Le basket est-il vraiment un art ? Petite réflexion autour d’une question existentielle – 2/2

Le 23 déc. 2014 à 16:00 par Nathan

Dans la première partie de notre petit dossier, on commençait à déblayer la question du rapport basket/art. Le plus facile était de partir du sentiment esthétique qu’on a devant notre sport préféré. On avait décrit ce sentiment comme une certaine perception de grâce, et du coup la comparaison avec la danse devenait évidente. Mais, évidemment, c’est trop facile pour être vrai. En creusant la question, on se rend compte qu’il a bien des aspects qu’on aime au basket, qui sont communs non seulement avec l’art, mais évidemment avec les autres sports. Certains qui éloignent le sport de l’art, d’autres au contraire qui l’en rapproche énormément.

Procédons encore en partant d’un autre sentiment qui nous fait kiffer au basket : non pas la grâce ou la légèreté dans les airs, mais au contraire la puissance. Car ce qu’on aime aussi (surtout ?) c’est la puissance brute des basketteurs, prééminente parfois sur leur subtilité. C’est un aspect de plus en évident dans le basket américain : certains gestes sont violents, ils claquent, un peu comme s’ils exprimaient une force primaire. Par exemple, j’ai toujours adoré les dunks de Taj Gibson ou de J.J Hickson. Leurs dunks sont remplis de “nasty” ; ce qui marque, c’est la force ; le mouvement qu’on force à finir après contacts, la discontinuité entre le mouvement de départ et la difficulté à le réaliser. On en conviendra, il n’y a rien de gracieux la-dedans. Non, dans ce genre d’aspect du basket, qui est prégnant en NBA (et qui est son gagne-pain) la grâce est remplacée par le spectaculaire. Il faut essayer d’analyser ce que ça veut dire que d’être un sport spectaculaire, et surtout d’en voir les conséquences quand on rapproche basket et art. Car personnellement, je n’ai jamais entendu parler de l’existence d’un art qui aurait la caractéristique d’être “spectaculaire”.

Oracular Spectacular

Qu’est-ce que le spectaculaire ? Beaucoup de choses assurément, mais au basket ça semble être au fond deux principes : la performance d’un côté, la compétition de l’autre. En effet, un geste nasty n’est possible que s’il y a une opposition – autrement dit un défenseur -, un obstacle qu’il s’agit de surmonter, ou plus proprement de dominer. Dominer un adversaire en meilleure position que soi, c’est établir une performance ; battre un record difficile, c’est également une performance. Il y a ainsi une finalité irréductible à atteindre ; le résultat est finalement le même qu’on mette le ballon dans le panier gracieusement ou non. Ici, on voit qu’au basket naturellement, comme dans tous les autres sports, c’est le résultat qui compte vraiment, à tel point qu’un geste n’est esthétique qu’accidentellement. Ou plutôt, disons que l’esthétique au basket ne vaut qu’accidentellement pour elle-même ; le plus souvent, c’est vis-à-vis d’une performance qu’un geste pourra être jugé beau. Par exemple, le fameux layup de Julius Erving face aux Lakers, le dunk des lancers-francs de Michael Jordan, son changement de main en finales NBA : ces gestes, si on les trouve beaux, c’est aussi parce qu’ils consistent en de véritables performances, des mouvement mythiques qui surmontent des obstacles (deux Lakers et l’arrière de la planche pour Erving, la distance des lancers-francs et le changement de main pour MJ) ; ainsi, même ce qu’on avait perçu comme de la grâce en soi, ne l’était au fond que dans le cadre d’une performance ; un mouvement gracieux est aussi spectaculaire. Car on ne dira jamais qu’un geste spectaculaire n’est pas intéressant, au contraire, le succès global de la NBA – et surtout de ces top 10 – en apporte la preuve.

poster dunk

Mais l’esthétique, ou le style, d’un geste spectaculaire est entièrement liée à sa finalité. Il y a bien un côté performance dans le sport, qui consiste à réaliser ou bien un geste difficile dans une situation délicate, ou bien plus généralement à dominer son adversaire. Or, il faut bien l’avouer, cet aspect qui semble essentiel dans le sport (et au basket sous certaines modalités qu’on n’a pas besoin de décrire) colle très mal avec la notion d’art. Que pourrait être un art où l’intérêt de ses “productions” serait entièrement fondu dans la performance, et où certaines d’entre elles seulement pourraient spécifiquement être dites “belles”? Dans tous les arts, il est presque impossible de citer une œuvre dans laquelle on ne peut trouver d’intérêt que dans le fait de sa performance ; certaines peuvent l’être en partie, mais jamais entièrement.

C’est justement lié au deuxième aspect : après la performance, la compétition. Cet aspect éloigne encore plus le basket de l’art. En effet le basket, comme tous les sports, est un jeu. Un jeu est un phénomène social, il a un effet ludique ; il met généralement “en jeu” plusieurs personnes, dans un but qui n’est pas artistique mais bien compétitif (dans un sens cette fois très large). Il y aurait beaucoup à dire sur l’aspect compétitif pour questionner les rapports basket-art, mais on ne retiendra que la chose la plus évidente : le jeu est un phénomène proprement collectif. Il est conçu pour être joué par plusieurs personnes et consiste essentiellement dans la définition de certaines relations entre les joueurs. Or, dans l’art classique du moins, il n’y a rien de tel que cet aspect collectif et compétitif, qui n’est possible que par le concours de plusieurs individus jouant des rôles en vue d’une finalité pragmatique. L’œuvre d’art n’est-elle pas traditionnellement le fruit d’un homme seul, d’un esprit qui produit individuellement et indépendamment son œuvre, quand bien même les conventions de son domaine sont partagées par tous ? De là cette espèce d’obstacle à faire du basket un art : ça serait bien la première fois depuis longtemps qu’un art ne serait rien d’autre qu’un jeu, dont l’esthétique serait contenue dans sa visée compétitive et performative.
Mais, le truc intéressant, c’est que l’aspect collectif du basket, bien loin de réduire la place qu’on peut donner à son esthétique, peut au contraire la dédoubler, la faire jouer sur deux niveaux distincts. En effet, de cet aspect collectif et compétitif ressortent plusieurs choses. S’il y a de l’art dans le basket, ce pourra être aussi au niveau du collectif, et non plus seulement dans les gestes individuels comme nous avions pu le supposer. Aussi et c’est le plus important, la notion de collectif produit un décalage surprenant, puisque maintenant le basket s’éloigne d’un grand nombre d’arts classiques (peinture, littérature, sculpture etc.), mais se rapproche beaucoup d’un autre : la musique.

Une question d’harmonie

gregg popovichEn effet, après avoir comparé basket et danse – ce qui semblait intuitif d’autant plus qu’historiquement le lien est établi – c’est du côté de la musique qu’il faut se tourner pour comprendre cet aspect proprement collectif de l’esthétique du basket. Car la musique est un art tel qu’un musicien seul et un orchestre peuvent la jouer. Qu’un musicien joue seul, ou qu’il soit dans un orchestre : c’est de la même “chose” qu’on parle – de la musique, bien sûr sous des modalités différentes dans les deux cas. De même, un joueur de basket peut bien jouer seul, il fera encore la même chose qu’une équipe, mais en réduction. Sous ces banalités, se cache étonnamment tout un champ de caractéristiques : car, de même qu’en musique il y a des groupes et des solistes, au basket il y a des équipes et des individus, et il y a de l’art à ces deux niveaux. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que tout le monde s’accordait à dire que les Spurs, l’année dernière, était une équipe absolument belle à voir jouer. Elle reposait sur un altruisme radical, grâce auquel le danger venait de partout ; les mécanismes collectifs étaient tellement huilés qu’on avait l’impression qu’ils se connaissaient depuis 10 ans (et ce n’est pas un hasard si c’est le cas pour certains). La beauté que nous offrait les Spurs, et que bien sûr beaucoup d’équipes nous offrent par moment, est essentiellement liée au collectif, aux relations entre les joueurs. Il y a des possibilités, dont les différentes combinaisons peuvent être dites belles, que le basket offre en tant que jeu collectif, et plus seulement en tant que sport mettant en scène un corps et des mouvements individuels. Comme dans un orchestre, une bonne équipe est marquée du sceau de l’harmonie, c’est-à-dire de l’unité entre différents individus qui jouent pour les autres quand les autres jouent pour eux. Or ici encore, quand un mouvement collectif nous parait beau, on dira que l’équipe “joue bien”, qu’elle produit un basket de qualité, efficace. L’idée de compétition et de performance est toujours en arrière-fond, et fait que, finalement, c’est n’est plus dans les individus (pris isolément ou collectivement) que se cache l’esthétique du basket, mais plutôt dans ce qu’ils effectuent ensemble : ce qu’on appelle en gros un système, c’est-à-dire une combinaison plus ou moins complexes de relations entre les joueurs. L’artiste au basket, ce ne sera plus le joueur individuel, ni même l’équipe comme telle, mais véritablement le coach qui pourra être comparé – le terme vient naturellement – à un compositeur dont les différents schémas de jeu seront ses compositions. On reviendra sur ce point pour aborder la notion de style, notion proprement esthétique qu’on retrouve dans le sport (ainsi au basket, le style d’un coach ou d’un joueur…).

En tout cas, cela suggère de creuser encore le rapport, étonnant a priori, entre basket et musique. Plus profondément, on peut les rapprocher (mais ça vaut pour tout sport) en ce que dans les deux cas, “l’œuvre d’art”, la production ne devient pas indépendante de son créateur. Je m’explique : les peintres, les écrivains, ou encore les réalisateurs, produisent des œuvres d’art qui ne leur sont pas liées substantiellement ou biologiquement. Quand on va voir un film de Quentin Tarantino, on ne va pas voir Tarantino en chair et en os ; on va voir sa création, qui a dorénavant une existence indépendante de lui. En d’autres termes : l’œuvre d’art persiste à son exécution, au processus même de création. Or, dans le sport comme dans la musique, aller voir un match ou un concert, c’est faire l’expérience de l’association originale entre l’artiste et sa création. L’expression n’est pas anodine : le musicien “joue” de la musique ; bien plus, pendant qu’il joue, il est la musique elle-même. S’il y a dissociation entre l’œuvre et l’artiste en musique, c’est seulement dans le cas évoqué plus haut, analogue avec le basket, du compositeur et de ses compositions. Mais quand elle est effectivement jouée, la composition (ou le système) n’existe que par ceux qui sont l’occasion de la dévoiler. En ce sens, on peut dire qu’à proprement parler, au basket il n’y pas vraiment d’art, il n’y a que des artistes qui font des performances, absolument uniques et individuelles, et ce même d’un point de vue collectif.

Car, si le rapport musique et basket est intéressant, il a là encore des limites. En effet, en musique la composition est essentielle. Un musicien expérimenté peut trouver de la beauté en lisant une partition, qui est le support de la composition musicale. Mais nous, basketteurs, on ne trouvera pas de la beauté à un pauvre schéma dessiné avec un feutre Bic bleu sur un tableau blanc. On va trouver de la beauté, non pas dans le système en lui-même, mais dans son exécution au sein d’une situation de match où il prend tout son sens. Et c’est là qu’intervient un sacré problème : si le basket est de l’art, où sont les œuvres, les productions artistiques qui préexistent à leurs créateurs ? Force est de faire intervenir un critère qui n’a rien d’esthétique mais qui joue un rôle aussi important que le langage musical pour la transmissions des œuvres musicales : la numérisation, la vidéo. Les œuvres des sportifs, ce pourrait bien être ces gestes mythiques, que l’histoire a consacrés ; ces moments légendaires immortalisés en vidéo et vis-à-vis desquels les joueurs sont sans cesse en train de revenir, et où ils trouvent une source inépuisable d’inspiration. Analogue à une composition, voire même maintenant à ce qu’on veut – tableau, livre, film – les gestes les plus connus sont passés au statut d’œuvre d’art, qui restent encore réelles après avoir été exécutées, grâce aux nouvelles technologies et à l’essor d’une société de communication. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire à propos des effets du progrès technologiques (vidéo, ralentis, angles de vues etc.) sur le jeu lui-même et sur son développement.

Le sport : naissance du huitième art ?

Car, quand la possibilité était ouverte de conserver les gestes des plus grands joueurs, on pouvait par la même les décortiquer, les analyser, les améliorer. On pouvait plus aisément définir des styles, essayer de les saisir dans leur complexité et de les reproduire. Car, en effet, on a tous la perception plus ou moins vague, qu’elle ait lieu au niveau professionnel ou en amateur, que chaque joueur a un style qui lui est propre ; fonction d’une combinaison infiniment compliquée de déterminations biologiques et de choix volontaires dans la manière de jouer. Le style apparait comme une notion spécifiquement esthétique : dans quelque domaine que ce soit – même les moins artistiques -, le style renvoie à la forme de quelqu’un ; à sa manière particulière d’être et de faire ce qu’il fait. Or, il faut bien le reconnaître, le style dans le sport – et peut-être encore plus dans le basket- le style des joueurs crèvent les yeux. Il n’y a rien de commun entre un Derrick Rose et un Rajon Rondo, entre un Kevin Garnett et un LaMarcus Aldridge. Peut-être bien que c’est quand on aperçoit l’originalité d’un style – qu’il soit individuel ou, comme nous le disions plus haut, collectif – qu’on saisit l’essence du basket, ce qui dépasse son statut compétitif ou performatif. Que dire d’un geste “à la Michael Jordan”, à part qu’il répète, de manière toujours différente, certains choix au sein des possibles qu’offre le basket (position du corps, gestuelle, timing etc. etc.) ; qu’il consiste à privilégier certains aspects plutôt que d’autres selon un principe unique ? La question du style est extrêmement importante pour penser le rapport du basket et du sport avec l’art, puisque c’est cela, au fond, qui les rapproche comme des phénomènes qui dépassent ceux qui les jouent. Les joueurs de basket, selon moi, ne sont qu’un réceptacle de ce sport, ils n’en sont que l’occasion – de même que le musicien est l’occasion de la musique, il ne fait que la dévoiler ou découvrir certaines combinaisons de sons. Un joueur de basket, qu’il soit professionnel ou amateur, voire néophyte, est dépassé par ce qu’il joue ; il est obligé, au sein d’un vaste champ qui l’écrase, de sélectionner, de se limiter – bref, de se créer un style – pour se constituer comme joueur de basket.

En ce sens, s’il faut reconnaitre des artistes dans le basket, on pourra les définir comme les grands stylistes, c’est-à-dire ceux qui ont créé de nouvelles manières de faire du basket. Ça peut même nous permettre de distinguer les grands joueurs des véritables légendes – ceux qui sont restés dans l’histoire pour des performances grâce à un haut degré de technicité, de ceux qui, en plus de la performance, ont dévoilé de nouvelles manières de jouer. La preuve en est que quelqu’un comme Pete Maravich (et bien d’autres) est une légende sans avoir accumulé les performances, au contraire. S’il est resté dans les mémoires, c’est grâce à son style qui a préfiguré la naissance des grands meneurs-passeurs. D’autres, comme Larry Bird ou Michael Jordan par exemple, ont réussi la prouesse d’une part de satisfaire l’exigence de performance et de compétition inhérente au jeu qu’est le sport, et d’autre part de créer un style qui leur est propre – et qui fera date – en dévoilant de nouvelles possibilités qu’on n’avait jamais ou presque aperçues auparavant. Les grands joueurs sont avant tout des grands créateurs, et en ce sens, nous autres simples mortels, si nous faisons de l’art en jouant de basket, nous ne sommes pas pour autant des artistes. Souvent, quand nous jouons au basket, nous en sommes les pantins et rarement les maîtres. Les grands joueurs, quant à eux, méritent bien le nom de “génies”. Comme on peut le dire de tous les arts, et si le sport et le basket en sont bien : au sein d’un art, il y a en réalité peu d’artistes.

Streetball 1

En tout cas, si nous ne sommes pas tous des artistes, nous avons tous le pouvoir d’esquisser, en de rares instants, l’idée que nous faisons de l’art. Et quand nous ne le faisons pas, il nous reste à affirmer, contre ceux qui prétendent le contraire, que le basket et le sport sont des arts, certes dans un sens nouveau. C’est à nous, et pas seulement à ceux qu’on admire et qu’on adore voir jouer, que revient la tâche de promouvoir, de promulguer même la réalité artistique du sport. Et ce, même si la question du rapport du sport à l’art ne trouvait jamais de réponse. Car il se peut qu’une question qui touche à l’art obtienne nécessairement une pluralité de réponses contradictoires – ainsi le fait de comparer successivement le basket à la danse et à la musique, de se placer au niveau du joueur, de l’équipe, du coach, des gestes ou des systèmes ; il se peut que la subjectivité propre à tout sentiment esthétique s’imprime jusque dans les questions qu’on lui pose, et que la contingence de l’objet artistique n’ait d’égal que la partialité des réponses qu’on voudra bien donner. Peut-être bien que, en fin de compte, pour faire consensus il faudra revenir à la malheureuse idée de la conventionnalité de l’art : est art ce qui est perçu comme tel par l’ensemble des acteurs culturels. Et alors cela voudra dire que pour nous, basketteurs, il s’agira simplement d’attendre notre tour, après les jeux vidéo sans doute ; il faudra que le basket patiente (comme tous les sports) sans doute très longtemps pour qu’on invite sur les plateaux télé des coachs ou des joueurs en les considérant comme des artistes – c’est-à-dire, si on peut tenter une définition – comme des personnes qui pensent trouver de la beauté dans un acte de création, quel qu’il soit, pourvu qu’il prenne place au sein d’un ensemble structuré de règles découpant et privilégiant, dans l’expérience et le champ des possibilités qu’offre le corps, certains aspects plutôt que d’autres, pour nous faire découvrir des nouvelles perspectives sur l’objet qu’ils manifestent. Le mystère étant que cette beauté, cet acte de création, ils les trouvent effectivement ; et surtout qu’ils nous donnent envie de les saisir à notre tour.

Il s’agira, pour le basket mais aussi pour le sport en général, qu’ils attendent leur tour avant qu’on veuille bien créer des musées, où les œuvres qu’on admirera seront des gestes ; peut-être qu’il est possible qu’un jour, on analyse ces gestes comme on pourrait analyser un ballet ou un tableau, en dehors du cadre spécialisé de la compétition sportive – c’est-à-dire en y cherchant de la beauté, et en se demandant (comme on le fait pour toute œuvre d’art), ce que ces gestes nous disent sur le monde et sur nous. Car toute œuvre d’art est un objet de connaissance, elle augmente le progrès du savoir en mettant au jour des propriétés des choses qui n’y étaient pas perceptible au premier abord ; eh bien, peut-être qu’un jour, dans nos sociétés, on analysera les grands gestes des sportifs en se demandant ce que ces œuvres d’art en réduction peuvent nous apprendre, non pas sur le monde des choses, mais sur cette chose particulière entre toutes les choses : le corps humain. Peut-être qu’un jour, le sport sera considéré comme un art, du moment qu’on cessera de faire primer l’intellect sur le corps, ou plutôt de penser qu’il n’y a que les créations de l’intellect qui soient belles et qui ménagent un accès à la connaissance du monde. Car il se pourrait bien que le corps lui-même, en tant que tel, devienne un sujet d’analyse parfaitement noble ; cadre au sein duquel de véritables artistes pourront s’affirmer comme artistes ; et de même que, pour les arts de l’esprit, certains grands artistes avaient des propriétés spécifiques d’ordre spirituel, de même on pourra sérieusement  juger des propriétés spécifiquement corporelles des grands joueurs en termes non plus d’efficacité ou de statistiques, mais en termes de beauté.

Eh oui, on peut rêver du jour où on mettra, sur un même plan les mains de Michael Jordan et celles de Picasso, qu’on prendra pour également honorables le jump-shot de Larry Bird et les techniques littéraires de Baudelaire – dispositions ou phénomènes, les uns plutôt dans l’ordre du corps, les autres plutôt dans l’ordre de l’esprit. En attendant, et pour que cela devienne possible, au sens propre comme au sens figuré : c’est à nous de jouer. 

Sources images : ESPN, création AMANN pour TrashTalk