Le fabuleux destin de Nikola Jokic : itinéraire d’un MVP vraiment pas comme les autres

Le 09 juin 2021 à 16:26 par Benoît Carlier

Nikola Jokic steal
Source image : YouTube/Denver Nuggets

Élu MVP pour la première fois de sa carrière, Nikola Jokic vient de loin. De très loin. Retour sur une trajectoire unique qui lui permet aujourd’hui de pouvoir se vanter d’être le meilleur basketteur du monde.

Né dans la petite bourgade de Sombor, au nord de la Serbie actuelle et à 8995 kilomètres de la Ball Arena de Denver (oui, on a cherché), le petit Nikola grandit en Yougoslavie dans un contexte géopolitique instable. Cadet de trois enfants, il vit avec ses parents et sa grand-mère dans un petit appartement de deux chambres. A quatre ans, des bombes s’abattent dans sa région. Un trauma d’enfant comme il témoigne à Leo Sepkowitz de Bleacher Report.

“Je me souviens des sirènes, des abris anti-bombes et nous devions toujours éteindre les lumières. Nous vivions pratiquement dans le noir. Même à 21h, tout était déjà éteint.”

C’est donc à la lumière du jour mais sous le plafond du logement familial qu’il pose ses premiers moves sur un petit panier d’intérieur où ses frères, Nemanja et Strahinja de 10 et 7 ans ses aînés, jouent assis pour être à sa hauteur. Mais très vite, Nikola Jokic explose la courbe de taille et de poids de son carnet de santé. Bien qu’un peu enrobé et plus haut que ses camarades de classe, il n’a pas de mal à s’intégrer à l’école. C’est un enfant joueur et facile à vivre.

“Tous les profs m’adoraient à l’école parce que j’étais tout le temps en train de faire des blagues. J’étais plus grand que la plupart des autres garçons et filles et plus rapide aussi. J’adorais les cours de maths et d’histoire mais c’est à peu près tout. Je n’aimais pas les cours d’éducation physique. Au lycée, j’étais incapable de faire une pompe. […] Je ne suis pas athlétique.”

D’une famille d’éleveurs de chevaux, il rêve de devenir non pas joker mais jockey. Heureusement pour nous, son père le persuade de se concentrer sur le basketball. A 16 ans, il est repéré par le club serbe de Mega Leks, un gros vivier de talents à une centaine de kilomètres de sa ville natale où sont passés plusieurs internationaux et joueurs NBA dont les Français Timothé Luwawu-Cabarrot et Alpha Kabba, ou Malcolm Cazalon qui va justement se présenter à la prochaine Draft NBA. En 2014, Jokic n’avait pas fait le déplacement au Madison Square Garden pour la grande cérémonie. Passé les lottery picks, les choix peuvent vite devenir aléatoires et le Serbe n’avait aucune garantie d’être appelé. Les 30 premiers picks étant passés, toujours pas de nouvelle de Jokic. Il est finalement sélectionné par les Nuggets en 41è position, au milieu du second tour. Son nom est tellement random et sous-coté qu’il se fait même appeler pendant qu’une pub Taco Bell passe à la télé US. C’est son frère Nemanja, qui habite New York à l’époque, qui le sortira de sa somnolence pour lui annoncer l’incroyable nouvelle.

“Tu viens d’être drafté en NBA ! Comment tu peux être endormi ?”

Nikola Jokic was picked 41st…

during a Taco Bell commercial.

Now, he’s the MVP 🏆pic.twitter.com/NueEkIjQKT

— The Association (@association) June 8, 2021

Là encore, l’adolescent ne se presse pas et décide de rester un an de plus à la maison. Un choix payant puisqu’il devient MVP de l’Adriatic League à 19 ans. L’été suivant, le Barça est sur le point de le signer mais une mauvaise performance du pivot les fait soudainement douter selon EuroHoops. Tant pis, tant mieux, cette fois Nikola Jokic est prêt à faire le grand saut pour vivre son rêve américain accompagné de ses deux fratés et de sa femme. Le Colorado est un état qui lui correspond, avec ses montagnes et la nature à proximité, loin de tout le vacarme des grandes agglomérations. De toute façon, il n’a pas trop d’ambition pour son année rookie avec Jusuf Nurkic, J.J. Hickson et Joffrey Lauvergne en concurrence sur le poste 5.

“Je ne m’attendais pas à jouer lors de ma première année. J’étais juste venu pour travailler.”

Un petit concours de circonstances (blessures de Nurkic et Lauvergne, méforme de Hickson) va finalement le propulser titulaire au bout de son douzième match avec Denver, son premier double-double en 23/12 contre les Spurs en sortie de banc lors du match n°11 aidant bien. Dès lors, c’est une véritable amitié qui va se créer au fil des années avec Mike Malone, entraîneur des Nuggets et premier défenseur de sa pépite (c’est le cas de le dire). Le Serbe termine sa première saison avec 10 points et 7 rebonds de moyenne en 22 minutes ce qui lui vaut une place de choix dans la All-Rookie First Team aux côtés des deux licornes que sont KAT et Kristaps Porzingis. L’année suivant, il est d’abord aligné en duo avec Jusuf Nurkic, puis en tant que starter et enfin comme back-up du Bosnien. Le terrain a parlé, Nikola Jokic est finalement préféré à son collègue des Balkans qui est envoyé à Portland pendant la trade deadline en 2017. Une première victoire pour le Joker qui avait pourtant été drafté 25 positions après The Bosnian Beast. Si vous voulez rire, on a même dressé la liste exhaustive des joueurs sélectionnés avant lui.

A partir de ce moment-là, on va assister à une lente et inexorable montée en puissance de Niko au fil des saisons jusqu’à devenir le maître à jouer qu’il est aujourd’hui. Doté d’un QI basket et d’une vision au moins aussi démesurés que son gabarit, il impressionne par sa polyvalence et sa dextérité pour un golgoth de sa taille. Aussi dominant sous le panier que derrière l’arc des 7,23 m, plus précis et ingénieux que le plus doué des meneurs et toujours idéalement placé au rebond, il n’a pas besoin de sauter plus haut que le trottoir pour mettre le tarif habituel à ses adversaires ; à savoir, un triple-double bien généreux avec une adresse extérieure qui ne nous surprend même plus. Pas très loin d’imiter Russell Westbrook et Oscar Robertson en terminant la saison en 3D de moyenne, il reste l’un des rois de la discipline et détient même le record du triple-double le plus rapide de l’histoire.

Si quelques blagues concernant son régime et son manque d’envie surgissent autour de la Coupe du monde 2019 en Chine et lors de son retour en NBA, le Joker va très vite faire taire les critiques avec des performances quasiment jamais vues. Le style n’est pas athlétique pour un sou et ça ne va pas claquer des gros moulins à vent avec le coude au-dessus du cercle mais il est si plaisant de voir un grand à la création avec des inspirations de génie qu’on reste hypnotisé devant ses highlights. Hyper décontracté en conférence de presse, le triple All-Star tranche avec toutes ses stars trop propres sur elles qui font attention au moindre petit détail de leur apparence. Plutôt du style à aller manger en famille dans un restaurant routier en claquette-chaussette que de se pointer au premier rang d’un défilé de la fashion week avec des stars de la télé-réalité, le succès et la célébrité d’une superstar NBA ne l’ont pas fait changer d’un poil et il se presse de retourner dans son ranch en Serbie – où il a déjà invité Mike Malone et ses coéquipiers – dès que la saison est terminé.

“Quand ma carrière sera finie, je vais retourner là-bas [à Sombor, ndlr]. C’est un endroit tranquille et calme, il ne s’y passe pas grand-chose mais il y a tout. Il y a un canal, la nature, vous pouvez trouver de la tranquillité en sortant de la ville. J’aime être quelque part où je peux conduire sans utiliser de GPS. Il n’y a rien de tel que la maison.”

Mais dans la frénésie d’une saison NBA, Nikola Jokic sait très bien ce qu’il doit faire. Premier relai du coach sur le terrain, il est passé de franchise player et All-Star à MVP de la Ligue et futur Hall of Famer sans que personne ne puisse remettre en doute cette affirmation. L’ancien no-name et punchline facile à cause de son poids devenu contrat le plus rentable de NBA jusqu’à l’obtention de son nouveau deal en 2018 est enfin respecté à sa juste valeur, en tant que leader technique et nouveau meilleur joueur du monde.

Un Européen en succède à un autre au palmarès du trophée de MVP. Comme Giannis Antetokounmpo, la trajectoire de Nikola Jokic détonne au sein d’un sport que les Américains ne dominent plus autant qu’avant. Qui aurait dit que ce gamin sympa et un peu balaise allait devenir le boss de fin de la NBA ? On aurait cru à une nouvelle plaisanterie du Joker. Et pourtant…

Source texte : Bleacher Report, EuroHoops