Ann Meyers, la pionnière qui a failli jouer en NBA : et si certaines femmes pouvaient concourir avec les hommes ?

Le 05 sept. 2018 à 17:41 par Aymeric Saint-Leger

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La National Basketball Association est pleine d’histoires époustouflantes, de légendes, d’anecdotes surprenantes. Au-delà d’être la Ligue la plus suivie au monde, elle joue aussi un rôle dans la société, dans la politique. C’est ainsi que dans les années 70, un événement sans précédent s’y est produit. Les Pacers d’Indianapolis ont fait signer un contrat, le 5 septembre 1979, à Ann Meyers. Oui, il n’y a pas d’erreur, il s’agit bien d’une femme. Une femme en NBA, comme une pionnière des spéculations et fantasmes de voir une dame rivaliser avec ses homologues masculins dans le domaine du sport.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire d’Ann Meyers, dépêchez-vous, la session rattrapage c’est par ici. Il s’agit, à ce jour, de la première et de la seule femme qui ait jamais signé un contrat en NBA. D’une hauteur de 50 000 dollars, il l’engageait pour le training camp des Pacers et de leur coach Slick Leonard. L’arrière n’a pas été draftée, contrairement à deux de ses aînées. Denise Long avait été draftée en 1969 par les Warriors, mais la Ligue avait annulé sa sélection. C’est donc Lusia Harris, choisie en 137ème position de la Draft 1977 par les New Orleans Jazz, qui a été la première femme sélectionnée en NBA. Elle a malgré tout décliné cette offre, parce qu’elle était enceinte à cette époque. Elle n’a donc jamais posé un pied sur un parquet de la Grande Ligue. Cela vous surprend, qu’une femme puisse participer à la Draft et donc au championnat NBA ? Ce n’est pourtant pas contre-indiqué, comme l’explique NBA.com sur sa FAQ.

“Qui est éligible à la Draft ?

Le groupement de joueurs inclut tous les joueurs de 19 ans ayant effectué une année après la sortie du lycée, et qui se sont officiellement déclarés candidats à la Draft NBA; tous les joueurs internationaux de 22 ans et plus, tous les joueurs âgés d’au moins 19 ans qui ont signé un contrat pour jouer avec une équipe professionnelle à l’international, et tous les joueurs nés américains qui ont joué leurs quatre années de fac, ce qui les rend éligibles.”

Il n’y a aucune mention de genre dans les conditions d’éligibilité à la Draft NBA, et de fait, il en est de même pour signer des contrats ou participer à des rencontres de la Ligue. C’est ainsi qu’à la fin des années 70, période d’ouverture aux Etats-Unis, à l’été 1979 précisément, le coach d’Indiana, Robert “Slick” Leonard, convie Ann Meyers au training camp de la franchise. En même temps, elle vient d’être championne du monde, et ne sort pas de nulle part. C’est la première lycéenne à obtenir une sélection avec Team USA en 1974. Elle joue avec l’équipe des garçons au lycée, et avait sa place dans l’équipe. Elle refuse, et va jouer trois saisons en NCAA, avec UCLA. Elle emmènera les Bruins au titre en 1978, faisant sa renommée en tant que College Player of the Year. C’est ainsi que l’été suivant, elle se retrouve dans le Hinkle Fieldhouse, au milieu d’observateurs ébahis. Talentueuse, combative, du haut de son mètre 75, elle se donne pendant les trois premiers jours du camp d’entraînement, et évite le premier cut où six joueurs sont évincés. Elle continue à bosser, mais le couperet finit par tomber. Slick Leonard la coupe, comme “tout autre joueur”, puisque c’est ainsi qu’elle s’était fait accepter par les autres prétendants au roster des Rednecks. Le coach ira même jusqu’à dire qu’elle était bien meilleure qu’un paquet de candidats. Alors, pourquoi ne pas l’avoir conservée ? Le talent était là, indéniable, en relate sa médaille d’argent olympique en 1976. Malheureusement, c’est le physique qui pêche. 60 kilos au milieu d’athlètes dépassant parfois le quintal, c’était juste. Malgré tout, son don pour le jeu était reconnu par les plus grands, comme Bill Russell. Et Julius Erving rend également un bel hommage à Ann Meyers.

“Elle a toujours été une joueuse intelligente. Elle est toujours restée au top de la compétition en termes de préparation. C’est pourquoi c’est une grande responsable exécutive aujourd’hui.”

En effet, après sa carrière sur les parquets, elle est restée aux alentours de ces derniers, en tant qu’analyste, ou en tant que vice-présidente des Suns. Encore aujourd’hui, elle travaille en tant que general manager du Mercury de Phoenix, qui s’est fait éliminer en demi-finale de la WNBA par le Storm de Seattle, cher à Isaiah Thomas. La finale, qui les opposera aux Mystics de Washington, débutera ce vendredi. Ann Meyers est une grande dame de notre sport, et nul doute qu’elle a inspiré de nombreux et de nombreuses pratiquants de la balle orange qui joueront le titre dès ce week-end. Au vu de son aventure avec les Pacers il y a quasiment quarante ans, on aurait pu fantasmer sur l’arrivée de plusieurs femmes en NBA, pour aller encore plus loin, franchir une étape supplémentaire et disputer une rencontre. En 2009, David Stern, l’ancien commissionnaire de la Grande Ligue, pensait en tout cas que cela pourrait arriver dans la prochaine décennie. C’est ce qu’il déclarait dans une interview pour Sports Illustrated.

“Je pense que nous devrions le faire. Je ne veux pas entrer dans des discussions avec les joueurs et les coachs à propos de la probabilité que ça arrive. Mais je pense vraiment que c’est une bonne possibilité.”

Celle qui s’est le plus rapproché du but, c’est Nancy Liebermann. La coach de Power, l’équipe vainqueur de la BIG3 League, qui est aussi assistant coach chez les Kings depuis 2015, a disputé des matchs de Summer League avec les Lakers et le Jazz à l’époque où elle était de l’autre côté du parquet. Les difficultés, elle les a ressenti assez vite. L’adaptation à un monde masculin, se faire accepter et faire vraiment partie de l’équipe, c’est compliqué. Le fait de ne pas dormir dans la même chambre, de ne pas être dans les mêmes vestiaires, ça ne facilite pas le processus. Mais en plus de cela, il y a une barrière d’ordre physique. Malgré son mètre 78, elle n’a pu disputer de rencontre officielle en NBA. Dès lors, on réfléchit à qui. Qui pourrait disputer un match au milieu des hommes ? Certaines se sont frottées à des NBAers à l’adolescence. C’est le cas de Chamique Holdsclaw, l’ancienne joueuse des San Antonio Silver Stars (devenues les Las Vegas Aces depuis). L’ancienne ailière s’entraînait face à Ron Artest, et surtout face à Lamar Odom sur les playgrounds new-yorkais. Elle décrit bien l’impact physique qui est différent, qui fait que le basket féminin et masculin sont par essence différents.

“Lamar et moi jouions en un-contre-un après les cours au lycée chaque jour. Puis est arrivé ce point où j’ai eu 16 ans, où il est devenu plus costaud et j’ai dû arrêter de jouer contre lui. Il me faisait exploser et me rentrait dans la poitrine, et je me disais ‘Ça fait mal.'”

L’impact physique, la taille, voilà ce qui peut empêcher une femme d’aller jouer en NBA. C’est aussi le point de vue de celle qui est considérée par certains comme la GOAT de la WNBA, Diana Taurasi, qui s’exprime en son nom et celui de sa collègue de Team USA, Sue Bird qui disputera la finale avec Seattle dès le début de ce week-end.

“Si vous pouvez me mettre dans une machine qui me ferait faire 1m95 et aussi costaud que les hommes, je pourrais jouer en NBA. Lorsqu’on parle d’à quel point ils sont supérieurs physiquement… Je ne peux rien y faire. Sue non plus. Sur les savoirs-faire, sur la connaissance du jeu, il n’y a aucune différence entre les hommes et les femmes… Ce serait vraiment dur. Ce n’est pas gagné, c’est très peu probable.”

Très peu probable, cela apparaît évident. Cela peut parfois le devenir un peu plus lorsqu’un phénomène physique débarque, et déchaîne toutes les passions autour de ce thème. Ce freak, c’est Brittney Griner. La coéquipière de Diana Taurasi à Phoenix est dotée d’un physique hors norme. Avec ses 2m06 (!!!) pour 94 kilos, elle a été choisie par le Mercury en première position de la Draft 2013 de la WNBA. La jeune prodige de Baylor était pourtant attendue dans une autre Draft par de nombreux observateurs et fans. Le physique de la pivot est proche des standards NBA, de par sa dimension athlétique. Fait rare, elle dunke, et avec pas mal de facilités. S’il y en a une, qui par sa morphologie incroyable, aurait pu essayer d’aller se frotter aux hommes, les analystes pensaient bien que c’était elle. Cependant, ce n’est pas qu’une question de physique. Les capacités techniques de Griner sont bonnes, elle bouge bien, elle sait shooter, jouit d’une belle technique pour une joueuse de cette taille. Mais imaginez, la pression qui pourrait régner autour d’un tel événement. Être la seule femme en NBA, plus de 30 ans après Ann Meyers, dans une époque où les médias sont omniprésents et scrutent les moindres faits et gestes de chaque joueur… Cela s’annoncerait invivable. Le regard permanent du public sur soi, parce que c’est exceptionnel dans le sens premier du terme, ce doit être terrible à endurer. Oui, il y a la dimension du challenge, d’entrer dans l’histoire. Ceci dit, l’important dans le basket, ça reste le basket. Brittney Griner a donc logiquement choisi de rejoindre la WNBA, et de vivre la carrière qu’elle souhaite. Et puis, malgré ses mensurations impressionnantes, elle reste bien plus fine que les mastodontes archi-musclés de la NBA. Physiquement parlant, en termes d’endurance, ce serait probablement trop difficile, à l’échelle d’une rencontre, du fait de la violence des chocs imposés par les hommes.

Tous ces questionnements sur les meilleures joueuses de basket de l’histoire et du moment font voir plus loin, plus large. Est-ce que ce sera un jour possible, qu’une femme s’installe dans un roster NBA ? Difficile de le savoir, mais tout est possible. Est-ce qu’un tel cas de figure, où une dame va concourir avec les athlètes masculins, existe ailleurs, dans d’autres sports ? Pas vraiment. Mais certaines athlètes, dans des disciplines différentes, soulèvent des réflexions sur cette possible compétition entre sportifs sans préoccupation de genre.

Pour comparer avec le basketball, prenons un autre sport collectif, qui contient lui plus de contacts frontaux, où la dimension physique est présente, le handball. Imaginer une internationale féminine aller jouer dans une division professionnelle masculine, c’est quasiment impossible. Prenons le cas d’Eduarda Amorim, qui comme Brittney Griner, a un physique imposant (1m86 pour 84 kilos). La Brésilienne possède un gabarit qui lui permettrait de jouer, a priori, en compagnie des hommes. Il s’agit d’une des meilleurs joueuses du monde, littéralement. Elle possède une motricité impressionnante pour une fille aussi grande, et de superbes attributs techniques. Malgré tout, elle ne pourrait pas venir dans une ligue masculine. Pourquoi ? Et bien comme c’est le cas pour le basket, le handball féminin et masculin sont bien différents. Les dames sont plus axées sur le mouvement rapide du ballon, sur de la fixation, de la technicité et un jeu très collectif, alors que les hommes se basent sur le duel, le un-contre-un, la puissance, la vitesse, soit les capacités physiques. Cela demanderait une adaptation énorme pour ce qui est du style de jeu, sans parler de l’aspect purement physique, du contact, de l’endurance. On pourrait se dire qu’avec des coéquipiers autour, cela pourrait passer. Mais au handball comme au basketball, même s’il s’agit de sports collectifs, c’est un non, il est impossible de masquer cela, puisque le défenseur plus faible physiquement pourra se faire isoler et souffrir d’un déficit de gabarit. C’est sans doute encore plus difficile au handball, où l’affrontement et le contact sont plus durs, plus en face-à-face.

Pour regarder du côté des sports individuels, un exemple d’athlète féminine qui pourrait éventuellement jouer avec les hommes est souvent cité, il s’agit de Serena Williams. L’Américaine domine depuis longtemps le circuit WTA, de par sa puissance supérieure à la grande majorité de ses adversaires. La cadette de Venus sert régulièrement entre 180 et 190 km/h, avec des pointes au-dessus des 200. Autant dire qu’elle est dans la moyenne des professionnels masculins. Ainsi, à puissance équivalente, on serait tentés de se dire qu’elle pourrait challenger les meilleurs du circuit ATP. Pourtant, elle aurait du mal à accrocher une place ne serait-ce que dans les 200 premiers mondiaux. Si sa puissance est à la hauteur, sa motricité est un peu moindre, sa vitesse également. Son endurance serait mise à rude épreuve. Tenir un set face à un top 100 ? Possible. Lutter sur un match en cinq sets gagnants ? Plus complexe. De plus, l’aspect technique n’est pas forcément le même chez les filles que chez les garçons au tennis. Ce serait donc très compliqué pour Serena Williams, dotée d’une belle puissance de feu, face à un solide joueur masculin. Une saison sur le circuit ATP paraît inatteignable, même pour elle, parce qu’encore une fois, le sport chez les hommes et chez les femmes n’a pas les mêmes spécificités.

Une femme au physique hors norme, comme celui de Brittney Griner, le monde du 100 mètres en a connu une. Elle s’appelait Florence Griffith-Joyner. Assez grande (1m70) pour une sprinteuse, elle était dotée de très longues jambes, d’une amplitude de foulée incroyable, et d’une fréquence plus que correcte. Datant de 1988, son record du monde en 10 secondes 49 n’a jamais été menacé, puisque la deuxième meilleure performeuse de tous les temps, Carmelita Jeter, s’est arrêté à 10 secondes 64. Comme pour les basketteuses, qui dit archi-domination du côté des femmes dit comparaison inconsciente avec les hommes. Mais c’est incomparable. Malgré son grand talent, FGJ n’aurait pu lutter face aux meilleurs sprinteurs masculins. Carl Lewis détenait le record du monde avec 9’92, et il fallait bien courir 10 secondes 20 centièmes pour arriver en finale de grands championnats. La technique est la même, mais la gestion du 100 mètres par un homme sera différent que celle d’une femme, question de musculature, d’explosivité, d’acide lactique.

Les exemples de femmes qui archi-dominent leur discipline poussent souvent à vouloir les comparer avec leurs homologues masculins. C’est quelque chose dont on parle peu, entre tabou, fantasme et logique douteuse. Pourtant, la comparaison se fait souvent dans les esprits. Alors qu’elle n’a pas vraiment lieu d’exister, dans les disciplines où la dimension physique entre vraiment en compte. Oui, les sportifs de haut niveau ont souvent des capacités physiques plus développées que les sportives professionnelles. Ceci dit, le sport, ce n’est pas foncièrement physique. Vous pouvez prendre l’exemple de Zhang Shan, cette Chinoise devenue championne olympique de tir skeet en 1992… dans une compétition mixte. Elle avait battu sept hommes pour s’imposer à Barcelone. Les capacités de concentration, de technique, d’apprentissage, de calme et de travail, il n’y a aucune question de genre là-dedans, que ce soit en NBA, en WNBA ou ailleurs. On pourra toujours comparer la beauté du shoot de Becky Hammon et de Ray Allen. On ne pourra pas comparer les physiques de Brittney Griner et DeMarcus Cousins. L’objectif n’est pas de démontrer que les femmes sont moins fortes physiquement que les hommes. La finalité de ces questionnements est qu’il faut savoir apprécier les spécificités de chaque athlète, homme ou femme, dans chaque discipline.

La WNBA, plus axée sur le collectif, sur la technique parfaite, sur la prise de risque, sur l’aspect tactique, le pick-and-roll, est appréciable au même titre que la NBA, plus spectaculaire, physique, sur l’isolation et les qualités individuelles des joueurs. Comparer l’incomparable ne sert donc pas à savoir si une telle athlète féminine peut pratiquer son sport à haut niveau avec les hommes, non. Il vaut mieux s’épanouir dans ce que l’on fait, cultiver sa différence, la revendiquer, et mettre en avant tout ce qui rend un sport et des athlètes spécifiques, admirables, chacun à leur manière. Ann Meyers a joué avec les hommes par envie, en restant elle-même, avec sa vitesse, son shoot et son instinct de compétitrice. Libre à chacun de suivre son exemple ou de tracer son propre chemin. Homme, femme, peu importe, tant qu’il y a la passion du sport et du basket, on ne peut qu’apprécier. 

Sources texte : Indystar, ESPN, NBA.com, Sports Illustrated