Le panache à la française ou comment une médaille de bronze sublime notre véritable désillusion

Le 21 sept. 2015 à 19:19 par Leo

Le panache, encore et toujours le panache… Que serions-nous sans lui ?!

Une notion purement française qui a traversé les âges depuis près d’un demi-millénaire et qui est plus que jamais chevillée à notre corps, à notre esprit d’êtres valeureux face à l’adversité. Selon son acception contemporaine, le panache est symbolisé par l’illustre Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, archétype parmi les archétypes de ce flegme teinté de “légèreté”, de cette classe tricolore mêlant singularité du courage et triomphe de la noblesse d’âme en toutes circonstances, surtout dans la défaite. Et une fois de plus, l’industrie sportive a été le témoin privilégié de l’exercice de cette tradition sans pareille, un EuroBasket 2015 conclu par nos Bleus à domicile sur une note à la fois amère et prometteuse. Un nouvel oxymore qui brosse le portrait saisissant d’une subtile Equipe de France de Vincent Collet ayant réussi à transformer l’échec initial – quant au gain de l’or européen devant son public – en succès optimiste pour un futur radieux, en lueur d’espoir et de prestige pour tout un peuple fier du parcours de ses soldats de… bronze.

Les yeux scintillants de Tony Parker et de Nicolas Batum, la breloque autour du cou, au moment de s’exclamer sur l’estrade de Pierre-Mauroy ne sauraient mentir. La déception de ne pas avoir raflé l’or suprême tant espéré se mêle au soulagement d’un honneur sauf et préservé malgré la leçon de réalisme donnée par leurs ennemis intimes espagnols deux jours plus tôt. Une médaille qui ne confère pas à nos Bleus un accès direct pour les Jeux Olympiques de Rio mais qui s’apparente comme le maillon d’une chaîne d’accomplissements salutaires pour le basket français dans sa chronologie. En l’espace de quatre années de combat, nous voilà détenteurs d’une médaille d’argent en 2011, de l’or en 2013, du bronze au Mondial 2014 et enfin du bronze à nouveau en 2015. Notre inclinaison au panache s’est d’ailleurs révélée à chacune de nos conquêtes, dans la souffrance comme dans la jubilation la plus nourrie. Partout où nous avons porté et mouillé ce maillot bleu, bien de mauvaise foi furent ceux qui ont omis de saluer notre résilience à toute épreuve, notre capacité classieuse à déjouer l’impossible tout en défendant notre amour pour le beau geste contre vents et marées.

Or, à la différence des précédentes éditions où nous sommes parvenus à briller dans la démonstration magnanime de notre savoir-faire, nous étions en l’occurrence soumis aux lois d’un panache qui nous sied beaucoup moins, auquel nous ne sommes que très rarement habitués : celui de grands favoris, de personnes à abattre, de gibiers très prisés par tous les autres chasseurs d’un même tournoi. Caressant la crinière d’une idéologie foncièrement dominatrice de ses sujets, cette position de leaders ô combien inconfortable pour nos Bleus sur cet Euro s’appuyait d’ordinaire sur une volonté implacable, dépourvue de toute forme de pitié à démembrer chaque adversaire. Autrement dit, la façon la plus honnête et la plus juste de respecter son opposant lorsque l’on se sait supérieur, en totale confiance avec les moyens d’action mis en oeuvre dans le but de mener à bien une politique victorieuse. Dans l’univers de la balle orange plus précisément, Team USA et la Roja sont passés maîtres en la matière, année après année, peu importe s’il a fallu noyer tous leurs prétendants dans un torrent de larmes éternelles et d’utopies inachevées. Des défaites cuisantes qui ont, du reste, permis à leurs concurrents de devenir meilleurs…

Ainsi, embrasser pleinement ce rôle destructeur, la France n’a pas su le faire, une fois de plus ! De l’inconstance des débuts timides et presque trop gentils lors des phases de poule au glas sonné au bout de la prolongation jeudi dernier, les Bleus ont failli à leur mission première de décrocher la médaille d’or devant le regard exigeant de leurs supporters, venus en nombre les aider à se dépasser dans le Nord de l’Hexagone. On ne va pas faire la fine bouche maintenant en affirmant que ce triste dénouement était couru d’avance mais cette promesse devinée à demi-mot avant le coup d’envoi des hostilités ne pouvait se réaliser hier pour la raison suivante, synthétisée par cette litote véridique d’un poète français : “Nous, Français, ne sommes pas des guerriers, nous sommes des résistants”. L’Histoire nous l’a d’ailleurs prouvé à maintes reprises : du courage de Vercingétorix devant César à l’Appel à la Résistance du général De Gaulle en passant par l’héroïsme de Jeanne d’Arc sur les remparts de la ville d’Orléans, le panache français a tiré son essence de ces affrontements légendaires où nous avons bravé le danger comme personne alors que notre intégrité et notre dignité étaient en péril. Nous n’avons jamais autant savouré le goût d’une victoire que lorsque nous n’y étions pas conviés à la base, ou plutôt lorsque le destin, moqueur et perfide, avait décidé de nous en priver. Si le succès glané en 2013 à Ljubljana servira de modèle indélébile pour les générations futures de l’EDF, c’est tout sauf un hasard. Pour honorer la véritable définition du panache, telle est la manière tragique qu’il faut adopter et suivre tout au long du scénario. Magie du sport collectif, qui ne se souvient pas de l’épopée magistrale des Bleus de Zidane et Thuram à la Coupe du Monde 1998 ou la succession occultée fantastique de succès de nos handballeurs, “Bronzés” puis devenus “Indestructibles” ?

Cependant, et assez paradoxalement de surcroît, l’opinion publique, attisée par les récurrentes diatribes de la manne médiatique, en attend, en veut toujours plus. Quoi de plus normal et ambitieux nous direz-vous, surtout quand l’Equipe de France nous ramène un trophée récompensant le fruit de ses efforts au retour d’une campagne internationale éprouvante. Pourtant, nous sommes emprisonnés dans cette image flatteuse mais rabaissante d’une France du basket témoignant à la fois d’une puissante force de caractère mais péjorativement sympathique, qui ne mangerait finalement que les restes à la table des grands… A qui la faute, puisque nous adorons plus que tout chercher inlassablement des boucs émissaires. A notre attirance perpétuelle pour le panache et ses principes coulant dans nos veines ? A notre conception biaisée de la victoire, du respect de l’adversaire ? A nos joueurs qui prennent toutes leurs précautions dès qu’ils souhaitent exprimer de manière positive leur soif d’excellence aux micros des journalistes français ? Non, on peut accuser tout le monde sauf eux. Mais la réalité du discours visant à élever à l’avenir notre escouade tricolore vers les sommets est tout autre, jusqu’à les désigner comme coupables de l’arrogance la plus innommable quand ils formulent une pensée sortant des sentiers battus, pétrie de confiance en leurs capacités à se transcender pour la réussite collective de tout un pays.

Toutefois, si cette France voulait s’imposer comme la reine incontestée du basketball européen de nouveau, elle aurait dû faire étalage de toute sa férocité match après match, de prendre ses adversaires à la gorge plutôt que de laisser une chance de survivre à des opposants nettement plus faibles en “se mettant trop de pression” et en doutant de ses velléités propres à conserver son titre, remporté au demeurant avec l’énergie et les tripes d’un outsider au panache si singulier deux ans auparavant. Si évolution de ce terme à résonance purement française il y aura, s’extirper de notre conformisme langagier serait de fait obligatoire. Que tous les fans de tout horizon de nos Bleus n’aient plus honte de voir leurs idoles se forcer à camoufler leurs idées de grandeur, pour eux-même dans leur carrière respective et pour leur sélection nationale. Le réveil de leur réel instinct de tueur (notion de “killer instinct” chère à nos NBAers) révolterait leur conscience de pantins instrumentalisés à qui l’on demande sans cesse de se taire et de faire preuve d’élégance, voire d’une allégeance amalgamée qui va jusqu’à les mettre mal à l’aise sur les parquets. De notre point de vue, ce concept si particulier du panache ne perdrait aucunement de sa valeur, bien au contraire.

En assumant de plus en plus notre statut de grande nation du basket, l’ajout bienvenu d’une pointe d’insolence, d’intransigeance à notre alchimie idéologique ferait grandir le respect qui nous est accordé sans pour autant entacher celui que nous devons à nos rivaux. Là serait le véritable défi à relever par la génération émergente des Evan Fournier, Joffrey Lauvergne, Rudy Gobert et Nando De Colo. Joli point de départ que de commencer ce combat sur et en dehors du terrain par une médaille de bronze encourageante qui est venue laver la désillusion d’une finale sur le sol français, non sans panache et abnégation à la suite du revers fratricide contre l’Espagne qu’il fallait absolument éviter. Le panache sert aussi et surtout à cela, à “sublimer l’échec de l’action en victoire de l’âme et du cœur”. S’il y bien un sport où nous sommes les champions inattaquables, c’est bien celui-ci.

Quoi qu’il en soit, n’ayons pas peur des mots, ni de nous mettre en valeur, ni de croire en des rêves de grandeur jugés trop “grands”, ni de nous faire traiter d’imbéciles quand tous nos actes relèvent du génie. Trempons notre panache dans une rivière d’insolence stimulante car, au final, nous n’obtiendrons toujours que du panache puisqu’il fait partie intégrante de nous-même, de notre construction de joueur, d’observateur, de leader d’opinion, de témoin de l’histoire de notre équipe tricolore de toujours, de Français. Grâce à ce recul nécessaire sur notre science du jeu, nous comprendrons d’autant plus la juste signification de cette phrase lourde en confusions du célèbre Pierre de Coubertin, celle-ci transmise de manière odieusement écornée au fil du temps et ce, dès notre plus tendre enfance : “L’important, c’est de participer”. Mais nous aurons tout le loisir de creuser cette affirmation dans le détail à une autre occasion…

En outre, terminons notre argumentation en laissant le mot de la fin à un personnage bien connu de nos services qui personnifie, à sa façon hétéroclite, le fond de notre pensée et ce grain de folie, de férocité, de bestialité qui nous reste à intégrer à la sagesse, à la classe caractéristique de nos Bleus. Une force immanente, un état d’esprit décrivant un joueur qui connait l’étendue de ses pouvoirs et de son impact sur la réussite de sa confrérie de talents. Un verbe qui n’a d’égal que la violence de son utilisateur et qui, tout comme le panache dans les différents dictionnaires du monde entier, se passe de traduction. 

Russell Westbrook describing his mindset on the court : “Kill”

— Kurt Helin (@basketballtalk) 14 Février 2015

Source texte : L’Inclinaison au panache de Bruno De Cessole dans Valeurs Actuelles

Source image : France Bleu

 


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