La vérité qui dérange : Kobe, poison des Lakers ?

Le 16 mars 2013 à 05:18 par Bastien Fontanieu

C’est l’histoire d’un débat. Anodin. Un débat qui avait lieu depuis plusieurs années déjà dans les coulisses de la NBA, mais qui a également pris forme chez TrashTalk il y a quelques jours sur ses réseaux sociaux. Le genre de bruit de couloir que l’on n’ose pas trop assumer, jusqu’à ce que la vérité éclate récemment, trop forte à tenir en son fort-intérieur : et si Kobe était, après tout, un cancer pour les Lakers ?

Le constat paraît affligeant d’entrée. En effet : comment se dresser face à l’institution que représente la légende des Lakers, icône absolue au panthéon de la NBA pour ses performances exceptionnelles, respecté aux quatre coins de la planète, de Philadelphie à Rome en passant par Los Angeles et Beijing pour son esprit de compétition ? Comment toucher à l’intouchable, mettre des zones d’ombre sur une image si lumineuse, si exemplaire, si…parfaite ? C’est ce genre de questions que TrashTalk ose affronter via ses différents rédacteurs.

Dix-sept saisons nous contemplent. Kobe pourrait prendre sa retraite dès aujourd’hui, il figurerait aisément parmi les dix meilleurs joueurs de l’histoire. En nous serions les premiers à le confirmer, de par les qualités individuelles extraordinaires dont le natif de Pennsylvanie a fait preuve depuis 1996. C’est simple : s’il fallait dessiner le joueur de basket parfait, il aurait certainement les attributs de l’arrière Angelinos. Mieux que Jordan ? Possible. On pourrait même l’affirmer. Capable de marquer dans n’importe quelle position, de n’importe quel endroit sur un parquet, la gestuelle au tir de monsieur Bryant est une des plus belles choses à voir du côté de L.A. depuis l’an 2000. Défenseur ultra-solide, il fait partie des rares joueurs capables de tenir un LeBron James comme un Chris Paul en presse tout-terrain. Des mains agiles, une excellente vision du jeu, et un QI basket nettement au-dessus de la moyenne : que demander de plus ? Kobe a tout fait. Tout ce qui était possible dans notre imagination, il l’a réalisé. Plus de 80 points en un match ? Check. Marquer plus de points que toute l’équipe adverse après trois quart-temps ? Facile. Des trois points mains gauches et des séries de victoires avec 40, 50 ou même 60 points marqués ? Please. Tous les challenges qui se sont dressés devant lui, il les a pris et fait passer pour de grosses blagues. Comme cette saison, où il met à l’amende des joueurs de 5 à 10 ans plus jeunes. Jouant blessé tous les ans, refusant de mettre sa carrière sur pause pour continuer à jouer, son esprit de compétition ne trouvant d’égal que dans l’ombre de la légende des Bulls. Ajoutez à cela une capacité à élever son niveau de jeu dans les derniers instants, une pincée de trash-talking, et une approche de son travail de la façon la plus professionnelle que vous pourriez trouver, et vous obtenez donc un prototype parfait du basketteur idéal sur une base de qualités individuelles. La liste est encore longue, mais Kobe représente donc, sur de nombreux plans, ce que n’importe quel joueur de basket aimerait être.

Oui mais il y a un mais. Et il est énorme, beaucoup trop gros, et présent depuis les débuts de la carrière du phénomène. Si le basket n’était qu’une affaire d’individualités, nombreux seraient ceux qui pourraient rejoindre la légende à force de travail et d’abnégation. Les Monta Ellis, Rudy Gay et autres Allen Iverson feraient alors partie de ces joueurs respectés et appréciés de tous, de par leurs qualités individuelles comme collectives. Malheureusement pour eux, et surtout pour une génération de joueurs qui oublie de plus en plus les fondamentaux enseignés par James Naismith : le basket est un sport qui demande à ce que certaines valeurs soient respectées si on souhaite y dominer. Comment expliquer que les Spurs, possédant le meilleur pourcentage de victoires tout sport américain confondu depuis 1997, aient autant de succès ? Comment comprendre que le Heat, défait en 2011 par une équipe de Dallas soudée, ait pu trouver ses réponses dans sa Finale 2012 face au Thunder ? Qui pour comprendre que Bill Russell possède plus de bagues que de doigts aux deux mains ? Le basket, ce n’est pas une surprise, est un sport collectif. Et qui demande à ce que chaque joueur, du premier au douzième, soit aussi impliqué et épanoui dans l’équipe pour que les résultats soient les plus performants. Bien évidemment, ce sont des notions fondamentales de notre sport adoré, qui ne devraient surprendre personne. Elles nous sont enseignées dès le plus jeune âge, et sont inscrites en lettres d’or sur la charte du basketteur futé située dans le Massachusetts. Sauf que dans le cadre de notre client aujourd’hui, il semblerait qu’une case manque, une énorme case.

Kobe l’a avoué lui-même, et ce à de nombreuses reprises : il est difficile de jouer avec lui. Ultra-exigeant, perfectionniste au possible, il demande souvent à ses coéquipiers de faire ce qu’il souhaite, et malheureusement pour lui ce type de pensée n’apporte rien de positif, que cela soit au basket comme dans d’autres sports. S’il y a un coach sur le côté du terrain, c’est bien pour coacher justement. D’où, au passage, la capacité exceptionnelle de Phil Jackson à diriger des joueurs aux égos différents, pour les mener vers un objectif commun pendant de nombreuses années, lui apportant à lui aussi des titres les uns après les autres. Cette discipline, c’est justement ce qu’il manque à Kobe. Comme on a pu le voir en 2004, et ce pendant plusieurs saisons par la suite, l’arrière des Lakers est souvent tenté par l’idée de vouloir tout régler tout seul par lui-même. Un égocentrisme et une passion pour les projecteurs et l’individualisme qui a trouvé son point de chute ultime avec ses 81 points marqués face aux Raptors en 2006. Une performance individuelle exceptionnelle, mais qui cachait hélas l’évidence : seul je suis, seul je gagnerai. Seulement, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, cela ne marche pas, ou du moins pas sur le long terme. Des exploits singuliers, qui frustraient ses coéquipiers de par leur simple rôle de figurant, on ne peut plus les compter tellement ils remplissent le résumé de sa carrière. Kobe, assoiffé de victoires, est également aveuglé par son individualisme. Il est d’ailleurs étonnant pour certains, de voir que le seul joueur que Kobe n’a pas dépassé en terme de points marqués sur un seul match, est un certain Wilt Chamberlain, qui lui aussi subissait le même problème existentiel : la confiance envers les autres, et la folie de vouloir tout régler par soi-même, dans un sport qui prône la tâche collective.

Au lieu d’effectuer une introspection complète sur la carrière de Kobe Bryant, regardons plutôt les évènements récents, à commencer par cette saison. Première cible : Mike Brown. Ouvertement menacé par la star des Lakers pour son manque d’expérience, le siège éjectable n’a pas tardé à se déclencher pour le coach du mois d’Octobre. Une véritable honte concernant le comportement du Mamba et de la famille Buss, tant ils lui ont manqué de respect. S’en est suivi la blessure de Steve Nash, nommée raison principale des galères des Lakers en fin d’automne 2012. Kobe, réalisant des performances individuelles exceptionnelles, restait alors à l’abri de la moindre critique, et n’arrivait pas à comprendre ce que vivait certains de ses coéquipiers. Vous ne savez pas de qui je parle ? Seconde cible : Pau Gasol. Clashé dans les médias par le numéro 24 pour ses problèmes aux genoux, et de ce fait critiqué par tout l’état de Californie, l’un des meilleurs intérieurs de la NBA se faisait traiter comme un chien par les médias et les fans réunis à l’unisson, le tout orchestré par un Bryant décidément des plus solidaires. Un véritable lynchage jusqu’aujourd’hui, qui ne m’aura donner plus envie de vomir qu’autre chose, tant les qualités de joueur de l’espagnol sont évidentes. Troisième cible : Dwight Howard. Veux-tu bien jouer blessé, veux-tu bien m’écouter, veux-tu faire ce que je demande : le pivot des Lakers était devenu à son tour en quelques semaines la raison principale des galères californiennes. Non pas qu’on le défende, surtout pour son comportement face aux micros des journalistes, mais on ne faisait qu’acquiescer les propos d’un certain Phil Jackson, qui demandait récemment à ce que les Lakers le mettent plus en valeur dans le jeu. Dominant, intelligent sur les terrains, déclencheur de cataclysmes dans les défenses adverses, D12 était alors réduit à un rôle d’éboueur de luxe, au plus grand plaisir du petit protégé des Lakers, pouvant alors envoyer brique sur brique tout en pointant du doigt son jeune coéquipier. Ces propos venant de coach Jackson étaient également l’occasion de dire à Kobe de fermer sa gueule une bonne fois pour toute, Mike D’Antoni étant incapable de le dire, mais cette interview est une nouvelle fois passée inaperçue, de par les performances individuelles hallucinantes de Kobe, capable d’assassiner les Hornets, Raptors et autres Mavericks (sic) à coup de 30, 35 ou 40 points. Le problème est donc passé sous silence, la star désignant un à un les présumés coupables.

Et les Lakers, qui n’ont eu que quelques occasions de voir ce que donnait la vie sans Kobe, ou plutôt la vie avec un Kobe différent, se sont tout simplement régalés, dans le silence le plus complet : solidaires face aux Spurs en début de saison, ils ont surtout connu une magnifique série de victoire récemment. Celle de Février ? Faux. Celle de fin-Janvier. Kobe, muté en chien de garde défensif, faisait ce qu’il n’avait que très peu fait jusqu’ici dans sa carrière : asphyxier les meilleurs joueurs adverses pour lâcher la balle à son meneur (Steve Nash) et le laisser organiser l’attaque. Limité à seulement quelques tirs ici et là, Kobe devenait le coéquipier parfait, le genre de Tim Duncan ou d’Avery Bradley, capable de se casser en mille dans un département peu apprécié par la masse, mais pour le bien de l’équipe. Des victoires faciles, de vingt points, ou face au Thunder notamment, qui nous donnaient l’impression que les Lakers pouvaient réellement tout écraser sur leur passage. Seulement, et Kobe ne nous a pas déçu là-dessus, son naturel est revenu pire qu’au galop. Sa gloutonnerie, peu rassasiée depuis quelques jours, retrouvait ses habitudes avec plusieurs matchs à 20, 25 tirs tentés, et des défaites à la clé, au grand étonnement de nombreuses personnes. Incapable de faire confiance au collectif sur la durée, le natif de Philly s’en retournait à son activité favorite : le solo. Pau Gasol blessé ? Tant mieux. Dwight Howard maladroit aux lancers ? Crachez-lui dessus. Jusqu’à ce Mercredi. Poussé à bout chez les Hawks, Bryant faisait pleurer les statisticiens en prenant 33 tirs, et se plaignant des mauvaises intentions de ses adversaires concernant sa blessure à la cheville, au lieu de se demander pourquoi l’issue de ce match était-elle si différente de la veille, à Orlando, où les Lakers avaient déroulé grâce à un Howard dominant, ceci permis, tiens tiens, par le sens collectif retrouvé de sieur Bryant. Oui mais une nouvelle fois, gloutonnerie oblige, le match est passé sous silence. Dans une NBA où la performance individuelle est bien plus mise en avant que celle du collectif, Kobe règne en roi sur son domaine. Et notre petit doigt nous dit que dans la course au meilleur marqueur all-time, la majesté des Lakers a tendance à ne penser qu’à son petit record personnel par moments.

Les Lakers se sont donc retrouvés hier soir à Indiana, le cul entre deux chaises. Kobe, centre national, mondial, que dis-je, inter-universel des médias, décidait de faire le héros une nouvelle fois en tentant de revenir sur les parquets après le festin individuel à Atlanta. Attirant fleurs et louanges, personne ne voyait donc en coulisses que les Nash et Howard étaient de ce fait privés d’un plaisir exceptionnel : jouer librement, sans avoir la légende des Lakers mettre la pression sur chaque possession, chaque action, chaque erreur, à la façon d’un Michael Jordan lors de ses quelques années Wizards, et au début de son règne chez les Bulls. Au final ? Kobe n’a pas pu jouer, et ce fut un vrai bonheur. Présent au premier quart-temps, il a été mis sur le banc par un Mike D’Antoni qui, touché par la grâce, a réalisé le geste qu’il fallait. Le reste ? Ce n’est que l’histoire. Les Lakers se sont imposés sur le parquet des Pacers, dans un match solidaire et collectif que l’on avait pas vu depuis des années du côté des Lakers, et ce de par l’omniprésence de Kobe Bryant. Un récital du premier au dernier joueur, dans une arène des plus hostiles, avec l’assurance d’un champion, la défense d’un groupe soudé, et la liberté totale en attaque. Steve Nash en mode Suns, Dwight Howard qui prend son pied, Metta World Peace en électron libre, Antawn Jamison et Steve Blake relaxés par l’absence du taulier et du coup assassins au plus grand plaisir de leur coach : les Lakers avaient une allure de champion, et de possible menace à l’Ouest. Et pour un fan des Spurs comme moi, c’est une trahison de le dire : les Lakers m’ont fait plaisir à voir jouer hier soir. Bien évidemment, qui a été remercié en premier par les réseaux sociaux ? Kobe, assistant-coach d’exception.

La suite ? On la connaît hélas déjà, et ce depuis plusieurs années. Kobe pourra-t-il réfléchir à ce qui vient de se passer sur le parquet des Pacers ? Pourra-t-il effectuer ces changements nécessaires afin de faire des Lakers la machine indestructible qu’elle est censée être ? De mon côté, je pense que c’est impossible. Et cela se vérifiera très certainement lors des prochains matchs, où nous verrons probablement un Kobe collectif et engagé au début, avant que ce dernier ne retrouve sa gloutonnerie habituelle, véritable poison des Lakers depuis bientôt une décennie. N’était-ce qu’un exploit d’un seul match ? Non, les Lakers ont tout ce qu’il faut pour gagner des titres avec l’effectif actuel. En 17 saisons de carrière dans la franchise de légende, Kobe Bryant n’a loupé que 95 rencontres, et le bilan des Lakers est dans les 60%. En 17 saisons de carrière dans la franchise de légende, Kobe Bryant a participé à plus de 1000 rencontres, et le bilan des Lakers est dans les 60%. En 1 match cette saison à regarder ses coéquipiers futurs Hall of Famers se débrouiller sans lui, le bilan des Lakers est de 100%, et notre plaisir à les voir jouer est de 200%. Il est l’heure de se réveiller d’un long et profond sommeil entretenu par un soliste génial, alliée à une Ligue pro-individualiste, qui n’a hélas jamais su trouver les clés de la régularité collective. Il n’est jamais trop tard pour le faire. A bon entendeur…


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