Maurice Lucas vs Darryl Dawkins : un interlude de boxe au milieu des Finales NBA de 1977

Le 26 mai 2022 à 14:11 par David Carroz

Maurice Lucas et Darryl Dawkins se croient sur un ring de boxe
Source image : Youtube

Dans les seventies, la NBA vit plus au rythme des bagarres sur les parquets que des exploits de ses joueurs. Spencer Haywood – qui a connu cette période – se rappelle même que les échanges d’amabilités étaient quasi quotidiens. Sans forcément de véritables causes. Dans cette ribambelle d’échauffourées, certaines prennent plus d’ampleur ou de place dans l’histoire de la Ligue. C’est le cas de celle entre Maurice Lucas et Darryl Dawkins.

Le 26 mai 1977, les Blazers sont en déplacement au Spectrum pour tenter de gratter l’avantage du terrain face aux Sixers. Lors de ce Game 2 des Finales NBA, ils doivent proposer plus que pendant la première rencontre où ils se sont accrochés en vain. Malheureusement pour eux, leur inexpérience à ce niveau semble leur jouer des tours.

La franchise est jeune – seulement sept ans – et connaît les Playoffs pour la première fois de son histoire. Donc forcément, ses premières Finales NBA. Son effectif ne dispose pas non plus d’un grand vécu en commun. Sept nouveaux joueurs ont débarqué lors de l’intersaison. Parmi eux, Maurice Lucas. Un prénom comme nom de famille, ce n’est jamais bon signe. N’est-ce pas Guy George et Emile Louis ? Bon soyons quand même un peu mesurés. Maurice Lucas malgré son rôle d’homme de main au sein des Blazers – qui lui vaut le surnom The Enforcer – est en réalité un bon gars, un vrai, qui a beaucoup œuvré pour la communauté. Mais sur le parquet, en particulier lors de ce Game 2, il assume son rôle et son surnom.

Élément essentiel des Blazers coachés par Jack Ramsay, le garde du corps de Bill Walton est également le meilleur scoreur de l’équipe cette saison-là. Celui que Big Red considère comme le meilleur joueur de l’histoire de la franchise est arrivé lors de la Draft d’expansion qui a suivi la fusion entre ABA et NBA. Son équipe des Kentucky Colonels est restée sur le carreau, il se trouve donc sur le marché. Les Blazers sautent sur l’occasion. Ils envoient deux joueurs aux Hawks pour récupérer le second pick lors de cette Draft. Et mettent ainsi la main sur Mo.

Qui leur rend la confiance accordée, alignant les paniers comme les coups de coude ou d’épaule pour que les mastodontes adverses laissent en paix son talentueux pivot. Walton est tellement fan de son coéquipier que c’est en hommage à Maurice Lucas que le fiston Luke est prénommé. Sauf que ce dernier n’aura ni le talent de son paternel, ni la dureté de The Enforcer, mais c’est un autre sujet.

En face d’eux lors de ces Finales, les Sixers sont chargés en talent. Bien plus que ces Blazers composés avant tout de cols bleus prêts à se mettre chiffon pour leur star Walton. Doug Collins ou encore World B. Free à l’arrière, George McGinnis et Darryl Dawkins dans la peinture – même si ce dernier n’est encore qu’un jeunot aux minutes limitées – et surtout Julius “Dr. J.” Erving. Comme Maurice Lucas, l’ailier est un transfuge de ABA. Pour les bookmakers et les observateurs, il n’y a pas photo, les Sixers seront champions. Et le déroulement des deux premières rencontres leur donne raison.

Sur leur parquet du Spectrum, les joueurs de Pennsylvanie ont remporté le Game 1 et se baladent au Game 2. À cinq minutes de la fin de ce match, ils mènent, tranquille le chat, 96 à 76. Si le score est sévère, les Blazers tentent de s’accrocher avec leurs armes. De la dureté, des accrochages. Doug Collins s’en souvient :

“En fait, tout a commencé en début de deuxième mi-temps. Ils ont cru qu’ils pouvaient nous sortir de notre match en jouant physique.”

Vu le score à quelques minutes de l’issue de la rencontre, on peut se dire que la stratégie ne porte pas particulièrement ses fruits. Mais les Sixers ont aussi monté le niveau d’intensité et les muscles sont de sortie. Si bien que sur une contre-attaque de Rip City, tout va basculer. Enfin surtout Darryl Dawkins et Bob Gross. Mais aussi la série.

Alors qu’Herm Gilliam manque un tir à proximité du panier, Gross et Dawkins s’arrachent au rebond. La lutte – ou la prise de catch, c’est au choix – se termine au sol, les deux joueurs chutant, accrochés aussi bien l’un à l’autre qu’au ballon. L’arbitre siffle. Et tandis que le père Darryl s’éloigne de la scène après s’être relevé, il voit Gross lui tendre un joli doigt pour le menacer. En chemin, il tente de lui envoyer une beigne. Échec, mais dans son geste Dawkins touche son coéquipier Doug Collins (qui va finir avec des points de suture). Poursuivant sa route dans le plus grand des calmes, plus concentré sur le résultat de sa gauche que sur le reste du parquet, il se fait surprendre.

Au milieu du terrain, il est accueilli par un coup de coude dans la tête par l’intérieur des Blazers, Maurice Lucas. The Enforcer ne peut pas laisser un gars s’attaquer aux siens. Street cred’, tu connais. Les deux  joueurs se mettent alors en garde pour une petite chorégraphie habituellement réservée à un ring de boxe, sans vraiment se toucher. Mais la tension est immense et on craint le pire en voyant ces deux beaux bébés face à face, prêts à en découdre. Les bancs s’en mêlent pour stopper – ou participer, selon l’humeur – le pugilat. Des fans descendent des gradins. Pendant quelques minutes, c’est le chaos. Une fois le calme revenu – une dizaine de minutes plus tard – et les deux lascars exclus, le match peut reprendre et les Sixers terminent le taf. On ne le sait pas encore, mais l’impact de cet échange amical va avoir d’énormes conséquences.

Frustré, Dawkins défonce le vestiaire et quitte l’enceinte alors que les siens sont encore sur le parquet. Il fulmine, enrage. Aucun n’est venu le soutenir. Pire, il juge ses gars responsables du coup asséné par Maurice Lucas :

“Je suis en colère contre mes coéquipiers. Ils ont laissé un autre joueur arriver en traître dans mon dos et me frapper.”

La NBA n’étant pas aussi stricte qu’aujourd’hui, Dawkins et Lucas se retrouvent lors du Game 3 à Portland trois jours plus tard. Aucune suspension. Les fans du Memorial Coliseum sont chauds bouillants et le font sentir à Darryl, hué à foison. Puis vient le véritable tournant. Alors que le speaker présente les joueurs, arrive le tour de Maurice Lucas. Au lieu de courir vers les autres membres du cinq majeur, il prend la direction du banc des Sixers pour faire face à un Dawkins médusé. Va-t-il lui en coller une nouvelle ? Échanger des mots doux ? Cette pensée traverse de nombreux crânes dans l’Oregon. Pas celui de Lucas, qui sert la main de son adversaire en mode rien de personnel, c’est du passé mon gars. Effet immédiat, comme se rappelle Mo :

“Après ça, il était fait.”

En effet, Dawkins semble comme paralysé par la réaction de The Enforcer. Volontairement ou non, Maurice Lucas a non seulement galvanisé les siens en leur montrant la voie de la dureté en sortant les muscles lors du Game 2, mais il est aussi entré dans les têtes des Sixers en affichant une autre facette de sa personnalité avant ce match 3. L’unité et la confiance basculent du côté des Blazers qui enchaînent alors quatre victoires consécutives pour plier la série.

Un coup de coude, quelques pas de boxe et un serrage de main : voilà comment Maurice Lucas a permis à la franchise de l’Oregon de remporter son premier (et seul) titre NBA lors du premier trip en Playoffs des Blazers, au bout de sept petites saisons dans la Ligue. Bon ok, ses 19,7 pions et 10,7 boards ont certainement aussi pesé dans la balance. Tout comme les perfs de mammouth du MVP des Finales Bill Walton (18,5 points, 19 rebonds, 5,2 passes et 3,7 contres). Mais le Most Valuable Puncher, c’est bien Mo’.