Jackson vs Popovich : le Zen Master face au Maître éleveur

Le 06 avr. 2014 à 18:51 par Alexandre Martin

Le coaching n’est pas une science exacte, loin de là. Mettre en place des systèmes, les faire comprendre et intégrer par un groupe de joueurs, gérer une quinzaine d’égos souvent sur-dimensionnés, les faire progresser, les faire gagner, définir les rôles, tirer le meilleur d’un groupe d’athlètes. Oui, toutes ces tâches – qui sont du ressort de l’entraîneur d’une franchise NBA – ne sont pas à la portée du premier venu et manquent, la plupart du temps, de reconnaissance de la part des observateurs et du grand public. Sur les 25 dernières années, deux immenses entraîneurs ont dominé leurs contemporains et se sont imposés parmi les meilleurs de l’histoire. Dans deux styles très différents voire même totalement opposés, Phil Jackson et Gregg Popovich ont poussé le coaching, le management de groupe, à son niveau le plus fou, le plus précis, le plus efficace ! Portraits croisés…

Avant Pop’, les Spurs n’étaient rien ou presque…

Le sorcier des Spurs – qui a été premier assistant du coach Larry Brown à San Antonio de 1988 à 1992 puis General Manager de 1994 à 1996 avant de prendre lui-même les rênes du coaching – est en train de finir sa 18ème saison sur le banc de la franchise texane. C’est sa 17ème saison régulière d’affilée à plus de 60% de victoires dont 16 d’entre elles avec au moins 50 matchs gagnés (seulement 37 en 98/99 mais il n’y a eu que 50 rencontres, lock-out oblige) et 11 années carrément à plus de 70% de victoires !! De tels pourcentages, une telle régularité au plus haut niveau, qui plus est au sein d’un petit marché, ça force le respect et ça montre à quel point la méthode Popovich s’est montrée efficace. Avant Popovich, les Spurs n’étaient rien ou presque, juste une petite équipe qui allait parfois en playoffs mais qui n’était pas vraiment considérée comme dangereuse… Aujourd’hui, ces mêmes Spurs sont la quatrième franchise la plus titrée en NBA derrière les Celtics, les Lakers et les Bulls. Tous les ans, San Antonio est présenté comme un prétendant au titre…
Bref, soyons clair : dans l’histoire NBA, Gregg Popovich n’a pas son pareil pour bâtir une équipe, un collectif et inculquer à ses joueurs une philosophie de jeu bien précise. Cette Philosophie peut d’ailleurs changer d’un point de vue tactique dans ce sens où les Spurs de la fin des 90’s ou du début des années 2000 étaient beaucoup plus portés sur la défense que ceux d’aujourd’hui. Mais ce qui ne change jamais avec Pop’ c’est l’esprit global de cette philosophie qui consiste à toujours mettre en avant le groupe, à ce que même les stars se fondent dans le collectif pour le tirer vers le haut. Pas étonnant donc que l’ami Popovich n’ait pas hésité à prendre un certain Tim Duncan en premier choix de draft en 1997. Cet intérieur, en provenance des Îles Vierges et de la fac de Wake Forest, était la star idéale, le leader parfait pour le projet Popovich. Un monstre individuellement parlant doublé d’un coéquipier de rêve, voilà ce qu’est le grand Timmy. Autour du tandem Popovich-Duncan, les Spurs sont devenus une véritable dynastie, une référence en matière de longévité à haut niveau, d’excellence collective et de culture de la gagne. Ce bon vieux Gregg a toujours pris le soin de choisir des joueurs qui seront capables de se fondre dans ce moule et si ce n’est pas le cas, il n’hésite pas à faire des échanges, à modifier le roster. Le Serbo-Croate de Chicago n’aime pas les joueurs exubérants, les joueurs un peu trop fous même s’ils sont très performants sur les parquets. Il n’a pas envie de les gérer, il les considère comme dangereux pour l’osmose collective.

Popovich et Duncan

Ainsi, en octobre 1995, Pop’ (alors encore GM des Spurs) n’hésita pas à mettre en place un échange consistant pour San Antonio à se débarrasser de Dennis Rodman tout en récupérant Will Perdue. A l’époque, d’un point de vue sportif, ce trade peut paraître très surprenant car “The Worm” est le meilleur rebondeur de NBA, il sort de deux saisons à environ 17 prises par rencontre alors que Will Perdue est ce qu’il a toujours été : un sac de viande de 2m13 qui rentre sur le parquet pour poser des écrans et prendre des fautes… Mais Popovich n’en pouvait plus de Dennis la Menace et de ses frasques qui, d’après le coach, mettaient donc en péril l’équilibre du vestiaire et l’entente au sein du collectif texan. Un pari que Phil Jackson n’a pas hésité à prendre lui mais on va y revenir plus loin…
Absolument intransigeant dans le choix des joueurs notamment sur leur mentalité, Pop’ n’en reste pas moins un tacticien réaliste qui sait aussi choisir les joueurs pour leurs qualités sur le parquet, un tacticien qui sait écouter son staff et qui n’a pas peur de donner une chance aux jeunes s’ils en ont le talent. Il a su s’appuyer sur la draft, sur de bons coups en échange ou lors de la Free Agency pour obtenir des résultats à court et moyen termes tout en anticipant sur le long terme afin d’installer les Spurs durablement tout en haut de la ligue. Quand on voit ce qu’a apporté Manu Ginobili aux Spurs, l’avoir drafté en 57ème position, en 1999, ne s’apparente même plus à un simple “steal” (*vol) mais il s’agit là tout simplement d’un véritable braquage. En 2001, Popovich a su écouter RC Buford, réviser son jugement sur Tony Parker et le drafter en 28ème position avant de carrément le propulser meneur titulaire après seulement 5 matchs. Si Manu Ginobili et Tony Parker sont ce qu’ils sont aujourd’hui, s’ils ont eu les carrières qu’on leur connaît, ils le doivent en grande partie à Coach Popovich, à ses coups de gueule, ses envolées, son caractère chaud bouillant, son paternalisme, son autoritarisme et son perfectionnisme.

“Nous pouvons parfois discuter 10 minutes sur comment défendre le pick and roll et il (pop’) peut changer d’avis plusieurs fois. Mais une fois qu’il est convaincu par une solution, c’est LA solution. Et si vous ne suivez pas, vous finissez en bout de banc voire dans la niche du chien.”   Manu Ginobili

Avec le mythique Red Auerbach, Gregg Popovich est le seul entraîneur à avoir gagné plus de 900 matchs (964 à aujourd’hui) sur le banc de la même franchise. Sous sa direction, les Spurs en sont à leur 17ème participation d’affilée aux PlayOffs pour, jusqu’à maintenant, 5 finales jouées dont 4 remportées. N’importe quel type de joueur peut s’épanouir sous le soleil de San Antonio autour de la triplette Duncan-Parker-Ginobili à partir du moment où il accepte de se fondre dans le moule collectif voulu par Pop’. Ce n’est pas un hasard si un joueur comme Danny Green a établi un record NBA lors des dernières finales avec ces 27 tirs primés rentrés. L’arrière était en forme, il avait bien assimilé les systèmes Popovich, il a exécuté, les shoots sont tombés dedans. Avec Popovich, il n’y a pas de secret, pas de miracle, tout s’obtient à force de travail et de sens collectif. Le coach des Spurs est clairement un éleveur de champions. Un coach qui se lève le matin avec pour but premier de faire progresser ses joueurs physiquement, techniquement et mentalement dans l’unique objectif de les préparer à gagner. Il mise sur les jeunes, les protège tout en restant très exigeant et autoritaire. Pop’ n’est d’ailleurs pas qu’un simple éleveur de champions parmi d’autres, il est le meilleur que la NBA ait connu. le succès et les résultats de sa méthode sont là pour le prouver.

Phil Jackson, le fabricant de bagues…

Mais quand on parle de succès en NBA, qui plus est sur les 25 dernières années, il est impossible de ne pas s’extasier sur la carrière de coach de Phil Jackson. Oui c’est impossible car, à un moment donné, nous sommes bien obligé de constater que des résultats aussi dingues que réguliers ne peuvent être l’oeuvre que d’un génie du banc. Après avoir été l’assistant de Doug Collins à Chicago de 1987 à 1989, Phil Jackson a été head coach pendant 20 saisons (9 aux Bulls et 11 aux Lakers). Pendant ces deux décennies, Phil Jax aura emmené 13 fois son équipe en finales NBA pour 11 titres remportés. C’est simple : aucun autre coach n’a gagné autant de bagues ! A l’inverse de Pop’, Jackson n’est pas un “éleveur de champion”, ce n’était clairement pas son truc et, d’ailleurs, cela ne lui a jamais été demandé car il a coaché deux équipes, deux gros marchés avec des stars déjà en place, deux équipes parfaitement armées pour aller chercher des titres mais auxquelles il ne manquait que cette patte que Phil Jackson a magistralement su apporter.

Tout d’abord, l’ami Phil est un gestionnaire d’égo comme il y en peu (ou pas) existé dans la Grande Ligue. On entend parfois dire de Jackson “Ouais, franchement, il a eu les meilleurs joueurs. Avec Jordan et Pippen ou avec Shaq et Kobe, normal qu’il ait remporté autant de titres…” A ce genre de critiques assez dingues, j’ai juste envie de répondre ” Bah allez-y les gars ! Allez convaincre Kobe qu’il doit donner la balle à Shaq au poste bas, qu’il doit jouer l’attaque en triangle et pas toujours chercher l’isolation. Allez convaincre Jordan et Pippen que ce grand malade et leur ancien ennemi juré Dennis Rodman est LA pièce qu’il faut pour faire oublier Horace Grant et réaliser une grande saison…”

big three pip jojo rod cut

En 1995, quand il fait venir Rodman à Chicago à la suite du premier comeback de Jordan, Phil Jackson est parfaitement conscient de qu’il est en train de faire, des risques encourus mais aussi de ce que ça peut donner si la mayonnaise prend.

“Il (Dennis Rodman) croit en sa nature. Il aime avoir de la liberté et pouvoir s’exprimer à sa guise sur le terrain. Nous pensons que c’est OK à partir du moment où cela reste dans la cadre d’une équipe qui joue au basketball ensemble.”   Phil Jackson au New York Times en octobre 1995

Non seulement, Jackson a su convaincre Jordan et Pippen mais il a également su canaliser Dennis “The Worm” afin de l’intégrer au sein du collectif des Bulls et tirer le meilleur de cet ovni de la balle orange qui attrapait les rebonds comme personne et qui pouvait défendre tous types d’intérieurs. La suite ? On la connaît tous : la plus grande saison jamais accomplie par une équipe dans l’histoire de la NBA ! 72 victoires ! Phil Jackson a assemblé et fait fonctionné ce qui est, à mon avis, le meilleur Big Three de tous les temps. Un Big Three dans la sillage duquel les Bulls de Phil Jax ont enchaîné trois saisons monstrueuses (de 96 à 98) : 203 victoires pour 43 défaites en saison régulière, 45 victoires pour 13 défaites en PlayOffs et 3 titres de champion !
Le deuxième Three-Peat de la carrière de Jackson qui n’était pas qu’un génie de la gestion des égos. Il était également un maître tacticien capable d’inculquer le principe de l’attaque en triangle du fameux Tex Winter à ses équipes, capable de s’adapter offensivement comme défensivement à l’adversaire. Cette faculté d’adaptation est d’ailleurs un point qu’il a en commun avec Gregg “le sorcier” Popovich. La marque des grands sûrement… Il ne faut pas oublier qu’en 1991, alors que les Bulls avaient perdu le premier match des Finales face aux Lakers et que Jordan avait un mal fou à contenir Magic Johnson, ce bon Phil prit la décision de positionner Scottie Pippen sur le meneur Angelino dès la fin du premier quart du deuxième et ce, pour les reste de la série. Un coup tactique extrêmement payant puisque les taureaux ont remporté les 4 rencontres suivantes et le premier titre de l’histoire de la franchise.

Après avoir quitté les Bulls en 1998, Phil Jax fut appelé au chevet des Lakers. Pas pour construire mais pour faire gagner un effectif qui peinait à se trouver malgré la présence d’un Shaquille O’Neal titanesque et d’un Kobe Bryant de plus en plus fort. Dès sa première saison, Jackson conduit les Lakers à plus de 80% de victoires (67 – 15) et au titre NBA dans la foulée. S’en suivra un troisième Three-Peat pour le Grand Phil, le deuxième de l’histoire des pourpres et or. En 11 ans sur le banc des Lakers, Jackson ira 7 fois en Finales pour 5 titres de champion La recette est la même qu’à Chicago : attaque en triangle, grosse défense, gestion millimétrée des melons de ses stars et zénitude… Car là où Gregg Popovich est capable de s’enflammer, de péter un câble et d’insulter la maman de l’arbitre consécutivement à une erreur, Phil Jackson, lui, est capable de maîtriser ses émotions, de sourire et de contester calmement une décision sans même parfois se lever de son banc. Même chose si un joueur réalise une perte de balle ridicule ou rate un panier facile. Là-dessus les deux hommes sont totalement opposés. Ce n’est pas pour rien si l’un d’eux est surnommé le Zen Master. Non, ce n’est pas pour rien. Il est peut-être là tout le génie de Phil Jax. Avoir su faire cohabiter des stars, des monstres du basket en en tirant le meilleur sur le parquet dans le but unique d’aller une chercher une bague en juin chaque année.

Popovich aurait-il pu diriger Jordan et son côté individualiste parfois difficile à supporter pour ses coéquipiers ? Popovich aurait-il pu gérer le vestiaire des Bulls en 1996 ou celui des Lakers au début des années 2000 ?  Pas sûr du tout ! Mais Jackson aurait-il pu construire de A à Z une franchise dans un petit marché au sein de la NBA actuelle et en faire un rouleau compresseur ?  Pas sûr du tout non plus ! Au final, nous avons ici deux génies du coaching, deux immenses tacticiens.Chacun dans leur style, Popovich et Jackson représentent la quintessence du coaching, le perfectionnisme poussée à outrance toujours dans un optique de rendement collectif et d’obtention de résultats.

Les départager reste une mission tout aussi délicate que dénuée d’intérêt car il y aura toujours des inconditionnels de Phil Jackson de sa gestion des hommes, de son attaque en triangle et de ses 11 bagues comme il y aura toujours des inconditionnels de la méthode Popovich, celle qui fait d’un petit marché comme les Spurs un candidat au titre tous les ans depuis 16 ans. Sur le plan des résultats purs, Phil Jackson est intouchable mais si vous êtes à la tête d’une franchise dans un petit marché c’est un “Gregg Popovich” qu’il vous faut alors que si vous êtes à la tête d’un gros marché dont le roster est rempli de stars, c’est un “Phil Jackson” qu’il vous faut. On en revient à cette notion de coaching qui n’est pas une science exacte, qui nécessite des qualités humaines et tactiques hors du commun pour survivre aussi longtemps que ces deux-là sur un banc NBA. Est-ce qu’un jour un coach réussira à gagner plus de 11 bagues dans sa carrière ? Est-ce qu’un jour un coach réussira à pérenniser une franchise sur quasiment deux décennies ? Nous verrons bien… ou pas.

Source images : whattalking.com / nba.com


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