Les Nuggets de Denver ont-ils un avantage injuste à domicile ? Enquête dans les hauteurs de Mile High City

Le 26 mars 2023 à 08:24 par Louis Chokre

Denver Nuggets
Source image : Mile High Sports

Située à 1500 mètres d’altitude, la ville de Denver, Colorado, porte bien son surnom de Mile High City. Une statistique un peu banale au premier abord mais qui procure aux Nuggets quelques avantages non négligeables à domicile. Enquête.

Imaginez-vous dans la peau du plus fidèle supporter des Denver Nuggets (quelle idée). Depuis votre plus jeune âge, vous bavez sur cette équipe qui vous a mis des étoiles dans les yeux. Vous arborez fièrement votre maillot arc-en-ciel d’Alex English avec votre coupe aux tresse de Melo et d’Iverson, et vous êtes un immense fan de la Serbie et de ses pivots.

Un jour, vous êtes fatigué de suivre votre équipe préférée sur le League Pass ou en streaming sur des sites douteux. Vous prenez une grande décision : un road trip direction Mile High City pour voir Nikola Jokic et ses copains de vos propres yeux !

En grand supporter que vous êtes, vous réservez vos billets à la Ball Arena, histoire de scander le nom de vos Pépites préférées en compagnie d’autres fous de la balle orange. Sage décision. En plus de vous amuser ? Sachez que vous avez de très fortes chances d’assister à une victoire de Denver à domicile. En fait, beaucoup plus de chance que n’importe quelle autre franchise de sport américain.

EST-CE QUE L’AVANTAGE DU TERRAIN EXISTE ?

Intrigué par le sujet, vous décidez de faire au préalable quelques recherches que vous pourrez tranquillement lire dans l’avion en direction de l’Aéroport International de Denver.

En prenant en compte les ligues américaines les plus populaires, une franchise a effectivement plus de chance de gagner à domicile qu’à l’extérieur, c’est un fait. En regardant l’historique de chaque équipe américaine, aucune d’entre elles ne compte un bilan supérieur à l’extérieur qu’à domicile. Personne ne fait exception à cette règle.

En NBA, l’avantage du terrain peut s’expliquer par une myriade de facteurs : la foule en délire devant ses joueurs et boudant les arrivants, ou encore les voyages de l’équipe extérieure en avion avec des trajets pouvant parfois s’avérer long. La familiarité avec l’arène, aussi, ou encore le home cooking, terme employé par les médias pour décrire les décisions arbitrales en faveur d’une équipe évoluant à domicile. En 2015, Tom Haberstroh de ESPN avait d’ailleurs réalisé une enquête complète sur cet avantage, et sur les raisons qui font que ce dernier est en baisse ces dernières années.

LE CAS DE DENVER

Bien que ces facteurs permettent d’expliquer en quoi une équipe est plus avantagée qu’une autre lorsqu’elle joue sur son propre terrain, ils ne nous éclairent guère sur les variations qu’on peut trouver entre deux franchises différentes : une étude menée par Michael Lopez, Gregory Matthews et Benjamin Baumer sur l’effet du hasard dans le sport propose de comparer les différentes probabilités de battre une équipe de même calibre à domicile avec l’ensemble des franchises de sport américaines : NBA, MLB (Ligue Majeure de baseball), NFL (National Football League) et NHL (Ligue Nationale de Hockey).

En fonction du sport, l’avantage du terrain est différent : ainsi, les franchises NBA sont plus avantagées à domicile, avec plus de 6 chances sur 10 d’aller chercher la victoire contre un adversaire de même niveau dans ces conditions. De plus, chaque équipe possède un pourcentage de victoires différent. Mais le plus intéressant est l’étude spécifique de Denver. Dans ces conditions, les Nuggets possèdent le plus haut taux de victoire toute ligue confondue, et de loin. Et cette spécificité ne s’arrête pas au basket. Les Broncos en NFL et les Rockies en MLB sont également premiers de leur promotion respective. Seule exception, les Avalanches du Colorado, l’équipe de NHL de Denver, “seulement” dans le top 5.

Une telle divergence entre Denver et les autres équipes est difficilement explicable par l’unique hypothèse du hasard.

Tiens, l’explication se trouvera peut-être à notre atterrissage à l’aéroport de Mile High City.

HYPOTHÈSE #1 : L’OXYGÈNE EST MOINS ABONDANT EN HAUTE ALTITUDE

En arrivant sur le tarmac, vous sentez comme une gêne. Respirer vous demande plus d’efforts que d’habitude. En essayant d’attraper le premier taxi, vous êtes anormalement essoufflé…

Quand le corps effectue un exercice aérobique, il demande plus d’oxygène que la moyenne. Plus vous montez en altitude, moins l’oxygène est abondant dans l’air. Ce fait est démontrable, mais uniquement à très haute altitude. A 1500 mètres , soit environ le niveau de Denver, le taux d’oxygène est quasiment le même qu’au niveau de la mer. Toutefois, respirer reste difficile à cause de la pression atmosphérique. C’est la principale raison pour laquelle de nombreux sportifs s’entraînent en haute altitude, plus connu sous le nom d’entraînement en hypoxie.

Si les joueurs possèdent aujourd’hui tous les outils pour réaliser des séances en hypoxie dans leur salle de sport, ils ne sont guère habitués à vivre avec le manque d’oxygène… A part ceux qui habitent en haute altitude. Denver et Utah sont en NBA ces deux franchises où les joueurs sont confrontés en permanence à ce type de condition. Ils sont ainsi habitués à cette privation d’oxygène, à la différence de leurs rivaux. Et surprise… Les Nuggets et le Jazz partagent les deux premières places de notre classement.

Pendant un match, des équipes habituées à jouer en haute altitude n’ont pas besoin de s’adapter au manque d’oxygène, tandis que les visiteurs se retrouvent souvent au dépourvu et s’essoufflent rapidement.  
Cela peut aussi expliquer l’écart significatif entre l’avantage du terrain des équipes NBA et des autres ligues : parmi ces 4 sports, le basketball est de loin le celui qui exige le plus d’endurance (les joueurs de Tom Thibaudeau ne diront pas le contraire). A l’inverse, le jeu des autres ligues est bien plus lent : il est coupé la plupart du temps par de multiples temps mort où les joueurs peuvent se reposer. 

Historiquement, Denver a su profiter de cet avantage. Les Nuggets des années 80 avec Alex English, David Thompson et Fat Lever, ou encore des two thousands munis de Carmelo Anthony, Gerard Smith et Allen Iverson ont proposé un rythme de jeu très au-dessus de la moyenne, en privilégiant le scoring à la défense. Etonnement, on observe un phénomène opposé ces dernières années. Les Nuggets d’aujourd’hui sont classé parmi les jeux les plus lents de la grande ligue. 

De nombreux joueurs ont remarqué la chute drastique de leur performance en arrivant à Denver, et se sont exprimés à travers différentes interviews. Sur le plateau de TNT, Chris Webber expliquait “nous savons tous qu’on sera fatigué après le premier quart-temps”, ce à quoi Shaquille O’Neal avait répondu “qu’il faisait exprès de faire faute pour reprendre son souffle”. Stephen Curry avait également témoigné de ses difficultés au premier tour des Playoffs face aux Nuggets en 2013. Ray Allen était allé plus loin, et avançait qu’il était épuisé… après l’échauffement seulement ! Plus récemment, Deandre Ayton avait fait une remarque sur l’endurance de Jokic, impressionné de la condition physique du Joker. Enfin, il y a l’histoire de Ryan Clark, un joueur de NFL atteint d’asthme, qui s’est sérieusement mis en danger en jouant face aux Denver Broncos.

HYPOTHÈSE #2 : DENVER EST ISOLÉ DES AUTRES VILLES

Denver n’est pas uniquement réputé pour être le bourreau des souffles court. Elle est également une ville isolée de ses voisins. A la sortie de l’aéroport, il vous faudra être un poil patient avant de gagner votre hôtel. Même le grand jour arrivé, la distance qui vous sépare de la Ball Arena n’est pas négligeable, et vous devez encore attendre quelques heures avant d’entrer au sein du stadium Vous ne serez pas le seul à gémir : Gregg Popovich s’était souvent plaint de ce facteur lorsqu’il expliquait les raisons qui font de Mile High City une destination coriace pour ses joueurs. De plus, elle bénéficie d’un avantage du calendrier. Les équipes à l’Est, en cas de road trip, commencent souvent par jouer les équipes de la côte Ouest, avant de s’attaquer aux Nuggets à la fin du voyage. Autrement dit, la plupart des rivaux sont déjà fatigués en arrivant là-bas. 

Depuis quelques années, la NBA a essayé de corriger le problème en faisant débuter les virées à Denver. Mais Mike Malone était monté au créneau pour dénoncer les équipes voulant sanctionner la sienne, considérant cet avantage comme “injuste”. Notons que, parmi les villes les plus isolées, Utah est également à belle distance de ses confrères. 

HYPOTHÈSE #3 : L’AIR EST MOINS DENSE

Le match commence enfin ! Au cours de ce dernier, vous jubilez à mesure que l’équipe adverse rate ses tirs. Cette dernière est plus maladroite que d’habitude : les passes sont moins précises, les meneurs la contrôlent mal… la tâche s’annonce ardue pour les visiteurs.

Une dernière hypothèse peut expliquer cela. La densité de l’air. Plus on monte en altitude, moins l’air nous « résiste ». Mais cette physique s’applique également aux objets, comme la balle. Si l’air est plus dense, cette dernière parcourt le terrain plus rapidement ; dans les dribbles, dans les passes et… dans les tirs. Cela peut amener à déstabiliser l’équipe adverse. Le meilleur exemple pour illustrer ce phénomène est le cas des Rockies du Colorado. En baseball, l’endurance est beaucoup moins contraignante que les autres sports. C’est d’ailleurs dans cette ligue que l’avantage du terrain est le plus faible. Mais pour les Rockies, c’est une autre histoire : la différence entre eux et les deuxièmes de leur catégorie est si grande qu’ils mordent sur certaines équipes de NHL ! 

La balle de baseball traverse souvent les 150 km/h. Une vitesse où la friction est censée jouer un rôle déterminant. Mike Nelson, un météorologiste, a pointé du doigt que la fréquence des Home Run au Colorado était plus élevée que la moyenne.

UN AVANTAGE INJUSTE ?

Tous ces critères contribuent ainsi au pourcentage de victoires à domicile ahurissant de Denver et de Utah. À noter que ces derniers sont moins médiatisés quant à cet avantage, car Salt Lake City possède moins de franchises de sport, mais l’impact reste significatif là-bas.

Mais il pourrait venir un jour où les Nuggets se feront détrôner de ce palmarès. La NBA pourrait se sentir pousser des ailes et accélérer le processus d’expansion de la ligue. Dans ce cas-là, une franchise à Mexico City serait fortement envisagée. Situé à plus de 2200 mètres d’altitude, le Mexique pourrait alors se doter d’une arme fatale en cas d’approbation dans le futur.

En réalité, la différence d’altitude est-elle… si importante ? En repartant du match, vous aurez peut-être la chance de passer devant l’armoire à trophée des Nuggets… complètement vide. Comme quoi…