La demande de transfert de Kobe Bryant en 2007 : retour en détail sur un dossier brûlant, 15 ans avant la saga Kevin Durant

Le 07 juil. 2022 à 13:45 par Nicolas Meichel

Source image : YouTube

En demandant publiquement son transfert des Nets il y a de ça six jours, Kevin Durant a provoqué un véritable séisme sur la planète basket. L’un des trois meilleurs joueurs du monde, dans son prime, qui demande un trade avec encore quatre années sur son contrat, c’est une situation quasiment inédite. Néanmoins, elle n’est pas sans rappeler celle impliquant Kobe Bryant et les Lakers il y a quinze ans, quand le Black Mamba imaginait son futur loin de Los Angeles. Flashback.

28 juin 2007, Madison Square Garden de New York. Ce soir-là, une soixantaine de prospects sont sélectionnés à la Draft NBA et touchent ainsi à leur rêve ultime. Parmi eux ? Un certain Kevin Durant, phénomène sorti tout droit de l’université du Texas et sélectionné en numéro 2 par les Seattle SuperSonics. Mais en marge de l’événement, une actu continue de faire les gros titres de la Grande Ligue : l’avenir de Kobe Bryant, triple champion NBA et double meilleur scoreur en titre. Un mois auparavant, la superstar des Lakers a effectivement demandé son transfert, provoquant ainsi un tremblement de terre au sein de la NBA. Et pendant les quatre semaines qui ont suivi, le futur du Black Mamba à Los Angeles était donc plus que jamais incertain au milieu des rumeurs, déclarations, et polémiques.

30 mai 2007 – 28 juin 2007, un mois rempli de secousses à Los Angeles

  • La demande de transfert à la radio

Nous sommes à la fin du mois de mai 2007. Les Finales de Conférence battent leur plein mais les Lakers de Kobe Bryant sont déjà en vacances depuis pratiquement un mois. Pour la deuxième année consécutive, la franchise californienne est tombée contre les Phoenix Suns au premier tour des Playoffs, en cinq matchs secs. De quoi frustrer particulièrement Kobe, désireux de gagner sans son “rival” Shaquille O’Neal mais incapable jusqu’ici de remporter la moindre série depuis le départ du pivot en 2004. Cette frustration est en plus démultipliée par plusieurs facteurs. Outre le manque de résultats, Bryant estime que le management des Lakers représenté par Mitch Kupchak ne fait pas ce qu’il faut pour améliorer l’équipe sur le court terme, lui qui veut notamment voir revenir la légende Jerry West – ancien dirigeant de Los Angeles alors chez les Memphis Grizzlies – à la barre. Et surtout, le Mamba est particulièrement furax concernant une rumeur balancée par un insider de la franchise californienne laissant entendre qu’il était directement responsable du départ de Shaq trois années auparavant, alors que c’est le proprio Jerry Buss qui avait refusé d’offrir un nouveau contrat XXL à sa star vieillissante pour laisser les clés à Kobe. Du coup, lors d’un entretien radio avec le journaliste d’ESPN Stephen A. Smith le 30 mai 2007, le vase finit par déborder.

“Je voudrais être transféré, oui. C’est dur à dire, c’est dur d’arriver à une telle conclusion, mais il n’y a pas d’autre alternative. Ils veulent partir dans une nouvelle direction et reconstruire. J’aurais aimé qu’ils me disent ça avant que je prolonge avec l’équipe [en 2004, ndlr.].”

Fan des Lakers depuis tout petit, triple champion aux côtés de Shaquille O’Neal entre 2000 et 2002, Kobe Bryant ne voit alors pas d’autres scénarios que celui d’un départ. Forcément, le coup de pression est énorme pour les Lakers, qui ont déjà choisi de transférer Shaq à Miami trois années auparavant et qui se retrouvent désormais avec un franchise player hyper frustré qui imagine son avenir ailleurs que dans la Cité des Anges. Pour autant, Kobe est encore sous contrat pour minimum deux saisons supplémentaires avec Los Angeles. En 2004, en tant qu’agent libre, Bryant avait effectivement signé un nouveau deal de sept ans pour 136,4 millions de dollars, avec une option pour devenir agent libre à partir de 2009.

“Où est-ce que je voudrais jouer ? Aujourd’hui, je suis prêt à jouer sur Pluton”

– Kobe Bryant

  • La vidéo polémique

Presque immédiatement après avoir balancé cette bombe sur les ondes d’ESPN, Kobe Bryant s’entretient avec son coach Phil Jackson, qui s’imagine mal prolonger son contrat avec les Lakers – qui doit terminer en 2008 – sans son meilleur joueur sous la main. Grâce à ses talents de communiquant et à deux-trois séances de méditation, le Zen Master parvient à le raisonner un peu, la frustration de Kobe laissant un peu de place à son attachement à la mythique franchise californienne. Mais si le Mamba ne semble plus aussi affirmatif par rapport à sa volonté de quitter la Cité des Anges, son avenir reste néanmoins un gros point d’interrogation. Et au milieu du mois de juin, une vidéo polémique va raviver toutes les tensions.

En 2007, les réseaux sociaux ne sont pas ce qu’ils sont aujourd’hui mais un clip de 24 secondes va véritablement devenir viral alors que le mot “viral” n’est pas encore entré dans les mœurs à l’époque. Dans celui-ci, Kobe exprime sa frustration lors d’une interaction avec deux étudiants sur le parking d’un centre commercial. Le manager général Mitch Kupchak en prend notamment pour son grade suite à son refus de réaliser un transfert quelques mois auparavant pour récupérer le meneur All-Star Jason Kidd. Le jeune pivot des Lakers Andrew Bynum, qui n’avait rien demandé dans l’histoire, devient une victime collatérale.

“Andrew Bynum ? What the f***. C’est une blague ? Andrew Bynum ? Débarrassez-moi de son cul. On parle de Jason Kidd. Même ça ils n’ont pas voulu le faire. Et désormais on se retrouve dans cette position de m*rde.”

Ce clip, intitulé “The Kobe Video Guys” et prise par un ami des deux étudiants quelques jours avant la demande de transfert de Kobe, apparaît brièvement sur YouTube en version courte et fait rapidement la une. Le trio de jeunots est conscient qu’il est sur une petite mine d’or et compte ainsi mettre en place un site internet – thekobevideo.com – histoire de partager le clip en échange de deux dollars. Pendant ce temps, vous imaginez bien que la tension chez les Lakers a gagné en intensité. Devant ce chaos, certains journalistes de Los Angeles commencent véritablement à se retourner contre Kobe, comme par exemple le reconnu Bill Plaschke du Los Angeles Times.

“Il a critiqué le manager général, il a critiqué le propriétaire, il a critiqué d’autres joueurs, il a critiqué la ville de Los Angeles en disant qu’il ne voulait plus jouer ici. Je pense que lui et les Lakers ont atteint le point de non-retour. Hello les Lakers, transférez-le maintenant ! On a même dépassé le point de non-retour. À partir de quand sa valeur sur le parquet s’annule par la grande distraction qu’il représente en dehors ? Et même sur le terrain, les Lakers n’arrivent pas à gagner avec lui. Il ne rend pas ses coéquipiers meilleurs.”

  • Les rumeurs

Comme vous pouvez l’imaginer, quand un joueur du calibre de Kobe Bryant demande son transfert, les rumeurs ne prennent pas beaucoup de temps à arriver. Comme on vient de le faire avec Kevin Durant et les 29 packages imaginés par TrashTalk, certains Hexperts sortent également la trade machine à l’époque pour voir où le Black Mamba peut potentiellement atterrir. Parmi les principaux bruits de couloir, il y a ceux impliquant les Bulls, qui possèdent alors un noyau de jeunots ultra prometteurs avec Luol Deng et Ben Gordon (et le rookie Joakim Noah qui arrivera à la Draft 2007). Chicago – l’ancienne franchise du modèle de Kobe, Michael Jordan – faisait déjà partie des éventuelles destinations pour lui en 2004 quand il était agent libre, la famille Bryant allant même jusqu’à chercher une nouvelle maison dans la Windy City avant que Jerry Buss ne décide de transférer Shaquille O’Neal. Preuve de la crédibilité de la rumeur, Kobe lui-même conseille à ses fans dans une autre vidéo amateur d’aller “acheter un maillot des Bulls”. Problème, la franchise de Los Angeles et celle de Chicago n’arrivent pas à s’entendre sur un deal n’impliquant pas Luol Deng, Bryant activant sa clause anti-transfert pour tout trade potentiel envoyant Deng dans la Cité des Anges. Des discussions entre les Lakers et les Pistons ont également lieu durant l’été (discussions interrompues brutalement par Kobe), et les dirigeants de L.A. envoient même un coup de téléphone aux Cavaliers pour prendre la température par rapport à un échange monstrueux entre Kobe Bryant et… le jeune phénomène LeBron James.

Durant le mois de juin 2007, d’autres rumeurs apparaissent également concernant une potentielle grosse recrue à venir pour les Lakers, eux qui continuent de chercher un moyen pour convaincre Kobe de rester dans sa franchise de cœur. L’intérieur Jermaine O’Neal des Pacers fait notamment partie des noms qui circulent, mais un seul joueur semble vraiment capable de retourner la situation.

“J’ai parlé à Kobe Bryant personnellement. Il ne veut pas revenir pour porter le maillot des Los Angeles Lakers. À moins de ramener Kevin Garnett, Kobe ne changera pas d’avis. Mais Garnett ne viendra pas, alors il ne veut plus être ici.”

– Stephen A. Smith, le soir de la Draft NBA 2007

Comme Kobe, Kevin Garnett semble en fin de cycle avec sa franchise des Minnesota Timberwolves après plusieurs saisons de frustration. Et si certains veulent l’imaginer à Los Angeles, rien de sérieux ne se matérialise par rapport à l’intérieur MVP en 2004. Un mois après la demande de transfert de Kobe, il est ainsi difficile d’imaginer un scénario différent d’un départ pour le Black Mamba.

La réunification

Même si ça chauffe à Lakerland, le manager général Mitch Kupchak et le proprio Jerry Buss gardent la tête froide, eux qui ne veulent pas perdre Kobe Bryant trois ans seulement après le départ de Shaq. Certes ils évaluent le marché des transferts car c’est leur job d’envisager toutes les possibilités, mais en fin de compte ils espèrent surtout renouer le dialogue avec leur superstar afin de repartir de l’avant. Et pour cela, les dirigeants de L.A. jouent la montre en espérant que le temps arrange un minimum les choses. À l’été 2007, Kobe se change un peu les idées en rejoignant Team USA pour la première fois de sa carrière dans le cadre des FIBA Americas Championship Games. Et ça lui fait du bien. Le Mamba indique notamment au cours d’une conférence de presse lors du mois de juillet qu’il s’est excusé auprès de son GM pour la manière dont il a transmis son message de frustration. Ce n’est pas pour autant qu’il exclut la possibilité d’un transfert, mais c’est un premier pas envers une potentielle réunification entre lui et la franchise.

“J’ai dit ce que j’ai dit. Tout le monde sait qu’on doit faire quelques ajustements pour progresser. Y’a rien de choquant là-dedans, ce n’est un secret pour personne. On verra où cela nous mène.”

– Kobe Bryant

Le discours est moins agressif, et l’été se déroule finalement sans le gros transfert qui était attendu par l’ensemble de la planète NBA. Le blockbuster de l’intersaison, il se passe plutôt de l’autre côté du pays, avec Kevin Garnett qui fait ses valises pour rejoindre la franchise rivale des Lakers, à savoir les Boston Celtics. Le Black Mamba, lui, porte toujours le maillot des Lakers lors du premier match de la saison 2007-08 entre Los Angeles et Houston au Staples Center. Certains fans de L.A. n’hésitent cependant pas à le siffler lors de l’Opening Night, qui fut précédée par de nouvelles polémiques. En octobre 2007, Bryant a notamment raté plusieurs entraînements et des rumeurs laissaient entendre qu’il avait tout simplement vidé son vestiaire, frustré par des propos inattendus d’un Jerry Buss déclarant publiquement qu’il “écoutait les offres” à l’égard de sa superstar. Mais en fin de compte, la saga de l’été va assez rapidement être reléguée au second plan avec le bon début de saison des Lakers.

À nouveau accompagné de son grand copain Derek Fisher (de retour en ville à l’été 2007) et toujours sous les ordres de Phil Jackson, Kobe retrouve progressivement la pêche, les Lakers remportant pas moins de 26 de leurs 37 premiers matchs. Une première partie de saison très encourageante donc, marquée notamment par les gros progrès… d’Andrew Bynum. Et puis le 1er février 2008, c’est l’intérieur calibre All-Star Pau Gasol qui débarque dans la Cité des Anges contre Kwame Brown, Javaris Crittenton, Aaron McKie, deux choix de premier tour de draft et les droits sur Marc Gasol. La suite ? On la connaît tous. Kobe Bryant possédant désormais le lieutenant de luxe qu’il attendait, les Lakers vont reprendre les commandes de la Conférence Ouest en 2008 (année où Kobe remporte son premier MVP) et les garder jusqu’en 2010, participant à trois Finales NBA consécutives avec un magnifique back-to-back – et deux Finals MVP pour Bryant – au bout.

Et dire que tout ça aurait pu ne jamais arriver…

La demande de transfert de Kevin Durant : quelles similitudes avec celle de Kobe ?

Quinze années après la demande de transfert de Kobe Bryant, Kevin Durant vient lui-même d’annoncer publiquement sa volonté de se faire trader dans une autre équipe. Contrairement à Kobe, KD n’a pas partagé ses intentions à la radio mais est directement allé voir le proprio des Nets Joe Tsai, ce qui rend sa demande peut-être plus “officielle” par rapport à celle de Bryant à l’époque. Le contexte entourant chaque demande est forcément différent aussi, Durant faisant la sienne au terme d’une saison absolument chaotique à tout point de vue et après l’échec des négociations concernant la prolongation de contrat de son pote Kyrie Irving. Enfin, KD n’a pas le luxe de posséder une no-trade clause comme le Black Mamba en 2007, qui gardait ainsi le contrôle sur son avenir. Néanmoins, certaines similitudes sont assez évidentes. Kevin Durant demande son transfert alors qu’il est toujours l’un des meilleurs joueurs de la planète basket, provoquant un gros choc à travers la NBA. Mais dans le même temps, les Nets peuvent jouer la montre et même décider de ne pas le transférer du tout, comme ont pu le faire les Lakers il y a quinze ans. Bryant avait encore deux années de contrat avec Los Angeles, KD en possède encore quatre avec Brooklyn. La franchise new-yorkaise a donc tout le loisir d’attendre la meilleure offre possible par rapport à ses énormes attentes, si elle arrive un jour.

“Cela me rappelle la situation avec Kobe Bryant, quand il a demandé son transfert. Cela parlait d’un trade, notamment à Chicago. Les Lakers avaient annoncé le niveau de la contrepartie qu’ils attendaient, et voulaient obtenir le plus possible de la part des Bulls en échange. Mais Kobe a dit non merci, car il ne voulait pas aller à Chicago sans qu’il n’y ait de vrais joueurs déjà sur place.

Pour Kevin Durant, c’est peut-être mieux qu’il reste à Brooklyn plutôt que d’aller dans une équipe sans une autre star, ou potentiel All-Star. C’est donc bien plus compliqué que ce qu’on pourrait penser. Kevin Durant ne veut pas juste partir de Brooklyn pour partir, il veut partir pour rejoindre un candidat au titre.”

– Richard Jefferson, ancien joueur NBA devenu analyste pour ESPN

On en parlait pas plus tard qu’avant-hier, en théorie il existe un scénario où Kevin Durant finit par rester à Brooklyn comme Kobe Bryant a pu rester à Los Angeles en son temps. Alors oui, l’attachement de KD aux Nets n’a probablement rien à voir avec celui du Mamba aux Lakers, qui avaient déjà remporté un three-peat alors que le passage de Durant à Brooklyn n’a pas donné grand-chose pour l’instant. Et oui, l’ère du player empowerment est passée par là depuis, les franchises se couchant le plus souvent face aux désirs de leur star pour éviter des situations très inconfortables. James Harden, par exemple, a quitté successivement Houston et Brooklyn en l’espace d’un an. Sauf que là, on parle de Kevin Durant. On parle aussi d’une équipe des Nets qui sur le papier peut tout à fait jouer le titre au vu du talent présent dans le roster. Et comme le dit Richard Jefferson, monter un tel blockbuster trade est hyper compliqué en pratique, surtout au vu de la grosse contrepartie qu’attend la franchise de Brooklyn. Alors s’il y a bien une situation qui pourrait finir par ressembler à celle de Kobe avec les Lakers il y a quinze ans, c’est celle-là. Peut-être qu’il existe un monde où KD et toute la clique débarquent au camp d’entraînement en septembre pour ensuite démarrer la saison régulière ensemble afin de voir où ça mène. Peut-être qu’il existe un scénario où les Nets décident de laisser passer l’orage pour voir ce que donne le groupe actuel, en espérant que les victoires règlent certains différends. L’ancien joueur et aujourd’hui analyste Kendrick Perkins estime d’ailleurs que le vrai objectif de Durant à travers sa demande n’est pas de quitter Brooklyn, mais d’aider son copain Kyrie à obtenir son contrat long terme dans le but justement de continuer l’aventure ensemble aux Nets. Vous en faites ce que vous voulez, mais il y a peut-être du vrai là-dedans…

Quinze ans après Kobe Bryant, c’est Kevin Durant qui a choisi l’option radicale de demander son transfert publiquement. Mais jusqu’où iront les similitudes entre ces deux dossiers ? Est-ce que les Nets vont résister à la pression de leur superstar comme ont pu le faire les Lakers en 2007 ? Est-ce que Brooklyn va persévérer coûte que coûte avec KD pour ensuite – dans le plus beau des scénarios – gagner le titre ? L’été devrait nous apporter au moins un début de réponse.

Sources texte : New York Times, ESPN, Los Angeles Times