L’idylle ratée entre Antoine Rigaudeau et la NBA : Hall of Famer en Europe, 91 minutes jouées aux US, cherchez l’erreur
Le 17 déc. 2018 à 14:33 par Clément Mathieu
Nous sommes le 17 décembre, et à l’heure où la plupart d’entre vous se ruent dans les magasins pour garnir le sapin, TrashTalk a déjà un cadeau pour vous. Un hommage qui plaira aux plus vieux de nos lecteurs et qui fera découvrir quelqu’un aux plus jeunes. Et pas n’importe quel joueur en plus. On est loin de Jo le rigolo là. Allez, enfilez tous vos lunettes, on envoie le steak. Bon anniversaire Antoine Rigaudeau, aka le Roi. Oui oui, il y en a un en Europe aussi.
Certains d’entre vous ne connaissent pas cet immense joueur et comment peut-on vous blâmer ? Votre présence ici est due à l’amour du basket, mais aussi à votre coup de cœur pour la NBA. Et il faut bien le dire, à la simple évocation des States, notre Tonio national doit choper de l’urticaire automatiquement. Encore un joueur qui n’aura pas réussi son adaptation dans la Grande Ligue, ou peut-être est-ce l’inverse cela dit, non ? Combien de fois les ricains se sont privés de talents incroyables par méconnaissance du basket européen ? A l’heure où Luka Doncic cartonne comme jamais et où Milos Teodosic est relégué sur le banc, on peut s’interroger sur ce qu’il faut pour réussir outre-Atlantique. Mais avant de vous parler du grand échec d’Antoine Rigaudeau, il faut s’attarder sur ses exploits. Et pour le coup, nous aurons besoin de bien plus que 91 minutes pour cerner le bonhomme.
Qu’on vous prévienne tout de suite, la liste des accomplissements d’un des plus grands joueurs français de tout les temps est si longue que vous pourriez en nourrir un complexe d’infériorité assez facilement. Vous faisiez quoi à 16 ans vous ? Simple question anodine, ne vous en faites pas. Parce que pendant que la plupart d’entre nous étions bien tranquillement posé au lycée, Antoine Rigaudeau lui, jouait déjà en Pro A. Et oui, un physique de crevette, pas plus de 60 kilos sur la balance à coup sûr, mais tellement de basket dans les mains que la conclusion est simple. L’ado pré-pubère est un futur très grand. Alors certes, il ne joue pas encore beaucoup mais voir un gamin scorer sur la tête d’adultes non consentants est quand même un petit plaisir, que l’on peut retrouver en ce moment en regardant des matchs des Mavericks d’ailleurs. Ses premières rencontres dans la ligue française ont donc eu lieu en 1987 sous le maillot du Cholet Basket Club. Mais c’est réellement lors de la saison 1989-90 que le joueur commence à être bien flippant. Pendant deux ans, il n’a disputé que 10 matchs, et oui il faudrait pas louper les cours de SVT quand même, pour des statistiques faméliques. Mais maintenant, le prodige de 18 ans joue presque l’intégralité des rencontres avec des moyennes de 11 points et 5 passes à 52% au tir. Du très très sale. Maintenant, les espoirs qui alignent de tels chiffres à un si jeune âge, sont immédiatement envoyés aux States par le premier avion. Mais à l’époque, on savait garder nos petits trésors pour nous.
Dès la saison suivante, alors qu’il n’a que 19 ans, il est élu MVP du championnat avec 17 points, 7,5 passes et 3,5 rebonds par match à 57% au tir dont 45% à trois points. Ces statistiques sont à l’image de sa carrière, Tonio est un shooteur absolument incroyable. Capable de marquer de n’importe quel endroit sur le parquet, il ne force jamais ses tirs et sait user de sa vision de jeu impressionnante pour distiller des passes à foison. Le fait d’être un meneur de 2m01 peut aider effectivement. En plus d’être un attaquant remarquable, c’est un défenseur très sérieux qui tourne à près d’une interception et demie en carrière. Être aussi précoce, c’est réservé uniquement aux plus grands. Antoine Rigaudeau est le plus jeune joueur de l’histoire à avoir obtenu cette récompense individuelle ultime et celui à l’avoir remporté le plus de fois, cinq pour être précis. Il passera seulement huit véritables saisons dans le championnat français, six à Cholet, et deux à Pau Orthez, où il sera champion en 1996. Ce laps de temps a suffit, pour qu’il soit considéré comme l’un des plus grands à avoir foulé les parquets de l’Hexagone. Mais évidemment, très vite, son talent l’a emmené ailleurs, à un endroit où il pouvait disputer les plus grandes rencontres européennes. En Italie, à Bologne, au club de Virtus. Déjà en 1994, il avait des envies d’ailleurs. Durant l’été, Antoine Rigaudeau dispute la Summer League sous le maillot des Rockets à l’âge de 24 ans. Malgré le fait qu’il soit associé à des peintres, il ne foulera pas beaucoup les parquets lors de ses vacances aux States. Première rencontre avec la NBA, peut-être symbolique de la suite, on vous en reparle après.
C’est donc en Italie qu’Antoine Rigaudeau écrit peut-être les plus belles pages de sa carrière. Au-delà de remporter le championnat italien à deux reprises en 98 et en 2001 et trois fois la coupe nationale, il a enfin l’occasion de disputer l’Euroleague (appelée la Coupe d’Europe ou C1 à l’époque), la plus grande compétition européenne, celle où seuls les plus grands ont laissé leur marque. Ça tombe bien, le Roi, comme on l’appelle en Italie, est immense. Il remportera le titre le plus prisé dès sa première année dans le club, en 1998. Il sera le meilleur marqueur de la finale, alors qu’une blessure l’empêchait pourtant de pratiquer son meilleur basket. En 1999, il dispute à nouveau la Summer League, il est approché par le Jazz, les Knicks et les Spurs, mais n’obtiendra pas de contrat. En 2001, il jouera avec Manu Ginobili, et remportera à nouveau le titre européen avec le Virtus Bologne. Ces années en Italie ont transformé Antoine Rigaudeau en star et en chef de meute. Adulé par son pays d’adoption, craint sur la scène européenne, son efficacité au tir est absolument légendaire et un calvaire pour n’importe quel défense. Durant ses six années au club, il tournera à 13 points de moyenne à presque 60% de réussite et 45% à trois points. Monsieur propre en short et avec des cheveux quoi.
Et avec l’équipe de France, le tarif est le même. En plus d’être un joueur d’exception, Antoine Rigaudeau est un leader naturel. C’est avec lui que le basketball français se fait un nom à l’international. C’est lui et d’autres qui ouvrent la voie à Tony Parker et Boris Diaw. C’est sous son leadership que ces deux légendes ont commencé à affoler la planète. Sélectionné dés 1990, il disputera 127 sélections sous le maillot bleu. En 2000, aux JO de Sydney, la France remporte sa première médaille au basket depuis 1959. Elle atteint héroïquement la finale mais perd contre des Américains bondissants. Ces derniers étaient de toute façon presque imbattable au saute-monton à cette époque. Ce n’est pas Fred Weis qui dira le contraire. Néanmoins, lors du dernier match, le roi fera douter les Américains sur un tir du parking tellement clutch, pour revenir à quatre points à quelques minutes du terme de la rencontre. Sur ce tournoi, il finira meilleur marqueur de l’équipe et lui sauvera les fesses à plusieurs reprises. Notamment contre la Chine, dans une rencontre pour la qualification en quart de finale, où il plantera 29 points dont six triples de suite en seconde mi-temps pour inverser la tendance d’un match qui était très mal parti, la spéciale Rigaudeau quoi. Alors que les JO devaient être sa dernière compétition sous le maillot bleu, le sélectionneur Claude Bergeaud le convainc de retrouver le groupe en 2005 pour épauler Tony Parker à la tête de l’équipe. C’est donc avec un rôle de daron et une médaille de bronze obtenue face à l’Espagne (oh que c’est bon) qu’il terminera définitivement sa carrière professionnelle.
On va maintenant arriver à ce que vous attendez tous, la carrière en NBA du Roi. Autant vous le dire tout de suite, elle n’est pas belle et ne représente pas du tout la carrière et le talent du joueur. Son échec outre-Atlantique nous fait penser à celui de Nando De Colo, qui lui non plus n’a jamais réussi à se faire une place parmi les talentueux aux crânes vides de la Grande Ligue. Après deux Summer League peu concluantes, tout indiquait à Antoine Rigaudeau que son avenir ne se situait pas aux Etats-Unis. Vous voulez savoir au profit de qui le temps de jeu du Frenchie a été diminué chez les Rockets en 1994 ? Accrochez vous, on vous balance des noms de légende là. Alvaro Teheran, Larry Robinson, Tim Breaux et Ashraf Amaya. Inutile de ressortir l’album Panini, ils ne sont pas dedans. Du coup forcement les stats s’en ressentent, 16 petites minutes de moyenne pour 6 points, 1 rebond, et 2 passes, pas de quoi choper un contrat max. Le principal intéressé s’exprimera sur le sujet dans Maxi Basket dès la fin de l’aventure.
“A chaque fois que tu es en attaque, deux voire trois joueurs se placent complètement à l’écart pour favoriser le un-contre-un des coéquipiers. Le problème, c’est que ce sont souvent les mêmes qui bénéficient des balles d’attaque, et évidemment toujours les mêmes qui les regardent jouer. Les joueurs pensaient que je venais pour leur piquer leur place. En fait, je n’ai pas trop eu de relations avec eux. Ils sont très protectionnistes. Aucun n’est venu vers moi. […] Les relations avec l’encadrement sont identiques. Les entraîneurs sont très distants du groupe. On doit être présents aux rendez-vous, on dort tous dans le même hôtel, mais on fait ce que l’on veut de notre temps-libre. Tu reçois tous les jours 60$ et tu te débrouilles. J’en ai profité pour assister à un concert de Phil Collins.”
Heureusement qu’il a pu profiter du concert quand même. Parce que sur le terrain, les mecs ne l’on juste pas mis dans les meilleures conditions pour pratiquer un bon basket. Son nom fut écorché en Rigadeau par le speaker et sur la feuille de match, sa taille fut diminué à 1m95, on part sur un respect zéro donc. Pour combler le tout, le staff des Rockets l’aligna au poste d’ailier ou d’arrière. Quand on regarde ces déclarations avec le recul, on se dit que, depuis le début, Antoine Rigaudeau n’aurait jamais dû foutre un pied aux Etats-Unis à une époque où tous les joueurs européens étaient mépriséq. Le pire, c’est que dès 1994, le Français avait compris cela.
“Être meneur, il ne fallait pas y compter. Mes agents avaient pourtant envoyé des cassettes à Houston pour qu’ils sachent comment m’utiliser. Enfin bon. J’aurais eu de toute façon du mal comme meneur. […] Mon jeu ne correspond pas vraiment au basket qu’ils pratiquent. La plupart des Américains sont butés. Un peu ‘bœufs’. Ils ne savent pas trop shooter, et se compliquent souvent la vie en systématisant les pénétrations. Ils se prennent des casse-croûtes en dessous et pourtant ils y retournent. Ils pensent trop au dunk ou au lay-up, au contact physique pour chercher la faute, là où parfois il serait bien plus facile de prendre un tir à 4 mètres. Je comprends maintenant pourquoi Drazen Petrovic a mis du temps pour réussir en NBA et pourquoi Toni Kukoc souffre à Chicago. Les Américains sont suffisants avec les Européens mais je les comprends. Ils ont de la fierté car dans leur pays tout est immense, super grand, impressionnant.”
Et c’est donc après une nouvelle tentative avortée en 1999 qu’Antoine Rigaudeau voit le destin lui sourire au début de la saison 2002. Alors que son club italien commence à souffrir de problèmes financiers, le fils de Don Nelson, alors coach des Mavericks, lui propose de tenter sa chance en NBA. Le contrat est finalisé en janvier 2003 et le Français s’envole enfin outre-Atlantique pour rejoindre l’équipe dans laquelle Tariq Abdul-Wahad est déjà en train de se casser les dents. Dirk Nowitzki déclarera, quant à l’arrivée du roi dans la Grande Ligue : “Je ne vois pas ce qu’il vient faire en NBA à 31 ans…”. Comme souvent, le Wunderkind aura raison. Rigaudeau ne disputera que 91 minutes en NBA. Sur son poste, la team de Mark Cuban dispose déjà de Steve Nash et Nick Van Exel. Sa taille ne lui permettant pas d’être considéré comme un meneur, le joueur est utilisé uniquement comme un shooteur en sortie de banc au poste 3. Super ! On peut encore une fois souligner la remarquable capacité des scouts NBA à considérer les joueurs européens comme uniquement des snipers. On se demande même pourquoi le front office de Dallas est venu le chercher finalement. Après 11 matchs et des statistiques bien nuls qu’on ne citera pas, il sera échangé aux Warriors de Golden State. Mais le mec n’est quand même pas fou, il négocie la rupture de son contrat de trois ans pour retourner en Europe au club de Valence pour y finir sa carrière en 2005.
Voici donc l’histoire d’un énième joueur européen qui n’aura pas réussi à faire le grand saut. Est-ce la faute des dirigeants NBA ou des joueurs eux mêmes ? En réalité, il faut juste réaliser que l’on ne parle pas du même sport. Le basket européen est un basket qui est collectif, qui défend très dur et où le jeu à l’intérieur est roi. Le jeu de la Grande Ligue américaine est en partie basé sur les capacités athlétiques et individuelles des joueurs. Les coachs sont considérés plus comme des meneurs d’hommes que comme de véritables tacticiens de la balle orange. En gros, pour schématiser grossièrement, il y a un continent où ça réfléchit et un autre où il y a du talent. Cette déclaration est un peu limitée, on en convient, mais est peut-être celle qui explique le mieux pourquoi des joueurs comme Milos Teodosic, Sergio Rodriguez, ou Nando de Colo n’ont jamais eu la chance de briller sous les projecteurs des USA.
Aujourd’hui, Antoine Rigaudeau a 47 ans et on se devait de lui rendre hommage. Véritable pionnier du basket français, son expérience ratée aux Etats-Unis ne peut pas être le symbole de son immense carrière. Dans la catégorie des mecs qui ont une très grande cheminée dans leur salon, le gars se pose parmi les patrons. Son CV est long comme les bras de Mo Bamba, ses tirs sont soyeux comme ceux de Drazen et son héritage est immense comme… ben personne en fait. Pour ceux qui n’ont pas eu l’âge d’admirer le roi en action. On vous laisse avec une sublime vidéo faite par la fédération française de basketball sur le bonhomme.
Sources texte : Maxi Basket
Sources Vidéo : Youtube, Dailymotion FFBB