Manu Ginobili s’est exprimé sur sa retraite : traduction intégrale de la colonne émouvante de Gino sur La Nacion

Le 29 août 2018 à 13:25 par Aymeric Saint-Leger

Manu Ginobili
Source image : NBA League Pass

Cela fait déjà deux jours, mais la déferlante, le tsunami que l’annonce de la retraite de Manu Ginobili a provoqué ne s’est pas estompé. L’ensemble de la planète basket sanctifie El Contusione, et se pourfend de compliments, d’éloges et de remerciements envers l’un des plus grands de ce jeu. Autant dire que la vague n’est pas encore prête de s’arrêter, avec la lettre que l’Argentin a écrit dans un média national, La Nacion. En voici la traduction intégrale.

“Je m’assieds pour écrire, comme je l’ai dit dans le tweet de l’annonce de ma retraite, avec un grand mélange de sensations. Très excité par la décision que j’ai prise et pour ce qui est à venir, mais également avec assez d’incertitudes de ne pas savoir comment m’adapter au jour le jour sans penser au prochain match. C’est la seule chose que j’ai fait pendant toute ma vie d’adulte. Depuis mes 18 ans où je suis parti à la Rioja, je n’ai pas arrêté de jouer jusqu’à il y a quelques mois. Cela va être bizarre, sans doute, mais je crois que je suis bien préparé et très, vraiment très bien accompagné pour affronter cela.

De plus, je ne peux pas dire que ce soit une décision pressée ou inattendue. J’ai 41 ans, je l’ai fait durer un peu, ce truc du basket, non ? Il y a non seulement cela, mais aussi le fait que dans ma tête, la saison passée a été à chaque moment ‘la dernière’. Je ne l’ai jamais dit publiquement parce que je ne voulais pas limiter mes options, je voulais garder la porte ouverte si jamais je changeais d’avis, ou si je ressentais que j’avais encore la force physique et mentale nécessaire pour affronter une nouvelle saison de ce style.

À la fin de la saison, comme d’habitude, j’ai laissé passer un ou deux mois pour voir comment je me sentais, et dans une réunion précédant mes vacances au Canada, j’ai dit à Pop que je me sentais plus arrêter que rempiler, mais que nous resterions en contact et qu’on en parlerait à mon retour. Pendant nos vacances, on a beaucoup discuté avec Many [Marianela, sa femme, ndlr] sur la possibilité concrète que cette fois l’heure était venue, mais on ne s’est jamais enthousiasmés ou encouragés à le confirmer ni à le croire. En effet, je voulais continuer à garder l’option ouverte, dans le cas où, au retour à San Antonio, quelque chose réveillait mon désir de continuer, et que je retournerais sur le terrain s’il m’appelait encore, mais c’est le contraire qui s’est passé. J’y suis retourné et j’ai recommencé à soulever des poids, à attraper le ballon, je regardais les plus jeunes qui s’entraînaient à s’en briser le dos pour être prêts pour la pré-saison, cependant moi, j’avais encore des douleurs qui dataient de la saison précédente. Petit à petit ça m’a aidé à me convaincre de la décision à prendre.

De toute façon je devais attendre quelques jours que Pop revienne de son voyage en Europe, parce que je voulais que ce soit lui le premier à le savoir, et qu’il soit le premier avec qui j’en discute.

Ce 27 août, c’était le bon moment de rendre ma décision publique. Vous n’imaginez pas la tension que j’avais devant mon ordinateur avant d’appuyer sur la touche “Entrée”. Je n’étais pas sûr parce que, même si j’étais convaincu de ce que j’avais à faire et que c’était la bonne décision, c’était un moment vraiment fou. J’étais convaincu et heureux du pas que je faisais. C’est difficile d’expliquer tout ce que je ressens. Immédiatement après l’envoi, j’ai ressenti un grand soulagement et j’ai pensé que j’allais pouvoir me déconnecter de cela, mais les messages ont commencé à arriver et je n’ai pu les éviter. Certains m’ont vraiment touchés. En réalité, ils nous ont touchés, parce que Many, ma femme est dans la même situation que moi. Elle aussi prend sa retraite et elle vit la même chose. J’ai vécu 21 de ces 23 ans [de carrière, NDLR] avec Many, qui a souffert avec tous ces championnats, elle a fêté, pleuré, crié, elles les a vu de loin, de près. Elle a supporté jusqu’à deux mois d’absence lorsque je partais loin pendant les championnats avec la sécletion nationale, alors que nous pouvions avoir à la place des moments de vacances en famille et mille autres choses. Elle s’est occupée de la maison pendant tous ces moments, des enfants, du fait qu’ils ne me réveillent pas avant un match important. De plus, elle est mon appui moral après les douloureuses défaites, et le partenaire de célébration, de fête de nombreuses victoires. Bref, la liste pourrait continuer pendant une paire de pages supplémentaires.

Je ne dois pas être le seul qui vit et ressent tout cela lors de la retraite, je suppose que ça doit se produire dans n’importe quel environnement de travail, mais au basket nous avons cette familiarité que nous avons atteint à San Antonio qui est très inhabituelle, très rare. Jouer avec plusieurs partenaires pendant quasiment 16 ans, avec le même entraîneur et voir en majorité les mêmes visages tous les ans, cela génère un sentiment d’appartenance très fort. Je ne veux pas continuer à nommer des gens parce que je suis sûr que je finirais par être injuste avec certains tant il y en a à citer. Je l’ai dit dans mon tweet, je suis immensément reconnaissant envers tous.

Je voulais être clair avec Pop que ce n’était pas un ‘Au revoir, je m’en vais’. Mes enfants ont déjà attaqué les cours, et tant que je suis en ville je vais être proche de l’équipe et de la franchise, même si je ne peux plus aider en obtenant une charge ou en interceptant un ballon ou quoi que ce soit d’autre, mais j’essayerai d’apporter, de contribuer en ce que je peux. J’apprécie grandement mes coéquipiers, le staff et tous les gens de l’équipe, et je veux que cela se passe le mieux possible [pour les Spurs, ndlr]. Si je peux aider d’en dehors, je le ferai avec grand plaisir.

Je peux également dire que je ne pars pas avec un quelconque désir, j’ai joué tant que j’en avais envie, certains doivent prendre leur retraite avant l’heure à cause de blessures ou d’autres soucis, mais j’ai joué jusqu’à mes 40 ans. La vérité est qu’il ne me reste plus rien à donner. En fait, je me suis donné le luxe lors de mes trois dernières années de jouer comme n’importe qui voudrait le faire aves ses amis, sans sentir le pression d’être exclusivement responsable de ce qui pourrait arriver, avec la sensation que ‘J’ai déjà donné tout ce que j’ai pu’. Je jouais parce que j’aimais le faire, pour le respect et l’affection du lieu dans lequel je me trouvais. Et je les ai remercié, par la forme que je pouvais dans mon tweet, parce que c’est beaucoup avec les gens que j’ai partagé tout au long de ce chemin. Une des meilleurs choses qu’il me reste est qu’avec tous les partenaires avec qui j’ai joué, ils sont 254, je n’ai jamais eu une altercation, il en est de même avec les entraîneurs. Je n’en ai pas eu tant que ça, c’est clair, mais avec les neuf techniciens avec qui j’ai travaillé, c’était génial, incroyable, avec de l’affection et du respect pour le travail mutuel. Mais il y a aussi de nombreux gens qui ne sont pas au premier plan et qui se cassent le dos pour que nous soyons dans de bonnes conditions pour jouer. J’insiste, ils ne font pas les gros titres, et ne sont pas si reconnus et plébiscités, mais ils sont fondamentaux pour n’importe quelle organisation.

En outre, c’est important de reconnaître que je suis devenu le joueur que je suis lorsque je suis passé par l’Europe. Plus que les succès sportifs que j’ai obtenus à Bologne ou ce qui a grandi en moi à Reggio Calabria, tout ce que j’ai eu la chance d’apprendre là-bas m’a servi pour après pouvoir être compétitif au niveau le plus élevé de la NBA.

Tout fut spécial dans ma carrière parce que ce n’est pas commun d’être pendant autant de temps dans une équipe de la même manière qu’il n’existe pas de procédés en sélection dans lesquels une poignée de joueurs partagent quasiment 20 ans ensemble, avec les Spurs et la Génération Dorée. J’ai eu la chance de faire partie de deux groupes qui ont eu une importance, une signification incroyable dans le sport, et dans les deux cas j’ai rencontré une qualité humaine sans égale. D’avoir eu cette opportunité au niveau professionnel est sans aucun doute incroyable, stupéfiant.

Je dois également dire merci aux fans parce qu’ils m’ont adopté dès le premier jour. Je comprends que j’ai été aidé par mes origines latines et mon espagnol, ce qui a aidé au lien avec les gens et ce qui m’a permis une connexion unique pendant 16 ans, avec une affection particulière et un soutien inconditionnel. Et par respect aux fans argentins, la vérité est que je n’ai pas les mots, ce que nous avons vécu, par exemple à Mar de Plata et à Rio de Janeiro, cela sera très difficile à oublier. Les émotions que j’ai vécues avec la sélection ne sont pas simples à expliquer en une paire de lignes. Et ce qui m’a profondément touché est mon dernier match aux JO de Rio 2016. Ce fut une démonstration de compassion et d’amour choquante. De plus, voir lors des dernières années le transit constant d’argentins vers San Antonio pour venir me voir jouer c’était simplement incroyable. Je sais les efforts qu’ils font pour cela, et ça me touche.

Et bon, maintenant va arriver le moment de passer plus de temps avec ma femme et avec mes enfants. De proditer du bon temps en Argentine avec ma famille et mes amis. De manger la polenta a la table de mon vieux et de faire des barbecues avec mes amis. Il est temps de passer la seconde moitié de ma vie avec beaucoup moins de responsabilités et sans exposer autant mon corps, qui est le seul et l’unique que je possède. En définitive, je vais profiter d’avoir du temps libre, disponible, parce que c’est ce que tout le monde poursuit et recherche, et maintenant, je l’ai à 41 ans. Merci à tous de m’avoir soutenu dans ce long voyage.”

De son incroyable épouse, aux fans, en passant par sa franchise, son équipe nationale, ses coéquipiers, ses coachs, les membres du staff et de l’organisation des Spurs, Manu Ginobili n’a oublié personne. Il a bien mérité de pouvoir attaquer la deuxième partie de son voyage, et de pouvoir profiter de la vie comme il l’entend. C’est un grand monsieur, et il vient encore de le prouver par des mots simples mais touchants. Chacune des personnes qui l’a côtoyé, de près ou de loin, peut se sentir visé, se retrouver dans cette lettre. Finalement, c’est ça Gino, le talent, la gratitude, et l’universalité. Buon viaje, amigo.

Source texte : La Nacion