Un week-end à Boston – Story #1 : Paul Pierce et le secret de la licorne

Le 07 mars 2019 à 08:59 par Bastien Fontanieu

Paul Pierce
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La prestigieuse Sloan Management School du MIT de Boston a invité Paul Pierce à réfléchir à un sujet qui intéresse les analystes basket du monde entier : comment trouver une « licorne », un joueur capable de changer le jeu à lui tout seul ? Entouré pour l’occasion du GM des Warriors et de l’assistant GM des Celtics, Paul Pierce a mis des mots sur un mystère. L’occasion de savoir comment les génies de la ligue recherchent la nouvelle star…

– Par Brieux Férot, à Boston –

Il est arrivé très modestement au Hyves Convention Center, un centre de conférence sans âme où les costards trop grands et les cravates trop larges côtoient un intérieur aux multiples nuances de marron du plus bel effet. Invité à la Sports Analytics Conference, Paul “The Truth” Pierce ne pouvait que dire la vérité. “On entend quoi par licorne au juste” ? Le terme aurait été démocratisé dans le milieu du basket par Kevin Durant, qui aurait affublé Kristaps Porzingis de cette expression, qu’on retrouve plutôt dans l’univers des start-ups. Concerné, le chef des opérations basket des Warriors, Bob Myers, propose sa propre définition : “Le plus haut niveau de rareté, réservé à des joueurs qui repoussent les limites de la réalité : pour moi, quelqu’un qui a une grand taille et une technique telle que tu n’as pas d’adversaire qui peut t’arrêter…” Selon lui, Magic Johnson était, par exemple, le premier à son poste.

Autre définition pour Paul Pierce : “un joueur qui change le jeu, vient avec des compétences que l’on n’a jamais vu, un joueur comme Garnett, qui a son poste, peut shooter et aussi faire sauter tout pick and roll en défense…”. Pierce précise qu’il ne voit plus les intérieurs de la même manière : “Je parle souvent d’arrières dans mes commentaires car tout le monde joue arrière aujourd’hui !” Il cite alors Giannis et Embiid. “Giannis, c’est quelque chose d’autre”, explique Zach Lowe, d’ESPN, présent lui aussi. Si tu peux shooter à 3-points et protéger le panier, disons que tu es de cette famille… “Non, corrige immédiatement Pierce, Shaq était une licorne mais ne pouvait pas shooter à trois points.” Et Boban Marjanovic, alors ? “Non, non, rigole Pierce, on a déjà vu des joueurs comme Boban avant : vous vous souvenez de Georghe Muresan ? ” Et l’assemblée éclate de rire.

Le nom de Shaq reviendra aussi plusieurs fois, “le Shaq des débuts qui était inarrêtable” précise Mike Zarren, assistant GM de Celtics. “Shaq est une sorte de bête mythique, mais on n’a pas besoin d’un tel style comme Porzingis aussi, je pense, même si ça aide, clairement !” Shaq n’est, de l’avis de tous, pas Embiid ou Davis, mais aura été clairement une licorne. “Il dominerait autant aujourd’hui, précise Pierce, il ressortirait plus sur des shooters, il jouerait autrement…” Lowe approuve : “Les joueurs n’iraient pas au panier…” Zarren rappelle quand les Celtics l’ont signé : “En 2012, on avait la meilleure équipe en NBA cette année-là, et personne ne voulait aller au contact, il a dissuadé beaucoup de joueurs…” Pierce en profite pour révéler la stratégie que les Celtics d’alors avaient mis en place sur la proposition de leur pivot : “Il nous avait dit de laisser de l’espace aux joueurs qui nous posaient problèmes pour qu’ils passent et qu’il les défonce, ils savaient qu’en lui rentrant dedans, des joueurs pouvaient se blesser !

Les Playoffs c’est un autre sport, si un joueur peut être neutralisé s’il ne sait faire qu’un seul truc, c’est mort.  – Bob Myers

Bob Myers était agent avant. Lui revient alors l’histoire de l’un de ses clients avec qui il avait pris un cocktail alors qu’il devait jouer le soir même. “Je pensais qu’il n’allait pas jouer vu ce qu’il avait bu, un cocktail très alcoolisé, et il m’avait dit : “Ah si, si, c’est parce que je défends sur Shaq ce soir !” Le responsable des opérations basket des Warriors rappelle des choses simples : “L’équipe la plus grande et avec le plus d’envergure a un avantage, et pas seulement de limiter les espaces : le panier, lui, est toujours à la même hauteur ! On veut des joueurs qui dribblent, qui provoquent, dribblent, marquent, mais il faut voir une chose : ce qui nous intéresse tous, ce sont des qualités pour gagner en Playoffs. Les Playoffs c’est un autre sport, si un joueur peut être neutralisé s’il ne sait faire qu’un seul truc, c’est mort.” Et de rendre hommage à Paul Pierce, qui savait tout faire : « Il a inventé le Je recule et je shoote à trois points…”. Pierce nuance : “Stephen Curry a inventé le  Je recule et je recule encore…, j’aurais rêvé d’avoir cela !”

Zach Lowe relativise alors la question de la taille et déplace le sujet en insistant sur un tout : “Steph Curry n’aurait pas le même dribble s’il était plus grand, la balle a plus de distance à faire, tout est une question de rythme je pense : Pierce, Simmons ou LeBron, ils ont un rythme à eux !” Réussir à arrêter un joueur inarrêtable, l’équation insoluble ? “Le problème de toutes les équipes, explique Zarren, c’est de trouver quelqu’un pour arrêter ceux joueurs-là, et chez nous, un joueur sous-coté comme Semi Ojeleye l’a plutôt bien fait face à Giannis l’année dernière en Playoffs !” Pierce a un avis tranché sur l’esprit qui règne en NBA aujourd’hui et qui empêche de trouver les bonnes solutions : “C’est une ligue de franchises qui se copient, rigole t-il. Plein d’équipes pensent, à tort selon moi, qu’elles doivent avoir leur Durant en pivot, mais il faut jouer sur ses forces : Milwaukee libère de l’espace à Giannis parce qu’ils s’appuient sur les shooteurs à 3-points aussi. La licorne n’est pas forcément le pivot !”

Zarren approuve : “La beauté de la NBA est qu’il y a différentes manières de gagner. Le jeu semble aller dans le même sens mais Milwaukee ne joue pas du tout pareil que Golden State.” Même si le jeu a reculé. “En Playoffs, il faut désormais trois shooteurs à 3-points pour gagner”, explique Lowe. Le truc sur lequel il insiste, lui, ce n’est pas le talent mais la complémentarité qui se propage partout dans la ligue, et rappelle que les Rockets ne pourraient plus jouer comme ils ont essayé de le faire à une époque avec deux grands à l’intérieur. Dans cette idée de duo voire trio magique, il voit un réel potentiel chez une équipe inattendue… les Kings : “Marvin Bagley et Harry Giles ne sont pas des licornes, mais ils sont ultra-complémentaires, et s’ils apprennent encore à mieux jouer ensemble, ça peut être vraiment formidable…” Mais à en croire le panel autour de la table, si les chiffres dominent les discussions en NBA, le facteur X reste la discussion, l’immatériel, le sensoriel. Bref, l’humain. “On parle beaucoup avec les coachs et les joueurs, explique Myers. Parce qu’un bon shooteur, c’est un mec qui s’améliore en Playoffs, pas un mec qui disparaît. Il faut encore avoir des jambes pour bien shooter en fin de match ! Les matchs d’aujourd’hui peuvent se perdre même avec 20 points d’avance, donc pour être sûr d’avoir un joueur qui change tout dans son équipe, le ressenti des joueurs est important. La différence, c’est ça : n’importe quel joueur qui rate des shoots sur un playground ne va pas en rentrer six juste après : les licornes, si !”

Selon Myers, ce sont les joueurs eux-mêmes qui au final donnent l’information la plus importante : celle qui vient de l’expérience du terrain. “Parfois, des phrases comme Ce mec-là, je n’aimerais pas le jouer en Playoffs ou Lui, il ne fera rien en Playoffs, ce sont des infos cruciales.” Zarren explique que l’information qu’il récupère se passe souvent autour des Ipads, quand les joueurs reçoivent des vidéos à regarder et qu’ils en discutent ensemble, à plusieurs. “Là, ça parle vraiment…” Et Myers d’ajouter: “Il faut faire confiance aux joueurs, ils savent. Paul, je suis sûr que dès la poignée de main et le regard du mec dans ses yeux en début de match, il savait tout de suite qu’il allait galérer durant toute une série… Allez, avoue !” Et Paul Pierce de conclure : “La vérité ? La vérité, c’est tout à fait ça !” La vérité sort toujours de la bouche de The Truth…