Mais que se passe-t-il avec Brittney Griner ? Détenue en Russie depuis 75 jours, la joueuse américaine est au centre de négociations pour son rapatriement aux USA
Le 03 mai 2022 à 22:14 par Bastien Fontanieu
C’est un dossier ô combien complexe et troublant. Une affaire géopolitique, sportive et judiciaire qui dure depuis plusieurs semaines et semble difficilement trouver son issue. Arrêtée en Russie en février dernier, Brittney Griner est toujours détenue par les autorités russes au moment où ces lignes sont écrites. Mais pourquoi la star de WNBA a-t-elle été arrêtée ? Où en sommes-nous aujourd’hui sur ce dossier ? Et comment interpréter la dernière réaction du département d’état américain qui est tombée ce mardi ? Faisons le point.
Brittney Griner.
Ce nom, vous l’avez déjà entendu ou lu quelque part.
Véritable star de la WNBA, la joueuse de 2m06 est tout simplement une des meilleures basketteuses de la planète aujourd’hui. Bien plus qu’un phénomène capable de dunker sur demande, on parle ici d’une championne NCAA avec Baylor en 2012, d’une septuple All-Star en WNBA, deux fois meilleure marqueuse de la compétition, championne avec le Phoenix Mercury en 2014 et 8 fois meilleure contreuse de la WNBA. Une domination pure, nette et sans bavure.
Impossible d’avoir loupé cette grande athlète aux locks attachées, qui avait poussé Mark Cuban, proprio des Mavs, à envisager sa Draft NBA en 2013.
La WNBA, qui fête ses 25 ans cette année, a même intégré Brittney Griner dans son équipe all-time. On est donc sur le dossier d’une superstar du basket féminin, et qui a ajouté à ce splendide palmarès deux médailles d’or olympique avec Team USA, aux jeux de Rio en 2016 et aux jeux de Tokyo en 2021. Inutile de vous parler des championnats du monde auxquels elle a participé, vous connaissez déjà la couleur des deux médailles remportées.
Ceci étant dit, entre Team USA et la WNBA, Brittney Griner passait également une bonne partie de chaque année en Russie.
Et pour une raison simple, comme de nombreuses basketteuses qui souhaitent faire de ce sport leur profession, participer au championnat russe pendant l’intersaison WNBA était un moyen inévitable de compléter les finances tout en prenant part à une compétition de bon niveau. Car oui, en 2022, et malgré des tentatives d’amélioration dans la dernière convention collective de la ligue féminine américaine, le salaire moyen des joueuses de WNBA n’a pas de quoi faire rêver : 60 000$ pour le salaire minimum et 220 000$ pour le salaire maximum (36 matchs joués), on est bien loin des sommes touchées par les hommes en NBA.
Par conséquent, nombreuses sont les joueuses de WNBA qui vivaient leur “deuxième saison” sur le territoire russe chaque année, Griner portant notamment les couleurs du UMMC Iekaterinbourg aux côtés de quatre autres All-Stars américaines comme Breanna Stewart, Allie Quigley, Courtney Vandersloot et la MVP en titre, Jonquel Jones.
“Il est là-bas le vrai salaire, pour nous tous. On adore Phoenix, mais au final c’est ici que ça se passe,” partageait Todd Troxel à ESPN en 2016, assistant coach de l’équipe du Phoenix Mercury qui faisait ici référence à la Russie et à son championnat.
Pour une joueuse comme Brittney Griner, mouiller le maillot d’Iekaterinbourg lui rapportait jusqu’à 1 million de dollars la saison, en plus de son salaire WNBA. Difficile donc de ne pas être tenté par le chant des sirènes russes, un chant que la joueuse écoutait en souriant depuis plusieurs années puisqu’elle évoluait dans ce championnat depuis 2014. Et sans surprise, Griner en profitait pour devenir 4 fois championne d’EuroLeague et 3 fois championne de Russie avec son club.
Seulement, tout va basculer à partir du mois de février 2022.
Breaking News: Russian customs officials said they had detained a star American basketball player after finding hashish oil in her luggage at an airport near Moscow. The Russian news agency TASS has identified the player as Brittney Griner. https://t.co/7rJaQqNyJK
— The New York Times (@nytimes) March 5, 2022
5 mars 2022 : l’arrestation.
Le 5 mars, les autorités russes annoncent l’arrestation de Brittney Griner à l’aéroport Sheremetyevo, dans la banlieue de Moscou.
Le motif ? Possession de vapoteuses mais surtout d’une huile à l’odeur fortement repoussante dans ses bagages, qui s’avère être de l’huile de cannabis.
L’arrestation est immédiate. Elle n’est relayée que le 5 mars par le New York Times via un communiqué des autorités russes, il est donc vraisemblable que Griner est détenue depuis mi-février, le 17 selon plusieurs sources. Le tribunal de Khimki décide alors de prolonger la détention de Griner jusqu’au 19 mai, et la tension monte sur la scène internationale lorsqu’on apprend que Brittney risque jusqu’à 10 ans de prison pour ses actions.
Le Phoenix Mercury, la WNBA et les proches de la joueuse sont au courant de la situation, mais malheureusement l’heure est … au silence forcé.
Pourquoi ? Et bien rappelons le contexte géopolitique.
Le 5 mars dernier, cela ne fait que 10 jours depuis que Vladimir Poutine, président de la Russie, a annoncé une massive opération militaire en Ukraine. De nombreux dirigeants retiennent leur souffle en ne sachant pas vraiment de quel côté la pièce va tomber, à savoir si l’Europe va entrer dans un conflit multinational ou bien si la planète entière entrera dans une troisième guerre mondiale. Autant dire qu’être en Russie ou en Ukraine à cette date précise, c’est plutôt tendu.
Et justement, en ce même 5 mars de 2022, l’Ambassade américaine en Russie publie une alerte de niveau 4 sur son site, indiquant aux Américains de quitter le pays sur le champ : “Tout citoyen américain résidant ou voyageant en Russie doit partir immédiatement.” Du coup, les joueuses américaines de WNBA qui pensaient effectuer leur saison sur le sol russe retournent aux USA en un claquement de doigts, en attendant de voir comment la suite des opérations se déroule.
Et pendant ce temps-là ? Brittney Griner, comme plusieurs Américains, est détenue par les autorités russes.
Si l’heure est au silence, un silence qui va peser lourd et terrifier bon nombre de personnes directement liées avec la joueuse, c’est notamment pour des raisons politiques. En effet, inutile de vous rappeler l’historique assez frileux entre la Russie et les USA, si vous n’êtes pas au courant de la relation entre ces deux pays vous avez beaucoup trop pioncé en cours d’histoire pendant vos années collège. On parle ici de deux énormes blocs en opposition pendant une majeure partie du 20ème siècle. On parle de jeux de pouvoirs qui dépassent clairement notre stade de compréhension.
Et dans ce type de schéma ? Toute décision peut se transformer en une zone de négociation, de power move, en fonction de la fragilité de la situation.
Les Américains décident donc – à leur manière – de faire profil bas, afin que l’affaire ne devienne pas publique. Car en cas de montée en température du dossier, la Russie pourra totalement prendre la situation à son avantage et manipuler les négociations avec le gouvernement américain.
Du coup, quasiment tout au long du mois de mars, c’est le silence radio concernant Brittney Griner.
On en vient presque à se demander si elle est encore en vie, mais une visite consulaire rassure en partie la famille de la joueuse fin-mars, évoquant une Brittney en “bonne condition”.
Pas de quoi être rassuré totalement pour autant.
Ahead of Monday’s WNBA draft, commissioner Cathy Engelbert reaffirmed the league’s commitment to helping bring Phoenix Mercury star Brittney Griner – who has been detained in Russia since mid-February – back home. https://t.co/aaTN7yuVto
— CNN (@CNN) April 12, 2022
11 avril 2022 : un cri d’alerte.
Le 11 avril, Cathy Engelbert, patronne de la WNBA, prend parole à l’occasion de la Draft 2022. Face aux accusations de détention de stupéfiants qui entourent Griner, la boss de la ligue de basket pousse un cri d’alerte : “Nous savons qu’elle va bien, mais nous voulons qu’elle rentre à la maison. Nous faisons tout ce que nous pouvons, aux côtés de ses avocats, son agent, des élus et de l’administration. La ramener à la maison en sécurité est notre priorité numéro 1. C’est une situation géopolitique évidemment très complexe avec la Russie et l’Ukraine, et je sais que nous sommes tous frustrés aujourd’hui. Mais nous devons rester patients.”
Nneka Ogwumike, qui est quant à elle présidente de l’association des joueuses en WNBA, profite de la tribune pour souligner la question d’inégalité homme-femme qui est selon elle au centre de ce dossier : “C’est décevant de se dire que la question de genre est centrale dans une telle situation, mais la réalité c’est qu’elle est là-bas notamment à cause de cela, à cause de l’inégalité des salaires. J’ai joué en Russie pendant 4 ans, j’ai joué en Chine pendant 2 ans, j’ai joué en Pologne pendant 1 an. Nous allons dans ces championnats pour compléter nos revenus, mais aussi honnêtement pour maintenir notre niveau. Nos équipes WNBA nous encouragent à aller dans ces pays pour améliorer notre jeu.”
La discussion se prolonge sur les réseaux sociaux et autour de la WNBA, notamment entre les joueuses professionnelles, sauf que le silence reste de mise. Toutes les personnes proches du dossier sont priées de suivre les directives du département d’état américain, qui privilégie le moins de vagues possibles.
Cela fait maintenant près de deux mois que Brittney Griner est détenue en Russie et qu’elle ne peut pas rentrer dans son pays.
Cependant, un nouvel épisode va accélérer les discussions sur son dossier et faire renaître une lueur d’espoir.
The release of a former U.S. Marine as part of a prisoner exchange with Russia on Tuesday brought fresh attention to the cases of other Americans who are still detained in Russia, including Brittney Griner. Here’s what we know so far about her case. https://t.co/oAx5PYA3AF
— The New York Times (@nytimes) April 28, 2022
27 avril 2022 : la libération de Trevor Reed.
En juillet 2020, Trevor Reed est condamné à 9 ans de prison en Russie pour violences sur deux policiers.
Ancien soldat Marine né dans le Texas, Trevor Reed est accusé d’avoir mis en danger la vie et la santé de deux policiers russes quelques mois plus tôt, alors qu’il était en état d’ébriété dans les rues de Moscou. L’affaire dégénère rapidement et pour des raisons évidentes, déjà les relations froides entre les USA et la Russie, mais aussi par les réactions de chaque camp. Pendant que le clan moscovite fait la flûte et conserve le Marine à cause de ses actions, le clan de Washington affirme que ces accusations sont scandaleuses et inventées intégralement par le régime russe.
Le rapport avec Brittney Griner ?
Après de long mois de discussions, de négociations, de statu quo et de jeux de pouvoirs, le ministère russe des affaires étrangères annonce le 27 avril que Trevor Reed va être échangé aux USA contre Konstantin Iarochenko, un citoyen russe détenu… chez l’Oncle Sam, et qui avait été condamné à 20 ans de prison par le tribunal américain en 2010 suite à une affaire de trafic de cocaïne. Un échange pas si anodin que cela, car on parle ici d’un citoyen américain détenu en Russie et qui espérait rentrer au pays pour éviter une lourde peine de prison. Vous nous suivez ?
Rapidement, plusieurs Américains en situation de détention tentent de taper du poing sur la table à leur manière : c’est à mon tour, en quelque sorte.
Mais le silence reste le même de la part du gouvernement américain, qui ne prend pas de position claire sur le dossier Griner.
Cela va changer le mardi 3 mai.
3 mai 2022 : la dernière ligne droite ?
En ce mardi 3 mai 2022, les États-Unis changent leur fusil d’épaule et décident de troquer le silence avec une position plus affirmative.
“Le département d’État est parvenu à la conclusion que la Fédération de Russie détient injustement la ressortissante américaine Brittney Griner. Le gouvernement américain va poursuivre ses efforts pour apporter un soutien approprié à Mme Griner.“
Le porte-parole de la diplomatie américaine gonfle alors le torse et annonce, dans la foulée, que ce dossier sera désormais suivi par Roger Carstens, l’émissaire du président américain Joe Biden en ce qui concerne la libération des otages américains à l’étranger. Côté privé, donc un peu plus éloigné du gouvernement américain, Bill Richardson (ancien ambassadeur américain aux Nations Unies) confirme qu’il apportera son soutien au dossier Griner, ce qui représente un élément déterminant dans cette affaire puisque le Richardson en question a bossé en tant que négociateur sur de nombreuses affaires privées ces dernières années, qui ont plusieurs fois résulté en la libération d’otages ou au rapatriement de citoyens américains dans leur pays d’origine.
Sa dernière affaire en date ? Celle de Trevor Reed.
Le silence, qui avait donc été évoqué et utilisé comme stratégie afin que Griner ne serve pas d’appât à Poutine, semble fonctionner.
De là à parler de victoire ? Non.
Griner doit prendre part à une audience le 19 mai, comme prévu par le tribunal de Khimki lors de son arrestation en février dernier.
Elle était bien en possession d’huile de cannabis, indéniablement. Il est donc difficile de croire que cette affirmation de la part du camp américain changera quelconque attitude du côté de Moscou. L’audience est prévue le 19 mai, elle aura lieu le 19 mai. Ceci étant dit, le fait de juger publiquement cette détention comme étant “injuste” indique que le gouvernement américain ne voudra plus attendre que cette affaire se règle dans le cadre du système légal russe, et que les efforts seront certainement démultipliés pour négocier le retour de Brittney dans son pays, ce qui mettrait un terme à plus de trois mois de détention.
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Cette affaire va-t-elle traîner encore longtemps ? Oui, certainement. Et on ne peut affirmer que Brittney Griner est désormais peinard concernant son futur à court et moyen terme. Mais la prise de position publique du gouvernement américain ce mardi représente un espoir. Un qui n’existait tout simplement pas ces 75 derniers jours. En attendant l’audience du 19 mai, et dans un désir d’optimisme que la basketteuse rentrera prochainement dans son pays, la stratégie restera la même : profil bas, et silence radio.