Le fabuleux destin du millésime 96 – Kobe Bryant : le gros lot était en treizième position

Le 08 déc. 2016 à 20:09 par David Carroz

Kobe Bryant Draft NBA 1996
Source image : Youtube, montage @TheBigD05

On parle beaucoup de la Draft de 1984 ou de sa petite sœur de 2003 en termes élogieux, comme les meilleures que la NBA ait pu connaître. Pourtant, intercalée entre ces deux générations dorées, une autre cuvée a son mot à dire. Avec 18 titres de champion, 2 MVP des Finales, 4 MVP de saison régulière et 10 All-Stars, la classe 1996 mérite toute notre attention. Ce millésime – qui vient de voir son dernier représentant tirer sa révérence avec un feu d’artifice à 60 points – fête donc cette saison les 20 ans de son arrivée dans la Ligue. Et, force est de constater que ces gars ont non seulement brillé sur les parquets mais aussi grandement contribué à changer le visage de la NBA. Pour le meilleur ou le pire, n’est-ce pas monsieur Stern ?

Après une parenthèse internationale avec Peja Stojakovic et Steve Nash, retour au pays de l’Oncle Sam avec le joueur issu de cette cuvée qui a le plus marqué l’histoire de la NBA comme son palmarès l’atteste. Place donc au jeune retraité, Kobe Bryant.

Rookie Origins – un caractère déjà bien affirmé

Août 1978. Alors que les Bullets viennent de remporter le titre NBA, Joe « Jelly Bean » Bryant lui boucle sa troisième saison dans la Grande Ligue aux Sixers, de façon anonyme ou presque. Sans le savoir pourtant, son été va avoir un retentissement historique pour le basket américain. Non, on ne parle ni de transfert, ni de contrat ou encore moins de performance sur les parquets, mais plutôt d’une arrivée supplémentaire dans la famille Bryant, puisque sa femme donne naissance à leur troisième enfant, un certain Kobe. C’est bon, vous resituez un peu l’importance de ce qui se passe dans la Cité de l’Amour Fraternel le 23 août 78 ? Le chemin est encore long bien entendu pour que ce petit bout de chou qui vient de voir le jour devienne le « Black Mamba », et il va le mener en Italie dans le sillage de papa pour sa carrière, avant de rentrer au bercail lors de la retraite de ce dernier. Une jeunesse donc bercée entre Oncle Sam et la Botte, la langue de Shakespeare et celle de Dante, le basket et le foot qui façonnent le caractère et le style Kobe Bryant qui, malgré sa naissance à Philly, est un grand fan des Lakers et mate les matchs de la NBA que son grand-père lui envoie par courrier.

C’est certainement ainsi qu’il a pu perfectionner son jeu, lui qui opte finalement pour la balle orange, sport dans lequel il brille au lycée de Lower Merion, où sa réputation atteint un niveau national. Il faut dire qu’en quatre ans chez les Aces, il marque les esprits au point que dès sa saison junior, Duke, Michigan ou encore North Carolina lui font les yeux doux pour qu’il poursuive son éducation et sa formation chez eux. Forcément, avec 31,1 points, 10,4 rebonds, 5,2 passes, on reste difficilement en dehors des radars. Mais déjà Kobe ne songe guère à la fac. L’exemple de Kevin Garnett lui donne des idées bien plus ambitieuses. Et ce n’est pas sa dernière saison couronnée du titre de l’état avec Lower Merion qui va pourrait le faire douter. Avec une ligne de stats complètement affolante de 30,8 pions, 12 prises, 6,5 caviars, 4 interceptions et 3,8 contres qui lui permet entre autres de dépasser Wilt Chamberlain au classement des meilleurs scoreurs de Pennsylvanie du Sud Est mais aussi d’empiler déjà les récompenses (Naismith High School Player of the Year, Gatorade Men’s National Basketball Player of the Year, McDonald’s All-American, USA Today All-USA First Team…), les convoitises se multiplient, et les regards sont tournés vers lui. Cependant, une domination impressionnante chez les gamins crée des attentes, et soulève également de nombreuses questions. Alors qu’internet et les réseaux sociaux ne tournent pas encore à plein régime et que Kobe Bryant n’est rien de plus qu’un prospect, le monde se divise déjà en deux catégories à son sujet : les fan boys et les haters, ceux qui voient en lui une pépite et ceux qui crient au fake qui ne reproduira pas de telles performances au niveau supérieur. Une dualité des points de vue à son égard qui ne l’émeut pas outre mesure ou ne change pas son avis lorsqu’il déclare :

Moi, Kobe Bryant, ai décidé de sauter la fac et d’emmener mes talents vers la NBA.

Si certains joueurs avant lui – et après d’ailleurs – ont pu faire ce choix pour des raisons académiques, le jeune Bryant lui n’avait aucun problème de ce côté-là et ses scores lui auraient permis de choisir n’importe quelle fac du pays. Mais le phénomène de la banlieue de Philadelphie n’en a cure et il en est persuadé, il a déjà le niveau pour aller se frotter aux meilleurs joueurs du monde. Rien ne le fera changer d’avis pour accompagner Jermaine O’Neal dans la succession de Kevin Garnett comme lycéens ayant fait le grand saut. Sauf que le caractère et l’ego de Kobe Bryant vont encore plus s’étaler au grand jour lors de la Draft. Sélectionné en treizième position par les Charlotte Hornets, il n’en portera jamais le maillot puisqu’il sera échangé dans la foulée à Los Angeles, dans sa franchise de cœur des Lakers. Impossible pour lui d’aller moisir en Caroline du Nord, les spotlights d’Hollywood seront son quotidien.

Rookie year – une star de plus à Hollywood

S’il espérait être d’entrée l’attraction numéro 1 au pays du showtime, Kobe Bryant devra patienter. Car même si sa Draft suscite la curiosité, Los Angeles est surtout en effervescence parce que Shaquille O’Neal a débarqué en tant qu’agent libre cet été-là pour perpétrer la dynastie des pivots dominants chez les Angelinos. Autant dire qu’avant d’être la tête d’affiche des siens, « Showboat » – comme il était surnommé à l’époque – va devoir faire ses preuves, peu importe son style flashy et sa confiance absolue en lui-même. Il est là pour apprendre, encadré par Byron Scott et en relais d’Eddie Jones. Les absences et les blow-outs seront l’occasion pour lui d’en montrer un peu plus, mais les Lakers, conscients d’avoir entre leurs mains un véritable talent, ne comptent pas cramer tout de suite Kobe, malgré l’insistance de ce dernier.

‘Coach, si vous me donnez juste la balle et que vous me laissez le champ libre, je peux battre n’importe qui dans cette ligue. Coach, je peux post up n’importe qui défendant sur moi.’ Je lui répondais ‘Kobe, je sais que tu le peux, mais pour l’instant tu ne peux pas le faire avec un taux de réussite suffisamment élevé pour notre équipe, et je ne vais pas demander à Shaquille O’Neal de dégager du chemin pour que tu puisses le faire.’ Kobe n’a pas aimé. Il l’a compris, mais au fond de son cœur il ne l’a pas accepté. – Del Harris, le coach des Lakers de l’époque se rappelant de l’année rookie de Kobe Bryant

Kobe ronge donc son frein mais ne manque jamais l’occasion de se mettre en avant pour prouver au monde entier qu’il n’est pas qu’un simple gamin et qu’il a sa place parmi les meilleurs. La moindre minute sur les parquets est une opportunité qu’il saisit avec gourmandise, et parfois un peu trop d’individualisme. Mais bon, le garbage time sert aussi à ça. Le rookie game aussi, puisque sans surprise, il fait partie de la sélection de l’Ouest. En mode seul contre le reste du monde, il tente d’aller chercher la gagne pour sa Conférence mais échoue de 5 points. Une défaite qui lui coûte le trophée de MVP du match malgré ses 31 points, 8 rebonds, 3 passes et 7 balles perdues. Peu importe, il aura tout de même son moment de gloire sur le parquet de la Gund Arena de Cleveland lorsqu’il devient le plus jeune joueur à remporter le Slam Dunk Contest. Il jubile, toise les stars et bombe le torse. Oui, ce weekend festif est aussi le sien, et il compte bien revenir régulièrement à l’avenir.

Pour autant cette performance ne change pas son rôle au sein des Lakers. Il termine donc la saison régulière avec des moyennes de 7,6 points à 41,7% dont 37,5% du parking, 1,9 rebond, 1,3 passe et 0,7 interception en 15,5 minutes sur 71 rencontres, dont 6 en tant que titulaire. On notera quatre rencontres à plus de 20 pions dont 24 en 25 minutes face aux Warriors en avril. Pas encore la machine à scorer qu’il va devenir, mais les prémices sont là. Un bilan pas transcendant, cependant suffisant pour trouver sa place dans la All-Rookie Second Team. Et comme L.A boucle l’exercice avec 56 victoires pour 26 défaites, il gagne également le droit d’emmagasiner encore plus d’expérience en goûtant aux joies des Playoffs. L’apprentissage va être rude.

Le premier tour se passe bien pour Kobe Bryant et les Lakers. Enfin surtout pour la franchise, car le rookie ne voit pas des masses le terrain lors du premier tour face aux Blazers. Une minute lors du Game 1, 5 lors du Game 2, 6 lors du Game 4. Heureusement que la défaite subie lors de la troisième manche lui permet d’avoir un temps de jeu un peu plus conséquent pour envoyer ses 22 points en 27 minutes, car on sent que « Showboat » bout d’impatience sur le banc. Jusqu’au Game 3 face au Jazz en demi-finale de Conférence. Del Harris resserre sa rotation, et le jeune Bryant fait partie des heureux élus qui doivent faire tomber le Jazz d’Utah menant 2-0 dans la série. Un changement gagnant puisque Kobe apporte son écot avec 19 points lors d’une large victoire des Lakers sur leur parquet. Mais la suite sera moins glorieuse, les Mormons repartant à Salt Lake City en grattant un match en Californie pour se retrouver à un succès de la qualification. Qu’ils obtiendront avec le concours d’un Kobe Bryant sans peur, mais loin d’être sans reproche. 4/14 dont 0/6 du parking, ça pique. Dont quatre airballs lors des instants clefs du match.

Il y a une chose à laquelle je ne peux pas croire : que le rookie Kobe Bryant, a envoyé quatre airballs, mais Del Harris continue d’alimenter un rookie dans cette situation tendue. Et il n’a pas répondu. – un commentateur du Game 5 entre Jazz et Lakers.

Petit rookie deviendra grand – Hall of Fame, me voilà

Soit vous grandissez fortement comme il l’a fait ou vous vous effondrez. Il a été assez courageux pour prendre les tirs. Il a été mis dans cette position, et il n’a pas eu peur. Il voulait prendre les tirs, et je savais que ça le rendrait plus fort. – Byron Scott, coéquipier de Kobe à l’époque et pompeur de Mamba lors de sa période coach.

Il est vrai que le coup est rude pour un gamin de 18 piges qui prend autant de critiques que son coach pour cette fin de match catastrophique. Mais là où certains auraient fui leurs responsabilités, il a porté ses c*******. Et quand nombreux sont ceux qui se sont enfoncés après une telle contreperformance, lui est revenu plus fort. On pourrait écrire un livre entier afin de parler de la carrière de Kobe qui a fait suite à cette prestation, mais on en reviendrait souvent à son mental à toute épreuve pour justifier son bilan. Durant vingt saisons à écumer les parquets de la Ligue sous le maillot Pourpre et Or. 20 saisons à empiler les récompenses et glaner quelques titres à droite à gauche. 20 saisons à envoyer des cartons dans toutes les salles du pays, et même de l’autre côté de la frontière. 20 saisons à briller au sommet, même si admettons-le, les dernières saisons étaient moins belles. Mais entre cette année rookie où les fans NBA découvraient un jeune insolent et le moment où Kobe a placé son « Mamba out », il a eu tout le loisir de marquer l’histoire de la Ligue, lui qui a rejoint deux autres anciens Angelinos sur le podium des meilleurs scoreurs All-Time en NBA avec 33,643 pions (25 de moyenne), pour une troisième place derrière Kareem Abdul-Jabaar et Karl Malone (bon ok, on ne se souviendra pas du « Mailman » comme d’un mec des Lakers). Un classement où il aura finalement dépassé Michael Jordan, un modèle avec qui les comparaisons seront nombreuses, tant leur morphologie est identique, tant leur style de jeu est proche, tant Kobe a semblé copier les mouvements de son ainé. Autant s’inspirer des meilleurs dans sa volonté farouche de gagner.

Mais ce caractère lui posera aussi des problèmes que son incapacité à cohabiter sur le long terme avec Shaq aux Lakers souligne clairement. Un threepeat et une défaite en Finales plus tard, le duo explose, et Kobe Bryant passera quelques saisons moins glorieuses collectivement, en attendant de voir Pau Gasol poser son chorizo dans la Cité des Anges pour lui permettre de gratter deux nouveaux titres pour un total de cinq. Mais entre-temps, il sera devenu le boss de la franchise, envoyant carton offensif sur carton offensif, à l’image des 62 points en trois quarts-temps face aux Mavs en décembre 2005 (alors que l’intégralité du roster de Dallas était bloquée à 61) mais surtout comme les 81 pions dans la musette des Raptors le 22 janvier 2006. Des orgies individuelles mais qui ne font pas le bonheur des Angelinos qui ne brillent plus en Playoffs, ce qui n’est pas du goût d’un Kobe souhaitant en voir plus. Entre menaces, sorties médiatiques et rumeurs de mécontentement, on se dit que les jours du numéro 24 – adopté à la place du 8 au moment d’entamer l’exercice 2006-2007 – du côté d’Hollywood sont comptés. Il n’en sera donc rien et c’est en tant que Pourpre et Or qu’il prendra sa retraite en 2016. Une retraite qui aura justement peut-être paru longue à arriver pour le « Black Mamba » dont les dernières saisons sont surtout marquées du sceau des blessures et du déclin, mais toujours conformes au personnage : pleines d’abnégation, d’entêtement et d’individualisme. Certains y voient des défauts, mais il s’agissait aussi de qualités essentielles dans les succès de Kobe Bryant.

Du 8 au 24, d’Adidas à Nike, de l’Afro au Black Mamba, Kobe Bryant s’est affirmé comme l’un des meilleurs joueurs de l’histoire de la NBA, marquant son époque et la Ligue par son style et son palmarès. Top 10 Player All-Time ? Oui monsieur, on n’attend plus que son intronisation au Hall of Fame maintenant.

 

Stats en carrière :

25 points à 44,7% au tir dont 32,9% derrière l’arc, 4,7 passes décisives, 5,2 rebonds et 1,4 interception en 36,1 minutes de moyenne sur 1346 rencontres de saison régulière dont 1198 en tant que titulaire.

Un bout de palmarès :

  • Champion NBA en 2000, 2001, 2002, 2009 et 2010
  • MVP des Finales en 2009 et 2010
  • MVP de la saison régulière en 2008
  • All-Star à 18 reprises
  • MVP du All-Star Game en 2002, 2007, 2009 et 2011
  • All NBA First team à 11 reprises
  • All NBA Second team à 2 reprises
  • All NBA Third Team à 2 reprises
  • NBA All Defensive First Team à 9 reprises
  • NBA All Defensive Second Team à 3 reprises
  • Meilleur scoreur de la Ligue en 2006 et 2007
  • NBA All Rookie Second Team

Dans la même série d’articles :

Le fabuleux destin du millésime 96 – Jermaine O’Neal : bien plus qu’un coup de poing au Palace

Le fabuleux destin du millésime 96 – Steve Nash : chef d’orchestre du plus beau show des années 2000

Le fabuleux destin du millésime 96 – Peja Stojakovic : un bras pareil ne pouvait venir que des Balkans

Source image : montage par @TheBigD05 via image YouTube