La culture du maintenant en NBA : quand la tentation du quotidien finit par altérer notre vision
Le 17 mars 2018 à 16:44 par Bastien Fontanieu
C’est une joie, mais aussi un malheur. Une chance, un mauvais sort, un vrai bonheur et une indescriptible peine à vivre à la fois. Être fan de NBA, c’est être marathonien avant toute chose. La Ligue propose une compétition unique en son genre, qui chamboule notre quotidien et occupe un immense espace temps tout au long de l’année, au point de bousculer certaines de nos capacités d’observation. Comme laquelle ? Celle de pouvoir élargir l’objectif au maximum et regarder le paysage dans toute sa largeur.
Fascinant spectacle que celui observé actuellement, et qu’on a déjà pu voir à de maintes reprises au fil des années, aux quatre coins des States. La scène, pourtant habituellement délaissée par les caméras et les grandes attentions, est connue de tous. San Antonio, Texas. Avec sa grande histoire coloniale et ses 1,3 millions d’habitants, la cité des Spurs est un des coins les plus paisibles du circuit depuis des siècles. Un havre de relaxation tellement détaché des autres grands marchés qu’on en vient même à entendre en boucle des punchlines venant des joueurs qui rendent visite à Gregg Popovich et ses joueurs, axées autour d’un stéréotype bien connu : une bonne nuit de repos et sans nightclub nous attend à San Antonio. Cette image très reposante véhiculée par la ville va de paire avec un management qui a toujours opté pour le calme et le plaisir des bonnes choses, des vraies choses. R.C Buford et Pop, architectes de la dynastie texane, représentent à eux deux plus de 20 ans de route à une seule vitesse, la leur. Pas de place pour le strass et les paillettes, pas le temps pour les rumeurs et l’excitation des grands moments télévisés. Chez les Spurs, on avance tout droit et on fait la même soupe chaque matin, car elle fonctionne. Ajoutez à cette calme toile le charisme de lampadaire exposé par les Tim Duncan et Kawhi Leonard entre autres, la froideur d’un coach limitant ses interviews à six ou sept mots, et vous obtenez une peinture qui impose le respect ainsi que le mutisme depuis deux décennies. Death, taxes and Spurs, comme ils disent là-bas. On s’habitue à la mécanique blanche et noire et on soupire en voyant 50 victoires en régulière ainsi qu’un gros run de Playoffs. C’est comme ça. Tous les ans.
Sauf que cette saison, étonnamment, le vol très smooth auquel nous étions tous habitués a laissé place – en apparence – à quelques turbulences. Les défaites, les nouvelles têtes, et un homme propulsé sur le devant de la scène, contre son gré. L’affaire Leonard, grand sujet de discussion au sein et au-dessus de la franchise de San Antonio. Pourtant derniers remparts de la Ligue face à la surmédiatisation du sport, les Spurs ont pris de plein fouet la claque de la réalité, celle d’un joueur vivant une sale blessure, avant de renégocier un nouveau contrat, au sein d’une franchise ultra-conservatrice et protectrice de ses joueurs, le tout dans une ère du tout-savoir. Le staff local a beau avoir dressé ses plus solides boucliers, rien n’a pu résister à la vague des ESPN, des Yahoo Sports, des sources say et des serious talks de l’océan orange. Étonnamment, ce n’est pas la première fois que le sujet se présente de cette façon à San Antonio. Souvenons-nous, c’est bien Tim Duncan qui était au centre des débats, lorsque ses supérieurs sortaient le drapeau rouge pour les Playoffs de 2000. Un genou endolori, une grosse décision à prendre concernant une superstar, et de quoi nourrir le train des rumeurs. La grande différence avec aujourd’hui ? Elle est dans le titre de ce papier, et dans le centre de cette réflexion. C’est ce qu’on appelle la culture du maintenant. Tout, tout de suite, là, immédiatement, via Twitter, via YouTube, via Facebook, via Snapchat, et tant d’autres. On veut tout savoir, on doit savoir, et le plus tôt possible sinon ce n’est pas normal. Ce n’est plus considéré comme normal, de ne pas être au courant. Cette révolution globale dans la consommation de l’information, sportive ou non, affecte non seulement les joueurs, les franchises, mais elle bouscule surtout les fans qui, dans cet étrange processus, finissent parfois par tout simplement perdre leur capacité à regarder au-delà des 24 prochaines heures.
L’exemple Spurs est utilisé en ce sens, car il souligne l’excitation générale suscitée autour de la franchise actuellement, alors qu’en interne il ne s’agit que d’un pépin comme un autre. Qu’une saison comme une autre, aussi préoccupante soit-elle pour certains. Est-ce qu’on en a fait une tonne en 2010, lorsque Tony et ses boys finissaient 7èmes de l’Ouest ? Ou qu’ils se faisaient éliminer au premier tour la saison suivante ? Sur le moment, certainement. Après, est-ce qu’ils sont retournés en finale de conférence, puis en finale NBA, puis ont remporté le titre, à vous de nous le dire. Et c’est là que notre devoir d’observateur et de fan doit aussi s’imposer. Dans ce moment de doute et cette envie de se jeter, car notre jugement est altéré par les résultats de la veille ou l’atmosphère de la semaine. Ne pas tomber machinalement dans la conclusion hâtive tendue par le quotidien, aussi tentante soit-elle. Si la franchise de San Antonio est initialement mise en avant, comment ne pas parler des autres équipes et de certains de leur fans, qui peuvent chuter dans ce terrible jeu ? Les Celtics et leur die-hards, inquiets pour la fin de la régulière et leur futur parcours en Playoffs. Pourtant, on se demande qui va récupérer Gordon Hayward cet été, développer deux immenses talents en Tatum et Brown, n’ont pas encore effleuré le prime de Kyrie Irving et ont des picks de Draft à ne plus quoi savoir en faire. Les Sixers et leur Process, qui mangeaient tomate dans la gueule sur tomate dans la gueule entre 2013 et 2016 à cause de leurs résultats et leur méthode. Pourtant, on se demande aujourd’hui qui sont les darlings de la NBA à l’approche de leur retour en Playoffs, et qui vend des t-shirts à l’effigie de Sam Hinkie.
La tentation du tout de suite fait qu’on refuse l’effort, car trop exigeant émotionnellement parlant. Il n’y a rien de plus satisfaisant et prélassant que de réagir à chaud. C’est non seulement un droit en tant que fan, mais c’est surtout une véritable drogue. Et autant dans d’autres sports la consommation de rails peut se faire de manière occasionnelle en suivant le programme des rencontres, autant la NBA a cette particularité mentionnée précédemment qui est qu’elle offre du matos chaque matin. Chaque, matin. On se lève, on voit une performance, un résultat, et de ce premier constat un peu bovin va se construire une réflexion qui de facto va se cimenter dans le temps. Testez avec les rookies, c’est assez fabuleux à observer. Untel va être un bust à vie, alors que sa situation ne lui convient juste pas dans le moment présent. Le plus drôle ? C’est qu’on est capable de se contredire, dans un espace temps parfois ridiculement réduit. Dernier exemple en date, l’acquisition de Blake Griffin par les Pistons. Au moment du transfert entre Los Angeles et Detroit en janvier dernier, le schéma habituel prend place au sein de la planète basket. Analyse à chaud, excitation, hypothèses, pronostics, on suit le parcours protocolaire avec une application quasi-scolaire. Mais malheureusement, la culture du maintenant s’abat sur Motown en l’espace d’un petit mois. On a beau répéter que la moitié de l’effectif a été chambardé, qu’il y a un nouveau système à mettre en place, qu’il n’y a pas eu le moindre camp d’entraînement avec ce groupe, qu’un meneur titulaire est absent, qu’un recrutement XXL doit avoir lieu pour être compétitif, que cela va demander du temps et qu’on n’a pas d’exemple de ce genre de transfert qui marche dans l’immédiat, il suffit de quelques défaites consécutives pour que les plus grandes affirmations prennent place. Cela ne marchera jamais, très déçu par les Pistons, ça sent déjà la fin. Vraiment ? Malgré tout ce qui a été souligné au moment du deal ? Et tout ce qu’on sait dans l’approche générale d’une saison dans cette Ligue ? Hélas, oui.
Mais tel est le monde dans lequel on vit, encore plus dans les pompes d’un fan de NBA. La culture du maintenant, du tout de suite, n’est pas un fléau, loin de là. L’hyper-disponibilité des informations et par conséquent l’ultra-rapidité de notre réflexion rend notre quotidien terriblement excitant. Ces montagnes russes nous enivrent, on aime vivre ça chaque jour, qu’on l’assume ou non. Cependant, un conseil pour celles et ceux qui pourraient paniquer face au désastre du jour ou exulter devant la réussite du soir : enlever ses oeillères et regarder le paysage dans son ensemble est un excellent moyen d’affiner notre jugement. Mieux encore, c’est en faisant l’effort qu’on anticipera mieux le futur. Et pas à 24h seulement.