au niveau de la ligne des lancers-francs. Elho le suit de si près qu’il saute avec lui en lui cachant le visage. Sauf que Jordan reste en l’air bien plus longtemps que lui… Le reste appartient à l’histoire : le reste, c’est “The Shot”.
C’est sur ce tir légendaire que les Bulls éliminent les Cavaliers pour se propulser vers une demi-finale de Conférence Est contre les Knicks. C’est sur ce tir que la carrière de Michael Jordan – qui tenait déjà toutes ses promesses – prend alors une – encore – toute nouvelle dimension.
“The shot” a aussi des cousins
Mais si Michael Jordan incarne le clutch, ce n’est pas uniquement pour ce tir. Car Jojo a su nous faire bondir de nos sièges plus d’une fois dans sa carrière. Lorsqu’on pense aux tirs les plus mythiques de Jordan, difficile de ne pas commencer par le commencement. Le 29 mars 1982, Jordan est en finale du championnat de la NCAA sous le maillot de North Carolina face à Georgetown. Mené d’un point à la fin du match, Michael inscrit un jump shoot dans les derniers instants pour sceller le sort du match : un tir crucial dans sa carrière qui lui donnera toute la confiance nécessaire pour briller en NBA.
Et comment ne pas parler ici du “Last Shot” ? Ce fameux tir en finale NBA 1998 qui déterminera le sort de la série, de la Finale, de la carrière de MJ. Le Jazz mène d’un point en ayant la balle à 30 secondes de la fin : remise en jeu sur Karl Malone au poste bas sauf que Michael vient l’intercepter dans son dos en lui volant la balle des mains. Jordan laisse les secondes s’égrainer avant d’attaquer le cercle… Crossover et tir salvateur qui lui apporte son 6è titre…
On ne se rend peut-être pas bien compte de ce que figure The Shot aujourd’hui. C’est dire qu’on ne voit pas tous les jours des dingueries pareilles en NBA. Ou du moins des dingueries avec autant de contexte, autant d’enjeu. La dernière qu’on a en tête est certainement celle de Kawhi Leonard en 2019 lors de la demi-finale de Conférence Est, ce tir d’une trajectoire insoutenable qui élimine cruellement les Sixers au buzzer dans un Game 7.
Un tir parmi tant d’autres dans la carrière de Sa Majesté mais tout de même, plus les années passent et plus ce tir semble marquer l’histoire car il ne prend pas une ride après chaque nouveau visionnage. Si la carrière de Michael Jordan est remplie de rebondissements, “The Shot” lui est d’une clarté telle que même les étrangers du basket en sont émerveillés. Un tir qui représente si bien… Michael Jordan, tout simplement.