Earl Lloyd, premier titré en compagnie de Jim Tucker
Le 01 nov. 2024 à 16:58 par David Carroz
Si 1954 voit une avancée historique pour les Afro-américains avec la fin – légale – de la ségrégation dans les écoles publiques suite à l’arrêt Brown v Board of Education, cela ne signifie pas que tout s’améliore pour cette communauté. La preuve en 1955 avec le meurtre d’Emmett Till. Mais la résistance s’organise, avec le début du mouvement des droits civiques symbolisé par le refus de Rosa Parks de laisser sa place à un Blanc dans un bus. Pendant ce temps-là, Earl Lloyd lui va chercher le premier titre NBA pour un Afro-américain, accompagné par Jim Tucker.
Pourtant, Earl Lloyd aurait bien pu disparaître de la carte NBA. En plein service militaire, sa franchise des Washington Capitols met la clef sous la porte. Avec seulement sept matchs au compteur dans la ligue et son statut d’Afro-américain quand la NBA n’est qu’au début de son intégration, les perspectives ne sont pas réjouissantes. Mais lors de la Draft de dispersion qui redistribue aux autres franchises les joueurs ainsi libres, son ancien coéquipier Fred Scolari qui a été récupéré par les Syracuse Nationals glisse son blaze aux dirigeants de sa nouvelle franchise.
Earl Lloyd fait le sale boulot
Le proprio Danny Biasone, le General Manager Leo Ferris et le coach Al Cervi sentent la bonne affaire. Avec ses qualités défensives et au rebond, Earl Lloyd peut être une bonne pioche à moindre coût. Il atterrit donc dans l’État de New York sans cérémonie, symbole de l’invisibilité propre à sa communauté à l’époque. C’est d’ailleurs dans un rôle de l’ombre qu’il va faire son trou : défendre le scoreur adverse, principalement dans la raquette mais aussi parfois sur les arrière grâce à sa polyvalence, voilà sa mission. Un rôle très fréquent pour les pionniers afro-américains, loin des spotlights. Offensivement, ils ne sont pas ou peu intégrés. On les limite dans un registre reflétant les préjugés de l’époque, à savoir défendre dur avec leurs qualités physiques et athlétiques. Et Earl Lloyd ne va vivre que pour cela, soulageant la star blanche de l’équipe, Dolph Schayes. Bonus, sa dureté offre aussi de bons écrans pour libérer la ligne arrière des Nationals.
Dolph Schayes, justement, se souvient très bien de l’impact pas forcément chiffré de son coéquipier :
“Il ramassait les miettes en ce qui concerne sa part dans le jeu. Il faisait toujours le sale boulot, prenait les fautes. En réalité, il m’a beaucoup aidé parce qu’avec lui sur le parquet, j’étais libre de prendre les rebonds et de recevoir les louanges vu que son rôle était de défendre le meilleur joueur offensif adverse.”
Avancer malgré la ségrégation
En déménageant à Syracuse, Earl Lloyd a donc vu s’affiner son rôle sur le parquet. En dehors, sa vie évolue aussi puisque désormais il n’est plus au sud de la ligne Mason-Dixon. Mais si les lois Jim Crow ne sont pas la norme, cela ne veut pas dire que la ségrégation est absente. Elle subsiste, plus pernicieuse encore. Les panneaux “Colored only” ne s’affichent pas dans la rue pour indiquer les lieux réservés aux Afro-américains, mais chacun connaît tout de même sa place. C’est ainsi que Lloyd emménage à Fifteen Ward, le seul quartier qui accepte les membres de sa communauté. Impossible de louer un logement ailleurs.
Mais revenons-en au basketball. La première saison de Lloyd aux Nationals est de bonne facture, même si Syracuse ne passe pas le moindre tour en Playoffs. Ils vont se rattraper l’année suivante en poussant les Minneapolis Lakers de George Mikan jusqu’au Game 7 des Finales NBA 1954. Le tout alors que de nombreux joueurs évoluent blessés. Dont Earl Lloyd qui s’est cassé la main face aux Knicks un peu plus tôt durant les Playoffs. Malgré les efforts de celui qui est désormais surnommé Big Cat pour son agilité, le pivot des Lakers semble impossible à contenir.
Mais la saison suivante, la donne change. L’horloge des 24 secondes est mise en place en NBA. Et forcément, elle va réduire l’impact d’un joueur lent comme Mikan. Coïncidence, l’homme derrière la mise en place de cette nouveauté est Danny Biasone, le proprio des Nationals. Coïncidence numéro deux, Mikan part à la retraite (il reviendra la saison suivante). Si bien que Syracuse a une belle gueule de favori, avec en prime le renfort du rookie Johnny Red Kerr, sixième pick de la Draft. Dernière nouveauté – elle aussi issue de la Draft – Earl Lloyd n’est plus le seul Afro-américain chez les Nats puisque Jim Tucker est signé après avoir été sélectionné au troisième tour.
En plus de jouer un rôle de mentor auprès de son jeune coéquipier, Lloyd réalise la meilleure saison de sa carrière avec des moyennes records aux points (10,2), aux rebonds (7,7) et passes (2,1). Certes, ce bon statistique peut en partie être expliqué par le rythme plus élevé des rencontres, mais surtout parce qu’à 26 ans, Earl est dans son prime. Comme il continue d’assurer son taf de garde du corps dévoué, il s’attire les louanges de son coach pour son sacrifice. Ses coéquipiers plussoient : ils savent qu’ils peuvent compter sur lui et qu’il est prêt à monter au créneau pour les défendre.
Earl Lloyd, encore une fois pionnier
Tout roule pour les Nats qui atteignent les Finales NBA pour la seconde saison consécutive. Cette fois-ci, ce sont les Fort Wayne Pistons qui se dressent en face. Pas de quoi réjouir Earl Lloyd car la fanbase est l’une des plus racistes de la ligue. Coup de bol, les Pistons ne s’imaginaient pas jouer les Finales, il faut donc délocaliser les matchs. Coup de pas bol, ça sera à Indianapolis, où l’ouverture d’esprit n’est pas plus grande qu’à Fort Wayne.
Cette fois encore, la série va au bout du suspens. Mais avec une issue heureuse pour Syracuse qui s’impose lors de l’ultime rencontre. Earl Lloyd et Jim Tucker deviennent alors le 10 avril 1955 les premiers Afro-américains titrés en NBA. Et comme ils réalisent cette prouesse six mois avant que Jackie Robinson ne remporte ses uniques World Series, ils sont même les premiers de leur communauté à glaner le trophée au sein d’une ligue majeure intégrée. Le CV d’Earl Lloyd commence à prendre de l’épaisseur avec cette nouvelle ligne d’histoire. De quoi gagner une petite reconnaissance médiatique ?
Que nenni, cette première passe une fois de plus à la trappe à l’époque. Allez, qu’il se console entre ses futurs accomplissements – il ne va pas s’arrêter en si bon chemin – et l’évolution de la société américaine – enfin surtout de la NBA – il va finir par être reconnu à sa juste valeur. Bon il faudra un peu de patience et attendre 2003 et son intronisation au Hall of Fame. Cela peut paraître long, mais contrairement aux autres pionniers, il a au moins connu cet honneur alors qu’il était en vie…