Rudy Gobert à la croisée des chemins : à gauche la suffisance, à droite… une carrière parmi celle des pivots les plus solides de l’histoire
Le 13 déc. 2019 à 18:03 par Giovanni Marriette
Peut-être sommes-nous devenus trop exigeants, camés d’images en tout genre depuis tant d’années. Rudy Gobert fait partie de ces joueurs NBA pour qui agir au presque-parfait semble parfois encore trop peu, la faute à une génération qui, pour la plupart, ne vit que pour les chiffres et les highlights. Tentative de remise en perspective du niveau actuel de notre pivot français mais attention Rudy, ça ne veut pas dire non plus que tout est parfait, ça ne veut pas dire non plus que tu as atteint ton but.
Actuellement dans sa septième saison en NBA, plus grand-chose ne semble aujourd’hui être pardonné notre pivot titulaire de l’Équipe de France. Pourtant, d’un pur point de vue statistique, Rudy Gobert est depuis sept ans et plus encore depuis quatre saisons environ l’un des meilleurs pivots de la Ligue, tout simplement. Pas de la race des Olajuwon, Jokic ou Embiid, non, pas de cette race d’intérieurs au toucher de meneur, pas de cette caste de mecs possédant dans leurs arsenaux respectifs des dizaines de solutions différentes pour aller scorer. Non. Rudy c’est un tâcheron, un spécialiste du balayage et, au mieux, du pick and roll lorsqu’il est savamment orchestré par un copain à lui. Ils sont quelques uns d’ailleurs depuis une demi-douzaine d’années, pour ne prendre en compte que ses contemporains, à faire partie de cette catégorie-là, à représenter fièrement les couleurs de la Team moufles mais à faire gagner leurs équipes grâce à un abattage digne des plus grands. DeAndre Jordan est l’exemple qui revient le plus souvent, mais on peut également citer pêle-mêle des Hassan Whiteside, Jarrett Allen, Steven Adams, Alex Len, Dwight Howard du début des années 2010 ou même Dede Drummond, même si ce dernier est aujourd’hui à un autre level en terme de leadership statistique, dans une équipe qui, néanmoins, ne gagne pas autant que le Jazz. Car Rudy, et c’est un “détail” à prendre en compte, évolue et progresse dans une équipe qui gagne, non pas des titres mais des matchs, c’est déjà ça, et mine de rien ça fait toute la différence au moment de comparer Bernard X ou Jean-Loup Y.
Et c’est d’ailleurs lorsque l’on jette un coup d’œil aux saisons du Jazz que l’on se rend compte de l’utilité de Rudy à Salt Lake City. Une évolution permanente depuis six ans, une série en cours (qui risque fort de se poursuivre) de trois saisons à cinquante wins ou plus ou presque, et donc une place parmi les cadors de l’Ouest, avouez quand même que ce n’est pas donné à tout le monde. Il y a eu Gordon Hayward, un peu de Rodney Hood, pas mal de Donovan Mitchell depuis et une bonne dose de filouteries de Joe Ingles, il y a cette saison un Mike Conley – qui peine à se mettre à l’aise dans l’Utah – et un Bojan Bogdanovic qui ne voit aucun inconvénient à prendre 25 tirs tous les soirs, mais si l’on s’attarde un peu devant les stats avancées du Jazz, on vous jure que ça sert, et devant… les matchs de l’équipe, on vous jure que ça nous arrive, on se rend bien compte et très vite que c’est bel et bien… Rudy Gobert le “leader” de cette équipe. Peut-être pas le “franchise player” (doit-il raisonnablement y en avoir forcément un dans chaque équipe ?), pas le leader offensif bien évidemment, mais au pire le facteur X, au mieux l’élément le plus déterminant, le plus valuable comme ils disent. Plutôt logique quand on sait que Rudy repousse à titre personnel ou contribue à gêner plus ou moins de 50% des possessions de l’équipe adverse et qu’il possède également le PER le plus élevé de son équipe, avec une moyenne le plaçant à la 36ème place de la Ligue et également devant quelques noms comme ceux de Nikola Jokic, LaMarcus Aldridge, Bradley Beal, Bam Adebayo, Khris Middleton ou Devin Booker. Car c’est ça Rudy Gobert, un mec qui parfois peut paraître un peu boubourse devant une double team mais qui fera le plus souvent gagner son équipe, et c’est finalement ce qu’un coach recherche non ?
Le grand drame de Rudy finalement, c’est d’avoir été parachuté à une époque où les perfs à 50 points sont devenues légions, et où, forcément, un énième double-double à connotation défensive peut paraître anodin alors qu’il aurait reçu des tonnes de louanges il y a dix ans ou un peu plus. Seize double-doubles sur les dix-huit derniers matchs, dix-huit sur ses vingt-quatre matchs disputés cette saison, avec des chiffres déjà montés jusqu’à 19 pour les rebonds ou 25 pour les pions, on a beau dire que l’on vit dans une ère statistique mais ils restent peu nombreux à pouvoir se targuer d’avoir été à plusieurs reprises à ce niveau de performance. Et avec une vingtaine de matchs manqués en 2016 et une vingtaine d’autres deux ans plus tard, Rudy peut aussi se ranger dans le tiroir des joueurs dits solides, et dîtes-vous bien qu’il en faut de la solidité pour enchaîner six mois de compétition en jouant tous les deux jours et demi. Jouer, jouer beaucoup, faire gagner son équipe et pouvoir contempler sur sa cheminée… deux trophées de DPOY, peut-être d’autres d’ici la fin de sa carrière, et voilà que toutes ces “petites” choses commencent à faire de Rudy un mec qui compte dans la Ligue et dans son histoire. Une histoire qui n’a jamais daigné offrir à Scottie Pippen ce foutu trophée alors qu’il est l”officieux meilleur défenseur extérieur de tous les temps, une histoire qui a vu jusque-là sept joueurs glaner deux fois ou plus ce fameux trophée. Ces joueurs ? Boarf, trois fois rien. Sidney Moncrief, aka le type pour qui l’award a pratiquement été créé, Alonzo Mourning, Dikembe Mutombo, Hakeem Olajuwon, Dennis Rodman, Kawhi Leonard et Dwight Howard, bref que des mecs avec des moufles. Seuls Dwight Howard et Dikembe Mutombo (3) et l’illustre Ben Wallace et ses quatre trophées sont aujourd’hui plus récompensés que Rudy donc, et c’est d’ailleurs avec ce dernier que certains parallèles statistiques peuvent être faits. Six saisons assez all-time entre 2001 et 2007, récompensées par un titre, quatre trophées de DPOY mais aussi quatre All-Star Games (la concurrence n’était-elle pas un peu pétée à son poste à l’époque ?), le tout avec des mains incroyablement carrées voire aussi triangles qu’un sandwich autoroutier. Ça ne vous rappelle rien ? Ok, il mange une bague pour accéder à la postérité, ok il manque les All-Star Games mais… ont-ils la même saveur et le même impact dans une carrière qu’il y a encore dix ans, on repose la question. Et n’oublions pas, détail non-négligeable, que Rudy n’a encore que… 27 ans.
Voilà où on est aujourd’hui. A parler d’un mec dans la même phrase que des légendes de ce jeu, à se dire que Rudy n’en est aujourd’hui, même pas peut-être, qu’à la moitié de son parcours en NBA, et qu’il a donc encore tout le temps de se faire un nom dans des palmarès plus collectifs et autrement plus importants sur un CV. Est-ce que le Jazz ressemble à une franchise capable d’aller chercher une bague dans les deux ans ? Très probablement que non, même si on a vu la saison passée qu’un ou deux trades en quelques mois pouvaient révolutionner l’histoire en un claquement de doigt. Est-ce que le Jazz peut ambitionner de grandes victoires à moyen terme ? Pourquoi pas, malgré un sex-appeal au plus bas face aux grands marchés californiens ou de la Côte Est. Une carrière en tout cas plus que propre jusque-là malgré les quelques inepties vues ça et là, mais que voulez-vous on ne peut pas être amateur de verres de Javel au petit-déjeuner, se coucher à 23h le soir et se lever à 8h le matin… tout en se targuant d’être les meilleurs spécialistes de basket US. La Team statistique et highlights ricane mais les puristes savent finalement très bien de quoi ils causent, d’un mec que tous les attaquants de NBA rêvent se farcir, et tout ce petit monde pourra se retrouver – ou pas – autour d’un café dans une dizaine d’années pour discuter de la place de Rudy Gobert dans l’histoire de la NBA. Spoiler, il devrait y avoir matière à débattre, si tant est que tout le monde en ait envie.
Un pivot de 27 ans double-DPOY, en double-double de moyenne depuis bientôt quatre ans, joueur le plus valuable d’une franchise qui gagne cinquante matchs par an. Et l’on se demande donc encore si l’on doit adouber le bonhomme ou bien se foutre de sa gueule. L’homme a ses défauts, ou plutôt ses contrariétés, mais sur le terrain gageons qu’il a jusque-là toujours répondu présent. Écrasé parfois par des monstres de son époque, passant à côté à l’occasion d’un match ou deux, mais globalement parmi les intérieurs les plus constants de toute la Ligue. Vous en voulez encore ? Allez, on se dit qu’on se refait le même point dans quelques années ?