Edwin B. Henderson – part 2 : basketball, sport, avancées et droits civiques

Le 24 nov. 2023 à 10:17 par David Carroz

Edwin B. Henderson et les 12th streeters
Source image : Youtube, chaîne EDWIN HENDERSON

Lorsque Edwin B. Henderson II sort d’une vieille malle toute l’histoire de son grand-père – et accessoirement Grand-Père du basketball afro-américain – il ne s’attend pas à mener son aïeul décédé jusqu’au Hall of Fame. Pourtant, l’œuvre découverte qui puise sa source sur les bancs de Harvard dépasse le simple apport de la balle orange à sa communauté du côté de Washington. Place aux chantiers effectués par Edwin B. Henderson.

Le sport contre les maladies et la ségrégation

Dès son retour à Washington suite à ses leçons dans le cursus de Dudley Allen Sargent, celui qui devient le premier homme afro-américain diplômé d’éducation physique aménage les bases d’un système sportif pour contrer la ségrégation. Et permettre à sa communauté de pouvoir elle aussi se dépenser dans un cadre établi. Certes, le basket n’est pas la seule discipline concernée. Mais dans les années qui suivent les premières pierres posées en 1904, la balle orange est régulièrement mise en avant.

Les questions d’hygiène, de santé et d’émancipation sont au cœur du projet éducatif et sportif qu’il porte. Selon Henderson, la vie urbaine n’offre aux afro-américains ni le temps ni les lieux nécessaires pour pratiquer une activité physique. Ce qui nuit à leur santé. Les rend plus vulnérables aux maladies. Il veut donc préparer les corps à affronter la vie active. Et cela se travaille directement chez les jeunes. Au plus tôt, il faut les rendre plus forts et résistants.

En outre, Edwin B. Henderson est convaincu que la réussite sur les terrains de sport est un moyen de combattre Jim Crow. Si les règles sont les mêmes pour tous, les membres de sa communauté pourront se battre à armes égales avec les Blancs. Faire aussi bien ou mieux qu’eux et donc mettre à mal les stéréotypes sur leur infériorité. S’offrir des passerelles vers des facultés plus huppées grâce à l’exposition liée au sport, en particulier le basketball. Pour finalement bénéficier d’un meilleur enseignement leur permettant de s’élever socialement.

Edwin B. Henderson, le messager du dieu basket

Dès sa prise de fonction à la fin de l’été, Edwin B. Henderson pense que ce sport, qui allie physique, mental et compétition, sera apprécié des élèves. Pourtant, malgré sa passion et ses compétences, il se heurte à quelques obstacles. Le manque de structure pour le pratiquer. À l’époque, les Blancs ne sont pas très portés sur le partage de leurs équipements. Mais aussi un certain manque d’adhésion. Les garçons afro-américains considèrent le basket comme un sport de filles. Pour autant, cette adversité ne diminue pas l’engagement de EBH.

Sans équipement ni compétition ouverte aux siens – l’Amateur Athletic Union ne reconnait pas les équipes afro-américaines et le système sportif comme scolaire du District of Columbia est ségrégué – il faut s’organiser hors du cadre établi. Trouver des moyens, des financements, des lieux. Petit à petit, Edwin B. Henderson et d’autres professeurs mettent en place cette structure.

Edwin B. Henderson structure le sport à D.C.

En 1905, c’est la création de l’Eastern Board of Officials – organisme formant des arbitres dans de multiples sports – qui est une première pierre. L’année suivante, deux autres étapes sont franchies avec la mise en place de la Public School Athletic League à Washington (sur le modèle de ce qui existe à New York) mais surtout de l’Inter Scholastic Athletic Association. Une organisation qui va cadrer le sport afro-américain dans le système scolaire pendant des décennies avec des branches locales dans d’autres États du Sud.

C’est à cause du taf à faire pour l’ISAA que Edwin B. Henderson reporte ses derniers cours à Harvard pour l’été 1907. En effet, il doit organiser en 1906 un énorme meeting d’athlétisme – conclu par un match de basket entre Armstrong Tech et M Street High School – pour lever des fonds afin de construire de nouveaux équipements. C’est le début du basketball à Washington D.C. Une raison suffisante pour faire l’école buissonnière.

Le but de cette première organisation regroupant les athlètes afro-américains ? Promouvoir le sport au sein de cette communauté. Soit le leitmotiv de Henderson. Les facs, lycées mais également églises et YMCA du coin adhèrent rapidement au concept. En particulier en ce qui concerne le basketball pour lequel EBH se démène. Les quelques années passées à évangéliser sa communauté portent leurs fruits et les équipes se multiplient. Pour la première fois, les Afro-américains tâtent la gonfle à grande échelle. Certes, ce n’est encore que celle d’une ville, mais par rapport à la pratique éparse depuis la création de ce sport, l’avancée est considérable. D.C. devient le lieu de naissance du basketball afro-américain et Henderson son père fondateur. Et cela ne s’arrête pas là.

La première compétition

Un nouvel événement illustrant parfaitement la ségrégation de l’époque encourage Edwin B. Henderson à faire encore plus. En 1907, alors qu’il se rend avec son beau-frère à une rencontre de basket d’une YMCA blanche, les deux Afro-américains se font alpaguer par les organisateurs. De bons Chrétiens qui leur demandent de quitter la salle car ils n’ont rien à faire ici. Il est beau l’amour de son prochain… Fou de rage devant une telle hypocrisie, Henderson décide alors de mettre sur pied une compétition puisque les Blancs ne veulent pas se mélanger.

Sait-il qu’un tel modèle prend également racine à New York ? Car si la basketball league – pas trop complexe comme nom – commence fin décembre 1907 à Washington, Big Apple voit aussi les débuts de l’Olympian Athletic League. Une année charnière dans l’histoire du basketball de la communauté afro-américain. Du côté de Washington, Edwin B. Henderson profite de la présence du True Reformer’s Hall – premier building financé, conçu et bâti uniquement par des Afro-américains – et de sa salle de danse au second étage. En effet, il est aisé de transformer cet espace en terrain de basketball tout en gardant de la place pour les spectateurs. C’est donc là que la balle orange va rebondir pour D.C., à 30 minutes à pied au Nord de l’actuel emplacement de la Capital one Arena – l’enceinte des Wizards.

Armstrong High School, M Street High School, Howard Academy, Howard Medical et Howard College représentent les établissements scolaires du coin au sein de cette ligue. Trois autres clubs indépendants – Crescent Athletic Club, Oberlin Athletic Club et LeDroit Park – complètent le tableau. Tout ce beau monde se retrouve les samedis soirs à 20h au True Reformer’s Hall. Après quelques semaines de compétition, M Street – dont les entraînements se déroulent sous les ordres de EBH dans les sous-sols du lycée – remporte le titre.

Mais la saison suivante emmène sa première controverse. Les équipes des différentes écoles de Howard ont fusionné pour être plus compétitives. Mais le nouveau Black Five ainsi né ne participe pas à la compétition suite à une brouille concernant la redistribution des recettes. Le début d’un froid entre l’université et l’ISAA qui va impacter le destin d’Edwin B. Henderson.

Edwin B. Henderson le champion

En effet, alors que le Crescent Athletic Club remporte le titre et gagne le droit de se frotter au champion new-yorkais – le Smart Set Athletic Club – pour la première rencontre entre deux Black Fives d’États différents, EBH – qui arbitre cette confrontation – devient professeur à Howard. Là encore il poursuit son taf d’évangélisation du basketball en entraînant ses élèves à son sport de prédilection. Mais plutôt que de mettre sur pied une équipe compétitive au sein du campus qui ne dispose pas d’un gymnase, il recrute les meilleurs joueurs des facs. Et les fait jouer avec lui dans la formation de la Colored YMCA de la Douzième Rue, loin du conflit entre Howard et l’ISAA. Dans l’enceinte du True Reformer’s Hall.

Un coup de maître qui se conclut dès la première saison d’existence de cette équipe par le titre de Colored Basketball World’s Champions pour les 12th Streeters en 1910. Le premier qui échappe à un Black Five new-yorkais. Et si l’équipe poursuit sur sa lancée en début de saison suivante, l’aventure s’arrête le 26 décembre 1910. Alors que l’équipe est en déplacement à Big Apple pour se frotter à l’Alpha Physical Culture Club, Edwin B. Henderson annonce à ses coéquipiers à l’issue de la rencontre qu’il tire sa révérence. Marié depuis deux jours, il a promis à sa femme de raccrocher les sneakers.

Sans lui, les 12th Streeters disparaissent. Du moins l’équipe, car quasiment tous les joueurs se retrouvent désormais à porter le maillot de Howard University avec comme manager… EBH ! Il faut dire qu’il enseigne toujours là-bas et que la plupart des gars qu’il avait recrutés pour jouer avec la YMCA étaient ses élèves ou des étudiants sur le campus. L’alchimie créée perdure et Howard University est à son tour couronnée Colored Basketball World’s Champions. Un succès comme joueur, un autre comme boss de l’équipe, pas mal comme palmarès en deux saisons pour l’ami Edwin.

Il reste du taf à côté

Mais il s’agit de la fin de ses accomplissements à proximité des parquets. S’il continue d’œuvrer pour le basketball en tant qu’arbitre ou militant, voire en partageant toujours cette passion auprès de jeunes joueurs, il s’éloigne du circuit des Black Fives. Il participe à la rédaction du Spalding Official Handbook entre 1910 et 1913. Un bouquin qui présente les athlètes afro-américains, c’est une première. Une réalisation de plus dans la besace de EBH, celle qui rapporte en détail la naissance du sport organisé au sein de sa communauté sur la côte Est.

Lors des années qui suivent, Edwin B. Henderson voit d’un mauvais œil l’arrivée du professionnalisme au sein des Black Fives. Pour lui, les clubs afro-américains doivent essayer de devenir membre de l’Amateur Athletic Union qui s’oppose aux pros. Il faut donc jouer comme les Blancs, suivre les mêmes règles pour pouvoir être acceptés. De plus, pour lui, l’argent entraîne forcément de la triche. Des mauvais comportements pour gagner toujours plus. Et ceci est contraire à ce qu’il recherche depuis le début. À savoir s’élever socialement en misant sur l’éducation.

À partir de 1926, il prend la tête du département de la santé, de l’éducation physique et de la sécurité des écoles publiques de Washington – tout un programme. Un poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1954. Qui lui permet de poursuivre le travail entamé comme simple professeur. À savoir utiliser le sport pour combattre l’absentéisme à l’école. Mais aussi pour développer un esprit d’équipe et de camaraderie au sein de sa communauté. En parallèle, il s’illustre comme militant des droits civiques, en particulier pour la mise en place de compétitions intégrées dans le sport. Ce qui lui vaut de nombreuses menaces de mort de la part du Ku Klux Klan.

Décédé en 1977, Edwin B. Henderson ne reste pas dans les livres d’histoires. Pourtant entre son rôle de pionnier dans le basket – comme athlète, arbitre, coach ou militant – et celui d’organisateur du sport en général pour les Afro-américains ainsi que les livres écrits pour documenter l’activité physique de sa communauté, son héritage est immense. Heureusement, ses descendants ont poursuivi son taf en trouvant le moyen de le mener jusqu’au Hall of Fame à titre posthume en 2013. Un minimum pour le Grand-Père du basketball afro-américain.

Source : The Black Fives: The Epic Story of Basketball’s Forgotten Era de Claude Johnson et Hot Potato de Bob Kuska