Ces Spurs allergiques aux paillettes et à l’exubérance : un versant préjudiciable à leur postérité ?
Le 10 août 2014 à 17:48 par Leo
Considérée comme étant la meilleure escouade de la Ligue à cheval sur les deux dernières décennies, les San Antonio Spurs empilent les trophées ainsi que le respect de leurs pairs sans broncher ni dépasser d’un trait leur coloriage omnipotent de domination, teinté d’une maestria inégalée et d’un savoir-faire exceptionnel qui n’hésitent pas à faire fulminer d’une jalousie plus que débordante les 29 autres écuries concurrentes que comporte la NBA.
Or, malgré les allers-retours incessants de camions entiers venant leur délivrer des amas de roses toutes aussi sublimes les unes que les autres sur le bas de leur porte, il existe cependant un aspect de leur philosophie, proche d’une forme avérée d’un épicurisme moderne, qui semble leur faire défaut de nos jours, voire d’autant plus dans les années à venir : leur répulsion nette et précise de “tout ce qui brille”, de tout ce qui fait le charme ou, au contraire, tout ce qui pousse certains à l’écœurement devant des franchises telles que Los Angeles ou New York, la négation de tout ce qui pourrait embellir de près ou de loin leurs actes et faire jouir, d’une manière plus frappante et plus libérée encore, leurs fans mais également tous les aficionados qui “pimpent” leur passion au quotidien de cette fibre flashy, propre à la Grande Ligue… Questionnement.
Une éthique de travail extrêmement rigoureuse qui réfute tout écart de conduite
En premier lieu, il serait presque inutile de rappeler ici que la mentalité texane instaurée par le stratège féroce, Gregg Popovich, n’est plus un secret pour personne : aucun ne peut se croire au-dessus de l’autre, chacun travaille pour le coéquipier à ses cotés, le protège, le bonifie match après match. Autour d’un climat pour le moins spartiate, tout est mis en ordre afin que seul le collectif ne prédomine et fasse entendre sa voix au-delà des personnalités de ce groupe d’individus, marchant à l’unisson au cœur d’un sillage tracé vers la victoire. En quelque sorte, l’équipe s’apparente, au fil des années, à une machine imperturbable dont les qualités humaines ne peuvent uniquement resplendir, au contact aride de la lumière des projecteurs, que lorsque celles-ci sont noyées dans un torrent de principes et d’idéaux constructeurs que les joueurs doivent appliquer à la lettre sur le terrain. En d’autres termes, seul le bien fondé de cette unité millimétrée et implacable ne compte ; les egos, les caprices, les facéties des vétérans ou des rookies sont à jeter par-dessus bord. Tout ce qui est superflu ou qui aurait valeur de sentimentalisme est néfaste à cette alchimie de groupe que quelques impudents mal avisés se permettraient de critiquer à tort, d’autant plus de nos jours, au sortir du cinquième titre magistralement glané au profit du Heat de Miami cette année.
Si d’autres anciens moussaillons de “l’institution Spurs” tentent de reproduire cette essence pour le moins coercitive dans l’acceptation de leurs nouvelles fonctions au sein d’une nouvelle franchise tels que Mike Budenholzer aux Atlanta Hawks ou Jacque Vaughn au Magic d’Orlando, ceux-ci se tiennent encore très éloignés de pouvoir se targuer de reproduire les délices proposés par cette fontaine originelle ou de se vanter d’avoir pu déceler les mystères de cette formule magique de la gagne, univoque et sans fioriture aucune. En somme, voici trivialement une industrie prolifique agissant dans l’ombre qui ne tire son plaisir que dans la réussite apposée au soin raffiné qui est doit être voué au culte solennel du basket-ball, à ses fondations et à ses pratiques, tout en proposant un jeu léché, presque symphonique, qui sait comme aucun autre effectif émouvoir un amphithéâtre subjugué par un tel souci du détail et un mouvement de balle forçant l’admiration, décuplant les sentiments colorés du commun des mortels.
Un mode de fonctionnement à l’opposé de celui véhiculé par la NBA
De nos jours, si les Spurs ont l’air plus qu’indifférents et imperméables devant toute accusation d’une fâcheuse tendance à une austérité très prononcée, c’est que, comme le promulgue l’article 1 de leur déclaration universelle de leurs lois intrinsèques et fondatrices, le regard extérieur des autres acteurs de la Ligue leur importe peu. Dès lors, au lieu de s’aventurer dans divers débats et explications interminables proches du risible, ils préfèrent laisser parler leurs qualités sur les parquets à leur place, tout en continuant leur marche en avant envers et contre toute intempérie médiatique portée à leur encontre. Voilà des autodidactes qui se payent même le luxe d’économiser leur salive pour d’autres conflits qui, selon eux, en vaudront enfin la peine ! Point de snobisme à dénoncer ici puisque les observateurs et analystes ont désormais pris l’habitude de ne pas céder à l’indignation, ces-derniers étant parvenus à faire passer de façon intrigante cette attitude peu orthodoxe comme une forme de normalité : “Pas de panique, ce sont les Spurs, ils sont comme ça”. Or, comme le place savoureusement Jean-Luc Couchard dans le rôle mémorable de la grande gueule JC tout au long du film complètement déjanté Dikkenek, n’y a-t-il pas en l’occurrence quelque chose “d’excessivement énervant” dans le métabolisme de ces Spurs clamés comme étant si irréprochables ? Il faut croire que oui…
Ainsi, si ces Spurs n’ont de cesse de flirter avec la perfection ballon en main, comme toutes les autres cultures et styles de jeu que détient notre chère Grande Ligue, ils sont loin de s’en approcher et, très justement, n’en ont cure. Aucun problème avec cela, nous sommes tous d’accord. Cependant, leur seraient-ils trop demander d’ajouter un soupçon de piquant dans leur comportement sur et en dehors du terrain ? Ce grain de folie singulier et labellisé NBA qui fait chavirer les foules de par le monde, ce brin d’impétuosité qui relève la sauce passionnelle goûtée par toute une génération de fans qui découvre ou amplifie son amour pour la NBA au même instant, cette étincelle subversive et insouciante qui viendrait adoucir par séquence le caractère militaire, glacial par moment, de cette machine de guerre impassible qui fait office de temple sacré outre-Atlantique depuis près de 15 ans ? En guise de réponse, ces Spurs, toujours par l’intermédiaire de leur maître à penser, vous répondront, quand ils daigneront vous répondre en interview entre deux quarts-temps d’une rencontre disputée en antenne nationale, que cette poudre aux yeux futile n’est pas commercialisable aux confins de leur région, celle-ci pouvant même porter atteinte à leur idéologie si utilisée…
Effectivement, un système aux petits oignons dédié à démarquer dans un fauteuil king size un shooteur après un ou deux écrans décisifs vaut tout autant qu’un alley-oop emphatique réalisé à deux mains derrière un pick-and-roll ; l’équation reste et restera inchangée. Mais au-delà de vouloir absolument briser cette image rigide aux yeux de fans demandeurs de davantage d’expressions personnelles, de créativité dite “exacerbée” de la part de ces joueurs taciturnes, n’y aurait-il pas un zeste d’entertainement qui prendrait des allures de nécessité à insérer dans leur ligne de conduite qui sublimerait de mille feux, bien plus encore, la vision divertissante que la Ligue a toutes les peines du monde à faire transparaître par leur biais, le biais de ces San Antonio Spurs inclassables, ironiquement sacrés champions en juin dernier ? Bien plus qu’un sport, la NBA est devenue, depuis le mandat bénéfique de David Stern, une science du divertissement à part entière, une place forte de l’architecture du spectacle au cœur de l’essor de l’industrie sportive et compte se densifier toujours plus sous l’ère naissante d’Adam Silver.
De plus, en souhaitant par toutes les tempêtes conserver ce statut d’équipe sortant du lot qui se moque ouvertement du règlement intérieur de l’organisation qui les expose au plus grand nombre en privilégiant des principes internes à respecter, des principes qui consolident leurs forces mais, en contrepartie, ouvrent les barrages à toute critique de style, les Spurs savent pertinemment qu’ils ne plaisent pas à toute le monde et en jouent non sans sarcasmes, à défaut de se montrer totalement désinvoltes et sournoisement insolents sur le terrain (en rapport ici avec leur approche du trashtalking, des crossovers et de la passe aveugle à placer de manière vitale toutes les deux possessions dans le but de faire vibrer la foule à chaque moment, au détriment du tableau d’affichage). De ce fait, la NBA est-elle rassasiée en tous points lorsque ces Texans inaltérables remportent le titre au devant d’un Miami Heat de LeBron James ? N’aurait-elle pas préféré l’inverse, dans la perspective d’un profit à récupérer plus important, qui aurait fédérer le ralliement d’un groupe de nouveaux adeptes à ses services plus développé, plus étendu, plus facile à amadouer ? Tout ceci serait bien triste mais rien n’est moins sûr…
Des figures de proue en péril à l’avenir ?
Alors que notre raisonnement progresse, celui-ci est notamment accessible par l’analyse des personnages emblématiques de cette franchise victorieuse aux exigences drastiques qui fondent leur particularité au travers de la Ligue et leur perception contrastée aux quatre coins du globe. Avant l’arrivée salvatrice de Popovich à la tête de l’équipe, les Spurs n’étaient que poussière devant la prépondérance des grands marchés. Se voyant accorder l’opportunité de façonner le roster à son image et, en conséquence, de lui offrir dès 1999 ce côté divin dans sa construction, l’entraîneur d’origine serbe a réussi à faire de San Antonio une place forte du basket mondial en s’entourant d’éléments obéissants et dignes de confiance, forçats de travail et honorant la parole donnée.
En parvenant à attirer dans ses filets le grand Tim Duncan, en passe d’être considéré comme le meilleur poste 4 de toute l’histoire de son sport au passage, “Coach Pop” déniche et polit là sa plus belle création, faite d’une sobriété à toute épreuve et d’une soif de progression inépuisable. Timide, le regard rêveur, constamment à l’écoute et dépourvu de toute attirance même inconsciente pour le matérialisme, Duncan a symbolisé et symbolise toujours cette volonté significative de se détacher de ces artifices esthétiques que la NBA souhaite mettre en avant, de ce costume de bête de foire jamais véritablement assumé qui nuit à la condition même du “performer” professionnel, perpétuellement mis à nu devant une salle bruyante attirée par le bruit assourdissant des poster dunks et des chevilles qui se brisent sur le terrain. La préservation simple et naturelle de l’essence du basket a été son chemin de croix depuis ses débuts en 1997, un positionnement qui a conféré une reconnaissance inimaginable à son club. Or, ce basket pur et limpide qu’il a tenté de préserver, alors transpercé par une dimension hyperbolique et illusoire à laquelle il a toujours tourné le dos, le remerciera-t-il à juste titre à la fin de sa carrière ? Difficile à prédire au vu du palmarès du joueur mais une crainte sensible est dès à présent palpable quant à l’impact postérieur, voire posthume, du “Big Fundamental” et de ses frères d’arme tels que Tony Parker ou Manu Ginobili, logés à la même enseigne. Bien qu’il s’en fiche complètement à la différence probable de ses fans, ces derniers ne deviendront-ils pas fous de rage dans un futur proche si les noms du jeune fougueux Blake Griffin ou du virevoltant Allen Iverson viennent plus subitement en tête que le sien lors d’une discussion tout à fait ordinaire sur la NBA, avec des arguments et des avis bien tranchés à dégainer ? Quelle disgrâce que ce serait mais celle-ci ne serait pas si surprenante que cela…
En effet, si certains délaissent officieusement l’obtention d’un titre afin d’aller décrocher plutôt le cœur de leurs supporters, ceux-là laisseront, tout comme Duncan mais à leur manière, une empreinte indélébile dans leurs mémoires. Non pas que cela leur donnerait plus de crédit aux yeux de leurs admirateurs dans une quelconque recherche de vérité, loin de là, mais ils auront eu le mérite d’avoir su cultiver la réciprocité matérielle de l’amour qui leur était porté dès les premières minutes. Ceci ne dit pas non plus que Duncan ou qu’un autre Spur ne l’a pas fait, du moins à sa façon, mais son hypothétique “faute”, si l’on peut considérer cela ainsi, résiderait dans l’idée qu’il a volontairement négligé cette particule spectaculaire, ce bonus stylistique dans son panel de moves qui le situerait sur ce mont presque intouchable des séducteurs unanimes de sa profession, ceux dont l’aura a su combler les attentes de tout type de fans au fil des années et faire aimer la NBA saison après saison comme Michael Jordan, Kobe Bryant ou LeBron James maintenant, autre que par leur jeu. Oui, là est la seule raison, car en ce qui concerne le jeu, “Timmy” fait bien partie de cette catégorie de figures influentes dans l’apprentissage des fondamentaux et de comment le basket doit être joué, sans contestation possible. Cependant, pour cet aspect presque conformiste, dénotant les désirs outranciers que les fans souhaitent que leurs stars reproduisent au coup d’envoi de l’événement qui ponctuera leur journée, le légendaire numéro 21 des Spurs est tout sauf un modèle, tout sauf un ambassadeur assidu de cette starification sans doute contraignante mais qui facilite l’identification effectuée par le fan vis-à-vis de ses idoles.
De facto, si cette absence d’entrain devant cette tâche est préjudiciable pour le fan, elle l’est d’autant plus pour Duncan qui se voit réduire son cercle d’adeptes alors qu’il devrait être unanime et spontané ! Autrement dit, “il ne donnerait pas autant envie”, “il ne ferait autant bander” que d’autres joueurs de la Ligue qui mettent le paquet sur le visuel et arrivent souvent à fausser la conception objective que plusieurs amoureux piétinent alors qu’ils sont dans l’erreur, notamment ceux qui débarquent de plein pied dans l’expérience complexe de la NBA. De manière franche, tout le monde devrait avoir la trique en observant le parcours de Duncan, lui, ce modèle de fidélité, de persévérance et de régularité au centre d’une organisation individualiste et cruelle où chaque jour devient un combat pour conforter sa place au plus haut niveau. Pourtant, la réalité est toute autre, ceci résultant donc des conséquences de son manque de complaisance au regard des prescriptions non inscrites que la Ligue a la vocation de promulguer par tous les moyens, par l’intermédiaire, à l’inverse, de profils plus attrayants tels que Kevin Durant, Russell Westbrook ou encore Stephen Curry. Néanmoins, “El Manu”, notre Boris Diaw ou Kawhi Leonard savent incarner par touches cette vague de liberté contrôlée et plus qu’appréciée, des électrons libres aux arabesques désarticulées qui agrémentent l’effervescence cuisinée par toute une armada “dissidente”. Espérons simplement que les fans sauront rétablir chronologiquement la vérité coûte que coûte et qu’ils ne se feront pas duper par de trop insistantes images subliminales, trompeuses et éphémères au cours de l’expérimentation de leur passion : le souvenir de Duncan et des Spurs en dépend.
En définitive, ce triomphe durable des Spurs est à des encablures de tenir du miracle. Grâce à leur méthode de travail, leur rigueur saluée et enviée par l’ensemble de la Ligue, leur cohésion d’équipe, leur patience plus que louable qui a même transformé le sulfureux Stephen Jackson en agneau inoffensif le temps de deux saisons, de 2001 à 2003, les San Antonio Spurs ne doivent leur succès qu’à eux-mêmes, drivés par l’hardiesse de Gregg Popovich, ce bon vivant grincheux au caractère bien trempé. Bien qu’une Ligue entièrement composée de franchises à l’éthique similaire perdrait en excès et en excentricité dans la conception de ses Tops 10 quotidiens, ceux-ci ne cessent de surprendre leur auditoire à leur manière, sans jamais trop en faire, plaçant en premier plan une circulation de balle huilée, transcendant notre œil, plutôt que des dribbles dans le dos ou des 360 exécutés ligne de fond en guise de lay-ups.
Rien de nouveau pour eux : l’efficacité au devant du spectacle, le contenu au devant de l’emballage, l’unicité au devant du conformisme. Si le futur leur réserve sans aucun doute bien des surprises et quelques injustices factuelles assez déplacées, dommage qu’ils n’aient pas pris l’habitude de s’immiscer dans la peau d’une constellation subtile, sexy et flashy qui aurait fait fantasmer encore plus de monde quant à leur superbe. Mais qu’importe, on ne peut pas plaire à tout le monde, ils le savent mieux que quiconque et s’en tapent royalement. Doit-on les blâmer pour autant ? Demandez plutôt à JC ci-dessous, ils ont certainement raison…
Source image : ESPN