Taj Gibson : filez-lui des goggles qu’il soit Horace Grant

Le 09 nov. 2016 à 13:56 par David Carroz

Taj Gibson Horace Grant
Source image : @TheBigD05

Dans le début de saison encourageant – enfin ça dépend des soirs – des Bulls, un joueur sort tranquillement les meilleures stats de sa carrière en faisant preuve d’une belle régularité. Non, ce ne sont pas les têtes d’affiche du backcourt qui font le plus plaisir du côté de la Windy City, mais plutôt l’éternel Taj Gibson, meuble parmi les meubles dans le troupeau des bovins, toujours présent pour aller au combat. Alors qu’on l’imaginait plutôt sur le départ lors des derniers mois, le natif de Brooklyn s’affirme comme un élément moteur des Taureaux, fiable des deux côtés du parquet. Solide, comme toujours. Et même brillant par moment. Un comble pour ce joueur de l’ombre, mais logique vis à vis du taf accompli tout au long de son parcours.

Lorsque les Bulls sélectionnent Taj Gibson avec leur 26ème choix à la Draft 2009 – via Denver et Oklahoma, les deals de rêve autour des picks – ils pensent mettre la main sur un joueur dynamique, solide en défense (PAC-10 Defensive Player of the Year) qui va pouvoir contribuer rapidement. Surtout, ils misent plus sur la maturité que le potentiel élevé pour un joueur qui a déjà 22 piges et qui débarque après trois ans de fac à USC, faisant de lui un daron de la cuvée qui porte déjà la barbe quand ses collègues n’ont que du duvet – n’est-ce pas Stephen Curry. Ils le balancent donc rapidement dans le cinq majeur – piquant dès la pré-saison la place de Tyrus Thomas (70 matchs sur 82 en tant que titulaire) – où ses qualités athlétiques et son énergie lui permettent de finir dans le premier cinq des rookies. Mais les Bulls voient plus grand – ou plus gros en tout cas – et attirent dans leur enclos un sacré bœuf en la personne de Carlos Boozer. Bon ok, ce n’est ni Chris Bosh, ni LeBron James, ni Dwyane Wade qui préfèrent se payer un plan à trois en Floride et qui mettent fin aux fantasmes du front office chicagoan, mais Boozi-Boozi est un All-Star confirmé qui envoie son double-double soir après soir qui arrive sur les rives du Lac Michigan. Mais surtout sur les plates-bandes de Taj qui voit son temps de jeu diminué, tout comme ses stats (de 9 points à 49,4% et 7,5 rebonds en 26,9 minutes, il passe à 7,1 points à 46,6% et 5,7 rebonds en 21,8 minutes).

Malgré la concurrence de l’ancien du Jazz, Taj Gibson reste un élément essentiel de la rotation de Tom Thibodeau qui trouve en son ailier-fort un joueur idéal : rugueux, dynamique, bon défenseur et surtout super pro. Au lieu de s’apitoyer sur son sort, l’ancien Trojan bosse et avec les Kyle Korver, Ronny Brewer, C.J. Watson et Omer Asik, il forme la Bench Mob des Bulls qui cartonne et permet aux Taureaux de boucler deux saisons consécutives avec le meilleur bilan de la Ligue. De quoi pousser Gar Forman à lui offrir une belle prolongation de contrat avant même qu’il soit agent libre, à base de 33 millions de dollars sur 4 ans. Ok, ça parait ridicule avec le nouveau salary cap. Mais en 2012, balancer autant d’argent pour un remplaçant, ça représentait un joli paquet de blé pour un mec tournant à 7,9 points à 48,5%, 6,2 rebonds et 1,3 contre sur ses trois premières saisons, et certains considèrent le choix peu judicieux pour l’energizer chicagoan. Mais avec les départs de ses collègues du banc, les pépins physiques dans l’Illinois et l’agacement de Thibs vis-à-vis de la défense fantôme de Carlos Boozer font de nouveau gonfler son temps de jeu, même s’il n’atteint jamais la demi-heure de moyenne passée sur les parquets. Par contre, les minutes qui comptent sont pour lui dorénavant, l’ami Carlos posant ses fesses sur le banc lors du money time. Il faut dire que si le barbu bodybuildé n’a pas passé le cap de plot en défense, Taj Gibson a quant à lui développé un arsenal offensif bien plus conséquent qu’à ses débuts avec un tir à mi-distance fiable, et footwork bien au-dessus de la moyenne et un jeu poste bas à montrer dans les écoles voire à de nombreux intérieurs de la Ligue. Un arsenal développé en s’inspirant d’un autre natif de Brooklyn comme lui, Bernard King qui vivait dans le quartier d’enfance de Taj. Le tout sans faire de bruit, si ce n’est un tweet « Politics » lorsqu’il ne reçoit pas le titre de meilleur sixième homme en 2014. Il faut dire que malgré un statut de favori, il termine second derrière Jamal Crawford et à l’époque, des rumeurs disent qu’ils ont donné le trophée au Clipper pour calmer les tensions naissantes entre la franchise et Donald Sterling pour ses propos racistes. D’ailleurs c’est la seule fois qu’un vainqueur d’un trophée individuel est annoncé mais que le classement et détails des votes n’apparaît pas en même temps, mais une bonne semaine après. Malgré cela, le taf a payé pour l’ailier-fort, et alors que la “Booz Cruise” touche à sa fin dans l’Illinois, l’heure de Taj Gibson semble arrivée pour retrouver sa place de titulaire perdue depuis sa saison sophomore.

Sauf que du côté du front office, on ne l’entend pas trop de cette oreille, et pour accompagner le retour de Derrick Rose, on préfère mettre un nouveau free agent dans les pattes de Taj et Pau Gasol débarque donc pour être la force offensive intérieure dont les Bulls ont besoin pour aller chercher le titre. La suite, on la connait. La perte d’identité de l’équipe. L’éviction de Thibodeau. Une nouvelle saison en dessous des attentes sous les ordres de Fred Hoiberg. Et le ménage estival pour repartir sur des bases saines, ou du moins plus viables que celles en place. Pendant ce temps-là, Gibson est de toutes les rumeurs de transfert. Dans un secteur intérieur bouché, son contrat associé à son état d’esprit et son niveau a de la valeur. Et puis on ne le voit pas s’épanouir avec Hoiberg, lui qui représentait tellement – à l’instar d’un Joakim Noah – le style Bulls des années Thibodeau. Avec un nouveau coach qui veut jouer vite et shooter de loin, quelle est la place d’un Taj Gibson bien loin des stretch four à la mode ? Clairement, on imagine plus Nikola Mirotic brillé dans les systèmes de l’ancien d’Iowa State. Sauf que l’Espagnol est aussi régulier que l’implantation capillaire de Taj et a décidé de faire regretter la défense de Carlos Boozer. En prime, il passe par la case hosto et se plait dans son lit d’hôpital, au point d’y prolonger son séjour la saison dernière. Taj Gibson gratte donc de nouveau des minutes et passe la fin de saison dernière dans le cinq. Pour autant, il est à l’image de la franchise : décevant. Il ne fait donc guère de doute qu’il sera dans le train qui va quitter Union Station et qui emmène loin les vestiges des dernières saisons glorieuses chicagoanes. Du moins c’est ce qu’on croyait.

Octobre 2016, Taj Gibson est toujours là et la hiérarchie au poste d’ailier fort n’est pas définie au moment du camp d’entrainement. Fred Hoiberg tente les différentes combinaisons dans sa raquette lors de la pré-saison et le vétéran s’impose comme la solution la plus solide pour évoluer aux côtés de Robin Lopez. Surprenant ? Oui si on pense uniquement en terme de spacing pour laisser un peu de place à Rajon Rondo, Jimmy Butler et Dwyane Wade. Non si on regarde la solidité, l’expérience et la régularité du bonhomme. Portis est trop tendre, Mirotic est trop espagnol. Et le choix est payant. Alors qu’on annonçait les Bulls en grande difficulté, le début de saison est encourageant – malgré le retour des montagnes russes qui les a vu enchainer 3 victoires probantes puis trois défaites dont deux bien infamantes face aux Knicks à Indiana – et Taj Gibson est loin d’être étranger à cette dynamique positive. Il faut dire que le mec a – enfin – toutes les cartes en main pour cartonner. Après avoir appris et développé son jeu offensif auprès de deux mecs plutôt balèzes de ce côté du parquet, il n’a plus vraiment de concurrence sérieuse pour être l’élément moteur de la raquette des Bulls, à moins d’un réveil de Threekola qui ressemble plus à Coca Zero en ce moment. En effet, ce n’est pas Robin Lopez qui va venir lui bouffer des tickets shoots ou qui va offrir plus de garantie en défense où la mobilité de Taj n’a pas son pareil parmi les intérieurs chicagoans. Ajoutez à cela le fait que le mec se retrouve dans sa dernière année de contrat, et vous avez les ingrédients pour la meilleure saison de sa carrière. Car à 31 ans, il aura cet été la dernière opportunité de choper un gros deal pour croquer lui aussi à pleines dents dans le nouveau salary cap. A moins bien entendu qu’il préfère exporter ses talents chez un contender ou offrir une ristourne à sa franchise de toujours. Mais ces questions se poseront dans quelques mois, et pour pouvoir avoir plus d’un atout dans sa main au moment de négocier, il lui faudra poursuivre dans cette voie. Celle qui fait de lui le digne héritier d’Horace Grant, les goggles en moins. Car si les Bulls ont vu défiler de bons ailiers-forts, aucun n’a su contribuer des deux côtés du parquet comme le faisait le binoclard. Gasol et Boozer inexistants ou presque en défense, Rodman peu menaçant en attaque, et on ne parlera pas de la pénurie entre ces deux périodes. Avec 12,1 pions à 53,4% et 9,4 prises plus son activité en défense, on ne peut que penser à Monsieur Goggles dans l’Illinois (12,6 points à 53% et 8,1 rebonds lors de ses sept saisons à Chicago) qui était présent dimanche à la Madhouse on Madison pour voir l’affrontement entre ses anciennes équipes. Mais son impact dépasse ce simple cadre chiffré. En effet, son importance au sein du groupe a suivi celle sur le terrain, en grande partie suite au départ de Joakim Noah. En effet, si Dwyane Wade a remplacé Derrick Rose en tant qu’enfant chéri de la Windy City au sein de l’effectif, et même si Jimmy Butler clame toujours sa volonté d’être le boss des Bulls, le nouveau leader émotionnel des Taureaux porte le numéro 22 et hurle à chaque poster du Taj Mahal. Autant dire que part son état d’esprit et son attitude irréprochable, le spot de chouchou du United Center lui est réservée. A juste titre car ce travailleur de l’ombre a enfin la place méritée par tout le taf abattu, soir après soir, mais aussi entrainement après entrainement. La véritable figure de l’identité des Bulls, c’est lui, celui qui porte les valeurs de Chicago.

A de nombreuses reprises, Taj Gibson aurait pu gueuler sur son temps de jeu au fil des années et réclamer le poste de starter quand Boozer, Mirotic ou Gasol soulevaient des questions quant à leur apport. Mais il a toujours été respectueux des choix du coach, jamais un mot plus haut que l’autre et de plus en plus leader au fil des ans, plus vocal, pour être aujourd’hui le dernier vestige des Bulls qui avaient vu la finale de Conférence en 2011. Souvent blessé – les articulations grincent, les chevilles en particulier – il a toujours serré les dents pour tenir sa place et dépanner. Alors qu’une fois il avait tellement mal au point de le dire à Thibs, l’intransigeant lui répond : “Taj, t’es né ou ?” – “Brooklyn” – “Et ben agis de la sorte” ! Le soir il est titulaire. Un rôle qui lui va si bien.

Écrit en collaboration avec Mr_ChicagoBulls que vous pouvez retrouver également ici.


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