Larry Brown, à la gloire du collectif

Le 14 sept. 2014 à 12:10 par Nicolas Meichel

Lorsque l’on parle des meilleurs entraineurs de l’histoire du basket, Phil Jackson, Red Auerbach, Pat Riley et Gregg Popovich sont les noms qui ressortent le plus souvent. Les bagues parlent pour eux, leur charisme aussi. Pourtant, un autre coach mériterait de figurer dans cette discussion. Il fête aujourd’hui ses 74 ans, et il s’appelle Larry Brown.

Nous sommes le 15 juin 2004 à Detroit, dans le Michigan. Les Finales NBA, opposant les Pistons aux Los Angeles Lakers, touchent à leur fin. A la surprise générale, les stars californiennes s’inclinent face aux gars de Motown, coachés par Larry Brown. Cinq matchs auront suffi pour faire la différence. Phil Jackson, Kobe Bryant et Shaquille O’Neal auront pris une leçon de collectif, d’altruisme, de défense. Et tous les fans NBA avaient alors assimilé que le basket était avant tout un sport d’équipe. Dans une ligue toujours dominée par ses stars et par le culte de l’individualisme, cette équipe de Detroit aura mis une belle gifle à tout le monde. Chauncey Billups, Rip Hamilton, les Wallace Brothers, Tayshaun Prince, des mecs qui ne seront jamais forcément reconnus pour leur juste valeur, mais qui avaient compris, contrairement à beaucoup d’autres, qu’une équipe était bien plus que la somme de ses individualités. Et cela, c’est grâce à un entraineur qui lui aussi, souffre d’un manque de reconnaissance aberrant dans la culture populaire. Sur cette série là, Larry Brown a prouvé, si c’était encore nécessaire, qu’il était bien l’un des meilleurs coachs de l’histoire.

Un parcours de joueur à l’origine d’une très grande carrière d’entraineur

larrybrownuncComme beaucoup d’entraineurs, Larry Brown est d’abord passé par la case « Joueur », où il a pu côtoyer quelques-unes des grosses pointures du coaching. Lors de son discours d’introduction au Hall Of Fame en septembre 2002, soit un peu moins de deux ans avant son seul titre NBA, Brown déclare « qu’aucun autre coach n’a eu une meilleure formation que lui ». Et quand on regarde la liste des entraineurs pour lesquels il a joué durant sa carrière, on a vite compris. Durant son passage à l’université de North Carolina au début des années 1960, Larry Brown était sous les ordres des légendaires Frank McGuire et Dean Smith. Mieux encore, en 1965, il devient l’assistant de Smith pour une période de deux ans, avant de rejoindre la ABA afin de poursuivre sa carrière de joueur. Dans cette ligue qui n’était encore qu’à ses débuts, Brown a eu l’occasion de fréquenter des coachs Hall Of Famers, comme Alex Hannum chez les Oakland Oaks, et John McLendon chez les Denver Rockets. Sa carrière de joueur a d’ailleurs plutôt été un succès, puisque Larry, qui était déjà l’un des meilleurs joueurs universitaires à l’époque, a remporté en 1964 une médaille d’or lors des Jeux Olympiques de Tokyo, ainsi qu’un titre AAU avec les Akron Wingfoots. En ABA, il a été nommé en 1968 sacré MVP du premier All-Star Game de l’histoire de la ligue, tout en étant sélectionné pour la seconde équipe All-ABA la même année. La saison d’après, il remporte son seul et unique titre ABA avec les Oakland Oaks. De plus, Brown fût leader de la catégorie passes décisives/match durant trois années consécutives (il possède d’ailleurs le record ABA de passes décisives réalisées en un match, avec 23 assists). En 1972, après avoir joué cinq saisons dans la ligue concurrente de la NBA, il décide de raccrocher définitivement les sneakers pour entamer une carrière d’entraineur.

« Play The Right Way » : plus qu’un slogan, une véritable marque de fabrique

Cette expression « Play The Right Way », autrement dit « jouer de la bonne façon », ou « jouer juste », est au fur et à mesure des années devenue la marque de fabrique de Larry Brown. De 1972 à aujourd’hui, Coach Brown a toujours suivi cet adage, cette philosophie de jeu, cette façon de voir le basket. Partout où il est passé, il a essayé de transmettre un message, son message. Que ce soit pour son premier poste à Davidson, ou pour son dernier à Southern Methodist University, Larry Brown a toujours eu cette passion d’enseigner, de transmettre les valeurs du basket collectif. Quand on vous dit « Play The Right Way », c’est à la fois vaste et très simple. Cela correspond à un état d’esprit. Cela signifie que le basket est avant tout un sport d’équipe, qui se joue à cinq en attaque comme en défense. Cela signifie que l’altruisme prend le pas sur l’égoïsme, que l’intelligence prend le meilleur sur la bêtise, que l’aide triomphe de l’abandon, et que le collectif domine l’individualisme. Le sacrifice, la défense, l’extra-pass, le respect du jeu, le plaisir sont des mots qui font tous partie du champ lexical de Larry Brown et des équipes qu’il a pu entrainer durant sa carrière. Cela sonne peut-être un peu vieux jeu, un peu old school, mais en fin de compte, le basket c’est ça. Tous ces tops 10, toutes ces récompenses individuelles nous font quelque peu oublier l’essence même de ce sport. On aime tous voir un gros dunk de mammouth de LeBron James, un fadeaway magique de Kobe Bryant, une pénétration de malade de Derrick Rose, ou encore un buzzer beater énorme de Kevin Durant, mais le basket représente tellement plus que ça.

larrybiversonLa grande qualité de Larry Brown, c’est d’avoir su transmettre pratiquement partout où il est passé cette notion du collectif. En quatre décennies de coaching, Brown a toujours su faire progresser rapidement des équipes moyennes, en leur enseignant les valeurs mêmes du jeu. Des valeurs simples, mais malheureusement souvent oubliées. Perfectionniste, très exigeant, à la fois proche et dur avec ses joueurs (en particulier envers ses meneurs de jeu), Brown parvient à tirer le meilleur de ces derniers, à maximiser leurs potentiels, tout en leur faisant comprendre qu’ils font partie d’un ensemble. Avec comme seul et unique but de créer une équipe parfaite. « Play The Right Way », cela veut dire que gagner des matchs ne suffit pas, c’est surtout la façon de jouer qui est importante. C’est tout un processus, quelque chose qui doit être bien fait. Forcément, cette quête de la perfection se retourne souvent sur les joueurs, qui ne comprennent pas forcément tout de suite cette philosophie pas showtime pour un sou, mais terriblement efficace. Larry Brown avait lui-même déclaré que la chose la plus difficile pour un coach, c’est de « réussir à faire comprendre à ses joueurs la différence entre les coacher et les critiquer ». Beaucoup de joueurs se sont clashés avec Brown au cours de sa longue carrière, tout simplement parce qu’ils n’avaient pas la même vision du basket que lui, et qu’il est très difficile de modifier cette dernière chez un joueur. L’exemple le plus connu et le plus parlant est clairement l’épisode Allen Iverson à Philadelphia. De 1997 à 2003, Brown et Iverson ont connu moult altercations. Mais comment pouvait-il en être autrement vu l’antagonisme entre ces deux personnages ? D’un côté, on avait un coach de la vieille école qui a fait du collectif sa religion, et de l’autre une superstar spécialiste du un contre un et qui a toujours joué en NBA comme s’il était sur le playground du coin. Le clash était difficilement évitable. Vous ajoutez à cela une éthique de travail loin d’être irréprochable de la part d’Iverson (Practice ?), et là forcément c’est la guerre. A tel point que Brown souhaitait le transfert de The Answer à cette époque, qui était à deux doigts de quitter les Sixers pour Detroit au cours de l’été 2000. Finalement, cela ne s’est pas fait, et heureusement d’ailleurs quand on sait ce qu’il s’est passé par la suite. Au fur et à mesure, Brown a réussi à changer Iverson, en lui faisant comprendre que l’équipe était prioritaire. Il a réussi à lui faire comprendre qu’il n’était pas contre lui, mais avec lui. Et Allen a réalisé que son coach n’était pas là pour le critiquer, mais pour le faire progresser, surtout d’un point de vue mental.

Je pense qu’il est le meilleur coach à avoir jamais coaché ce jeu. Il m’a beaucoup fait progresser sur et en dehors du terrain.

Allen Iverson à propos de Larry Brown.

A partir de là, Iverson était devenu le meilleur joueur du monde, le MVP de l’année 2001. Au cours de cette même saison, Larry Brown fait de Philadelphia l’un des meilleurs collectifs de la ligue. Autour d’A.I., il parvient à mettre une place une équipe où chaque joueur connait son rôle à la perfection, en adéquation avec ses qualités. On retrouve des joueurs comme Dikembe Mutombo, Eric Snow ou Aaron McKie, des joueurs qui n’étaient pas forcément les plus talentueux ou les plus flashys, mais qui avaient tout compris de la philosophie « Play The Right Way » de Larry Brown. Cette année-là, les Sixers réussiront l’exploit d’aller jusqu’en Finales, où ils s’inclineront finalement face aux Lakers de Shaq et Kobe.

oCette incroyable capacité à créer un collectif à partir de joueurs très différents n’aura jamais autant porté ses fruits qu’à Detroit, où il était de passage entre 2003 et 2005. Quand on vous parlait d’équipe parfaite un peu plus haut, les Detroit Pistons de Larry Brown sont peut-être le meilleur exemple qu’on puisse vous donner. Elle est surtout la preuve qu’il ne faut pas forcément avoir une superstar, ou deux, ou trois, pour gagner un titre NBA (même si Larry n’est pas forcément d’accord sur ce point là, lire ci-dessous). Tout ce qu’il faut, c’est cinq mecs qui jouent avec la même mentalité, la même envie et le même objectif en tête. Dans cette équipe, chacun excellait dans son propre rôle, le tout au service du collectif :

Cette équipe a joué de la bonne façon chaque jour. Mais je rigole quand on me dit que je n’avais aucune superstar. Ben Wallace était une superstar dans les choses qu’il faisait, Rasheed Wallace était peut-être aussi bon que n’importe quel intérieur de notre sport, même si personne ne lui donne du crédit. Chauncey était lui un grand joueur avec beaucoup de cœur, qui a beaucoup sacrifié pour moi. Rip Hamilton était un clone de Reggie Miller, il avait des qualités similaires, même s’il ne shootait pas d’aussi loin. Et Tayshaun Prince, quelqu’un lui avait déjà appris la bonne façon de jouer.

Larry Brown parlant de ses Pistons qui ont remporté le titre en 2004.

Après 22 années de coaching en NBA, Larry Brown n’avait jamais été aussi proche de la perfection. Défensivement, collectivement, mentalement, ces Pistons-là étaient tout ce qu’il avait rêvé. Malheureusement, deux mois plus tard, il allait toucher l’autre extrême avec l’équipe nationale américaine aux Jeux Olympiques d’Athènes. Finissant seulement avec le bronze, Team USA a joué un basket pathétique, individualiste, très loin du « Play The Right Way » cher à Larry Brown. Dans cette équipe composée de joueurs ayant grandi en idolâtrant Michael Jordan, ce n’était pas forcément facile d’inculquer à tout le monde la valeur du collectif. Trop d’égos, aucune organisation, beaucoup de jeunesse, bref, on avait là le cocktail parfait anti-Brown. Connu pour son manque de patience et sa confiance limitée dans les jeunes joueurs, Larry se privera beaucoup de LeBron James, Carmelo Anthony et Dwyane Wade durant la compétition, ce qui lui a valu son lot de critiques. Cette expérience olympique désastreuse restera comme le gros point noir de la carrière de Larry Brown.

Un palmarès digne des plus grands

ucla-ncaa-1979-80--1980-81Cela fait maintenant plus de 40 ans que Larry Brown pose ses fesses sur les différents bancs de touche US afin de satisfaire sa passion et son obsession du coaching. Actuellement à Southern Methodist University (SMU), Larry est passé par de nombreuses organisations, qu’elles soient universitaires ou professionnelles. Attention, la liste est très longue : Davidson Wildcats (NCAA / 1969), Carolina Cougars (ABA / 1972-1974), Denver Nuggets (ABA & NBA / 1974-1979), UCLA Bruins (NCAA / 1979-1981), New Jersey Nets (NBA / 1981-1983), Kansas Jayhawks (NCAA / 1983-1988), San Antonio Spurs (NBA / 1988-1992), Los Angeles Clippers (NBA / 1992-1993), Indiana Pacers (NBA / 1993-1997), Philadelphia 76ers (NBA / 1997-2003), Detroit Pistons (NBA / 2003-2005), New York Knicks (NBA / 2005-2006), Charlotte Bobcats (NBA / 2008-2010), SMU Mustangs (NCAA / 2012-aujourd’hui). Souvent critiqué pour son incapacité à entrainer une seule et même équipe sur le long terme, Larry Brown a cependant beaucoup apporté partout où il est passé. Et son palmarès parle pour lui. Ce qui différencie Larry des autres très grands coachs de l’histoire de ce sport, c’est qu’il a réussi à tous les niveaux, que ce soit en université ou chez les professionnels. En 1980, il guide UCLA en Finale NCAA, où les Bruins s’inclineront malheureusement face à Louisville. Mais en 1988, il remporte le titre universitaire avec Kansas, qui battra Oklahoma lors du match décisif. Cette année là, il est même nommé Naismith College Coach Of The Year. En ABA, Larry Brown profite de son passage pour remporter trois titres de coach de l’année, en 1973, 1975 et 1976. Et puis bien sûr la NBA, où il glanera là aussi un titre de coach de l’année (en 2001 avec les Sixers), tout en emmenant trois fois son équipe en Finale (Philadelphia en 2001, et Detroit en 2004 et 2005), pour finalement remporter une bague ultra-méritée avec les Pistons. Il est aujourd’hui encore le seul coach de l’histoire à avoir gagné à la fois un titre NCAA et un titre NBA. Il aura également réussi à guider pas moins de huit équipes différentes en PlayOffs NBA, un record.

Larry Brown a donc tout gagné. Mais ce qu’on retiendra de lui avant tout, c’est la passion qu’il possède pour transmettre à la jeune génération ce qu’il a appris des plus grands. Coacher, c’est sa vie, c’est une obsession. Il aime ce jeu, il aime ce qu’il représente, il aime quand il est joué de la bonne façon, et c’est cela qu’il a toujours voulu enseigner. Tout simplement car au final, tout ce qu’il souhaite, c’est aider le basket à rester le plus beau sport d’équipe existant sur cette Terre.

Source couverture : hollywotion de chez TrashTalk


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