La Dream Team 1992 – 30 ans après : dans l’ombre des hommes, des Jeux Olympiques qui marquent un tournant historique pour le basketball féminin aux États-Unis
Le 10 août 2022 à 18:43 par Arsène Gay
C’était il y a trente ans. Déjà. Trente ans que les États-Unis obtenaient l’autorisation d’envoyer des joueurs NBA participer aux Jeux Olympiques. Trente ans que, de ce fait, la « Dream Team » était créé. Trente ans qu’une simple équipe de basketball prenait une dimension jusqu’alors jamais vue. Records, légendes, influence… cet été TrashTalk a décidé de revenir avec vous sur toutes les histoires qui ont fait de cet effectif l’un des plus mythiques de l’histoire du sport. Sortez vos Hoverboard, montez dans la Delorean et lancez Johnny B. Goode sur l’autoradio car il est temps de revenir en 360 degrés sur ce qu’il s’est passé il y a… 360 mois. Septième épisode ? Quand l’avenir du basketball féminin américain était chamboulé par ces mêmes Jeux de Barcelone.
Épisode précédent : La Dream Team 1992, une équipe qui a triomphé sur le parquet… et dans les rayons : retour sur la folie marketing engendrée par Michael Jordan et sa team
Il y a 30 ans, Team USA faisait trembler la planète basket comme aucune équipe ne l’avait fait auparavant. Qu’il s’agisse des chiffres rapportés, des émotions suscitées, des légendes racontées ou de la folie marketing engendrée, la Dream Team s’inscrivait à jamais dans l’histoire de notre sport comme cet assemblage unique, qui ne sera sans doute jamais égalé. Pourtant, Team USA, ce n’est pas “juste” la Dream Team. Aussi peu médiatisée soit elle en comparaison avec son équivalent masculin, la sélection féminine des États-Unis n’en reste pas moins l’autre équipe de basketball représentant le pays de l’Oncle Sam sur la scène internationale. Et s’il y a une année où celle-ci a complètement été oubliée, c’est bien en 1992, où l’influence écrasante de la bande à Jordan a complètement relégué leurs homologues femmes au rang d’oubliées de l’histoire. Pourtant, les Jeux Olympiques de Barcelone sont un véritable tournant dans l’histoire du US Woman Basketball, et ce pour de multiples raisons.
“Le basketball féminin a toujours été là, il était juste dans l’ombre. Mais c’est toujours comme ça avec le sport féminin, son histoire n’est pas toujours relatée ou rappelée.” – Mechelle Voepel, reporter dans la série “Dream On”
En 1989, la FIBA prend l’historique décision d’autoriser la participation des professionnels américains aux Jeux olympiques, permettant de ce fait à la Dream Team d’exister en 1992 à Barcelone. Jusque-là, rien de surprenant, vous êtes probablement déjà au courant. Mais à l’époque, qu’en est-il des femmes ? C’est vrai ça, les Américaines de WNBA sont-elles autorisées à participer aux JO ? La réponse est très simple : tout le monde y est autorisé, puisque la WNBA n’existe pas. Sans réelle ligue professionnelle alors implantée aux États-Unis, la plupart des joueuses doivent faire un choix une fois leur carrière universitaire achevée : trouver un autre métier ou partir jouer à l’étranger. De ce fait, de quinzaine olympique en quinzaine olympique, l’écart se resserre avec les autres nations, de plus en plus habituées à côtoyer les meilleures basketteuses du monde. Vient donc la campagne de 1992, où les filles arrivent malgré tout favorites, elles qui ont remporté les deux précédentes éditions (boycott en 1980 et médaille d’argent pour leur première participation en 1976). Tout se déroule pour le mieux, avec deux premières victoires écrasantes face à la Tchécoslovaquie (111-55) et l’Espagne (114-59) et un autre match remporté moins insolemment contre la Chine (93-67). C’est là que les choses se compliquent.
Arrivées en demi-finales contre l’Unified Team (ex-URSS), les Ricaines vont subir le revers le plus marquant de leur histoire. Sur le score de 79 à 73, ces dernières échouent face aux Soviétiques, qui iront d’ailleurs remporter la médaille d’or. C’est la première – et la seule – fois que l’équipe féminine des USA n’atteint pas les finales des Jeux olympiques. Il est même presque difficile d’y croire, lorsque l’on sait que des filles comme Teresa Wheaterspoon et Cynthia Cooper faisaient partie de l’effectif, toutes deux membres du Top 20@20, qui désignait en 2016 les 20 plus grandes joueuses de l’histoire de WNBA. Un échec cuisant, que la médaille de bronze ne va bien sûr pas suffire à surmonter. En interne, la remise en question est importante. À l’époque, le débat sur la création d’une ligue féminine de basketball aux États-Unis est déjà dans les petits papiers de la NBA, et une telle désillusion sur la scène internationale va donner naissance à deux camps très distincts. Dans un premier temps, il y a ceux qui estiment qu’un championnat américain doit être formé pour rassembler l’élite mondiale et ainsi retrouver et maintenir la domination des USA sur le basketball féminin. Dans un second temps, des voix opposées affirment qu’avec un niveau si faible, les femmes ne méritent pas d’avoir leur propre ligue, qui deviendrait un flop instantané. Bonne ambiance hein ? Interrogée le jour même de la défaite, Teresa Weatherspoon illustre parfaitement les conséquences d’une telle défaite, tout en essayant de sauver les meubles :
“Ça reste quand même la plus grande équipe… l’une des plus grandes équipes jamais assemblée. Le score a fini en leur faveur, mais on reste la meilleure équipe. Chacune d’entre nous gardera cette cicatrice pour le restant de ses jours. On nous posera des questions sur ce match jusqu’à la fin de nos vies.” – Teresa Weatherspoon, pour le Los Angeles Times
Tandis que l’équipe masculine est au sommet du monde, l’équipe féminine elle, n’a donc jamais été aussi down. En 1994, les Américaines terminent une nouvelle fois troisième, cette fois-ci à la Coupe du Monde en Australie. Plus le choix, l’heure est à la réaction. Et bien heureusement, cette dernière ne va pas se faire attendre. Alors que la validation du projet de création d’une ligue féminine américaine de basketball se fait de plus en plus proche, la NBA met la pression sur la sélection pour obtenir des résultats lors des prochains Jeux olympiques… à Atlanta ! C’est bien simple : interdiction totale de flancher à la maison. Et pour s’assurer de cela, le changement va alors être radical et à tous les niveaux. Tout d’abord, Theresa Grentz quitte la direction du banc, remplacée par Tara VanDerveer, légendaire coach de Stanford University. Côté joueuses, seules Teresa Edwards et Katrina McClain – les deux titulaires indiscutables des JO de 1992 – sont maintenues dans l’équipe pour les Jeux de 1996. Dans ce grand ménage, de nouvelles têtes vont évidemment faire leur apparition. Et là par contre, désolé, mais on va devoir s’arrêter le temps d’un paragraphe pour évoquer quelques-unes des joueuses de ce qui est aujourd’hui considéré comme l’équivalent féminin de la “Dream Team”, aussi bien en termes basketballistique qu’en termes d’impact sociétal désiré.
Bien évidemment, nous sommes obligés de commencer avec Lisa Leslie, peut-être la meilleure joueuse du monde à ce moment-là, et dont nous allons éviter d’étaler le palmarès ici pour vous éviter un malaise vagal. Le cas le Jennifer Azzi est également intéressant, elle qui estime n’avoir pas été sélectionné en 1992 en raison de son homosexualité. On peut également citer les jeunes pépites de l’époque comme Dawn Staley, Rebecca Lobo ou encore Ruthie Bolton. Enfin, parce qu’on ne peut pas citer tous les membres de cette équipe de légende, nous terminerons par Sheryl Swoopes, dont la situation à l’époque était particulière. Après avoir mené Texas Tech au titre NCAA en 1993, Sheryl avait fait le choix de… devenir banquière, n’étant pas en capacité de partir de chez elle. On parle quand même de la deuxième sportive – après Michael Jordan bordel – à avoir une paire de shoes Nike à son nom. À titre indicatif, en acceptant de revenir pour jouer avec la Dream Team, cette dernière s’est d’ailleurs assise sur des centaines de milliers de dollars de salaire qu’elle aurait pu toucher en continuant son job, ou en rejoignant une équipe professionnelle en Europe ou en Russie.
“Jouer pour la Team USA signifie beaucoup car en tant que personne noire, nous ne recevons pas ce genre d’amour de notre pays. Dans ces moments, les gens sont juste des gens, des êtres humains. Ils crient et célèbrent tous ensemble sans juger. Si vous avez pu voir la beauté en moi, alors peut-être pouvez-vous la voir dans d’autres femmes noires.” – Lisa Leslie, dans “Dream On“
Car oui, on parle bien d’un salaire avec cette équipe des États-Unis, qui, pour la première fois, ne fera pas seulement la quinzaine olympique ensemble. Oh non. Payées 50 000 dollars l’année, les joueuses vont commencer la préparation ensemble dès octobre 1995. Eh ouais, on vous a pas menti quand on vous disait qu’il fallait à tout prix réussir. Vous imaginez KD, Steph et LeBron refuser de jouer toute une saison pour préparer les JO de Paris ? Ben voilà, c’est exactement ce qu’il se passe ici. Entraînements, matchs amicaux, petites compétitions… la US Woman Basketball Team enchaîne les masterclass et roule sur le monde entier. Sur les 52 matchs qu’elles feront en dix mois pour préparer les Jeux d’Atlanta, les Américaines remporteront… 52 rencontres. On vous le réécrit au cas où vous pensiez avoir mal lu : 52 matchs, 52 victoires. Un bilan de 52-0, normal quoi. C’est donc plein de confiance que la sélection se présente aux JO, jusqu’à ce qu’une information vienne un peu tout chambouler. Le 24 avril 1996, le NBA Board of Governors approuve définitivement le concept d’une Women’s National Basketball Association (WNBA). Le lancement d’une telle ligue serait prévu en juin 1997, mais il y a une seule condition pour valider le projet : les Américaines DOIVENT gagner les Jeux olympiques l’été prochain.
Vous appelez ça comme vous voulez, mais nous on parle clairement de gros coup de pression. Imaginez : ce sont vos premiers Jeux, et vous avez comme mission de ramener les Etats-Unis sur le toit du monde ET de permettre à la plus grande ligue de basketball féminin de la planète de se lancer. En fait, c’est ni plus ni moins avoir le poids de l’avenir des femmes dans un sport sur les épaules. Et c’est justement cet enjeu qui va rendre l’histoire encore plus belle. Car cette Team USA là va outrageusement dominer la compétition avec une Lisa Leslie hors de contrôle et un record de points marqués (819) pour une campagne de JO. Huit matchs, huit victoires, et une médaille d’or qui ne quittera plus le cou des Américaines. Avec un septième titre d’affilée en 2021, ces dernières sont désormais co-détentrices du nombre de victoires consécutives au sein de l’ensemble des sports collectifs présents au JO. Tout comme la Dream Team 1992, cette équipe a donc permis d’ouvrir la voie à des millions de jeunes filles, pour qui une ligue d’élite fut créée sur les terres américaines. D’une manière bien différente des hommes, la Dream Team féminine est elle aussi rentrée dans l’histoire comme représentative de la toute puissance des USA, mais aussi de l’importance de développer la place des femmes dans le sport, et éradiquer par la même occasion toutes les formes de discrimination avec un effectif réunissant personnes blanches, noires, hétérosexuelles ou homosexuelles. Dire que tout cela ne serait peut-être pas arrivé si les choses s’étaient passées différemment en 1992. Et on ne peut que vous conseiller d’aller regarder la série-documentaire d’ESPN intitulée “Dream On“, qui retrace l’histoire de cette équipe de légende, et dont nous vous remettons ici un extrait de l’annonce offcielle :
“Aux Jeux olympiques d’Atlanta en 1996, l’équipe féminine américaine de basketball domine la compétition. Huit victoires. Aucune défaite. La médaille d’or autour du cou. Elles ont rendu ça facile. Mais c’est à peine le début de la vraie histoire de la Women’s Dream Team. Parce que la vérité sur la façon dont l’équipe s’est réunie, et sur ce qu’elle a enduré pendant les 14 mois qui ont précédé les Jeux Olympiques, est l’une des histoires les plus improbables et les plus compliquées de l’histoire du sport. Rien de moins que l’avenir du basket-ball était entre leurs mains. Si l’équipe de 96 gagne et conquiert le cœur des fans, la NBA est prête à lancer la WNBA. Si elle échouait, la ligue abandonnerait tous ses plans. Alors que nous célébrons le 50ème anniversaire de l’adoption du Titre IX [relatif à l’égalité hommes-femmes, ndlr], il n’y a pas de meilleur moment pour partager le parcours de ces figures cachées du basketball qui ont ouvert les portes aux futures générations d’athlètes. L’histoire de cette incroyable équipe – qui a surmonté ses nombreux sceptiques – transcende le sport et parle de la condition humaine en général. Je suis certain que son histoire séduira aussi le public.”
Dans l’ombre de la Dream Team 1992, le basket féminin aux Etats-Unis a donc connu un véritable tournant à partir de la défaite en demi-finale des Jeux olympiques de Barcelone. Une histoire oubliée, qui a pourtant en grande partie façonné l’avenir des femmes dans notre cher sport. Pas de défaite en 1992 ? Pas de Dream Team 1996. Pas de Dream Team 1996 ? Pas de WNBA. Pas de WNBA ? Well… Où en serions-nous aujourd’hui ?
Source texte : ESPN / Deadline / USA Basketball / Los Angeles Times