Le basket est-il vraiment un art ? Petite réflexion autour d’une question existentielle – 1/2

Le 14 déc. 2014 à 19:52 par Nathan

L’idée marche pour à peu près tous les sports. Dans n’importe quelle discipline, chaque fan va nous sortir, pour asseoir la supériorité de son petit passe-temps, le côté artistique de son sport. Et il faut avouer que, nous autres fans de basket, on adore ressortir encore et toujours le “mais en plus, le basket c’est de l’art !”. Contre le foot, contre le rugby, ça marche à tous les coups. Mais contre l’art – je veux dire le vrai – ça marche ou pas ?

 Il y a pléthore d’articles, sur le net, où on prétend montrer que le basket est une forme d’art.  Souvent, ça commence comme ça : “vous allez me prendre pour un fou, mais j’affirme que le basket est une forme d’art”. Et les comparaisons vont bon train : on prend le basket comme une forme de jazz, ou alors on compare les grands joueurs à différents peintres etc. Parfois, les articles ne disent carrément rien : “le basket, c’est de l’art parce que c’est beau et ça nous procure des émotions”. Ah bon ? Putain je savais pas, merci beaucoup monsieur, j’ai tout compris maintenant. On voit bien qu’il y a un problème à dire que le basket est soit du côté de la musique, soit de la peinture, soit de n’importe quel art ; ce qu’on aimerait savoir, c’est précisément où peut bien être ce côté “artistique” dans le basket. On fait comme si c’était évident, mais en réalité, ça ne l’est pas du tout.

Un art, de l’art

Déjà, entendons-nous sur les termes. Celui de “basket” ne pose pas de problème, ça va aller. Par contre avec celui d’art, on est franchement emmerdé. Disons qu’il y a deux façons principales de rapprocher art et basket. D’abord, on peut concevoir le basket comme un art à part entière puisqu’il requiert, pour exister, la connaissance d’un ensemble de règles, l’acquisition d’une technicité élaborée, de l’entrainement intensif etc. Ici, le basket est dit être “un art” : celui de mettre sous certaines conditions un ballon dans un panier. Autant vous dire que cette conception est assez pauvre, et n’explique rien car dans cette perspective, on ne voit même pas ce qui, dans nos sociétés modernes (et dans le sport en particulier) n’est pas un art ! Il peut y avoir l’art du foot, l’art du tennis, l’art du marketing, l’art des talons aiguilles, l’art d’accorder un piano, l’art de manger une compote… N’importe quel domaine, pourvu qu’il rende possible une “spécialisation”, est un art en puissance (bon d’accord, manger des compotes ne pourra jamais devenir un art). On en revient ici à la définition antique de l’art : l’art, c’était de l’artisanat, et l’artiste était un artisan. Un type qui s’y connaissant un max dans son domaine, un spécialiste – ainsi, on pouvait dire qu’il y avait un art de la médecine, du forgeron etc. Cette conception nous éloigne de la spécificité du basket ; on ne voit plus ce qui, pour nous, est beau dans le basket. Et justement pour y revenir, il faut faire appel à une autre notion, indispensable : celle de Beauté.

Dominique Wilkins dunks

Si le basket n’est pas seulement “un” art, mais “de” l’art, c’est qu’il procure un certain sentiment du beau. Et là, encore une fois, on est bien emmerdé pour en dire plus. Dans cette situation, mieux vaut revenir précisément au sentiment particulier – sentiment qu’on ose qualifier d’esthétique – du beau dans le basket. Mieux vaut essayer de décrire ce sentiment quand il advient, par exemple en voyant le ralenti du dunk des lancers-francs de Michael Jordan – ou plutôt en ce qui me concerne, n’importe quel drive de Zizou  Manu Ginobili, que d’essayer de faire une théorie du beau dans le sport (ce qui, vous en conviendrez, n’a pas l’air facile). Mais alors, qu’éprouve-t-on quand on perçoit de la beauté dans un geste au basket ?

Une impression de fluidité, de facilité, de grâce. Une continuité parfaite dans les mouvements. La perception vague et fugitive d’un geste naturel, simple, et en même temps l’évidence qu’il est le fruit d’une volonté consciente d’elle-même. Le beau mouvement au basket, c’est un mouvement artificiel qui prend les allures d’un mouvement naturel. Le moyen d’expression de la nature, c’est l’instinct. Un instinct est le principe d’un mouvement parfait en son genre, créé tout entier pour accomplir son but. Le mouvement instinctif est marqué par une finalité – c’est-à-dire l’expression d’une volonté – mais d’une volonté inconsciente. Dans l’art, on retrouve cette finalité, cette fois expression d’une volonté consciente. Selon Nicolas de Staël (petite référence d’intello, c’est la classe), si la nature est “perfection inconsciente”, l’art est “imperfection consciente”. Le basket entre totalement dans cette conception. La finalité artificielle du mouvement au basket est atteinte par tout un panel de mouvements créés spécifiquement dans ce but. Quoi de plus beau que de voir la volonté d’un joueur transparaitre dans un geste difficile avec, en même temps, l’impression que ce mouvement est instinctif, naturel, qu’il n’y a pas de difficulté à le réaliser. La beauté du basket est aussi une impression d’aisance et de simplicité.

Fluidité, souplesse, rythme :  une danse dans les airs ?

Et c’est précisément cela, le sentiment de la grâce. La grâce, c’est l’impression d’une continuité parfaite dans les mouvements : aucune discontinuité, aucune rupture, et il suffit de voir un drive de Manu Ginobili ou un lay-up de Michael Jordan pour s’en convaincre. On y observe une espèce d’aisance, chaque geste, chaque appui semble préparer le suivant. Un beau geste est un, unifié, simple. Un mouvement laid, de ce point de vue, est celui où chaque geste est irrégulier, où chaque parcelle de son effectuation se suffit à elle-même, où est absente toute espèce de rythme.  C’est pourquoi on apprécie beaucoup les mouvements aériens : la perception de la grâce y est particulièrement aiguë. Légèreté, mobilité, continuité, aisance. Mais pas que dans les gestes aériens : un cross over, un enchainement dribble-shoot, chaque beau geste est perçu comme smooth. D’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, le terme de “smooth”, difficile à traduire – mélange de “lisse” et de “doux” – retranscrit bien cette impression d’aisance et de légèreté. Le smooth exprime une impression de facilité, mais cette facilité est le fruit d’un travail et d’un entrainement intense en amont : de ce point de vue, on peut en effet dire qu’au basket comme ailleurs, l’art cache l’art, la technique cache la technique. Le plus grand technicien est celui qui arrive à faire passer le plus artificiel pour le plus naturel.
La beauté d’un geste du basket vient de cette espèce de légèreté, signe de mobilité, qui lui donne un aspect quasi divin. On se dit qu’un homme, un simple homme, un être si imparfait, lourd et irrégulier, ne peut jamais atteindre cette précision dans le mouvement couplée avec la facilité, la souplesse et la légèreté du geste. Les grands joueurs, c’est précisément ce qu’ils font. Ils font passer des mouvements mécaniques pour des mouvements fluides. Et c’est sans doute pour cela qu’on a parfois l’impression que le basket (en tout cas pour nous) est un sport plus beau que d’autres : il engage, par ses règles mêmes (pas ou peu de contacts, les deux pas d’appui, le dribble), à contourner les joueurs de manière subtile, à tracer des trajectoires courbées ; il engage une sorte de rondeur, où la puissance athlétiques se couple avec une finesse technique et une douceur dans le touché.  Un beau joueur peut être un grand technicien mais un piètre athlète – mais un athlète sans technique ne fera jamais un beau joueur de basket.

Et là, insensiblement, nous voilà conduit à comparer basket et danse. Combinaison de qualités athlétiques subordonnées aux exigences techniques, la danse est toute entière fondée sur le mouvement. Ce n’est pas un hasard si certains gestes au basket trouvent leur origine dans le hip-hop ; ce n’est pas un hasard si ces deux milieux se sont compénétrés tout au long de leur développement, à tel point que quand on pense à l’un, on pense immédiatement à l’autre.

Or, quelque chose persiste : la danse est un moyen d’expression. Elle ne répond à aucune finalité à part elle-même. Elle est d’ailleurs généralement subordonnée à un discours, souvent musical. Mais alors, si le basket est l’analogue de la danse, qu’exprime-t-il ? Le problème est simple : tout art est une forme expressive, et  à proprement parler le basket n’exprime rien – comme tout sport. On peut répondre que les joueurs font du basket pour tenter d’exprimer une volonté de domination (au sens faible) ; on peut répondre que le sport est un moyen d’expression de la compétition. Mais, on y conviendra, la compétition ne fait pas partie de l’art. En tout cas, une oeuvre d’art n’existe pas entièrement pour s’affirmer meilleure ou plus belle qu’une autre (elle peut l’être en partie) : à partir du moment où elle est créée, elle existe pour elle-même, un point c’est tout. Ce n’est pas parce que le basket exprime l’idée de compétition qu’on y trouve de la beauté. La comparaison avec la danse a ses limites.

La question n’est donc toujours pas résolue. Car, si le basket est un art, où sont ses œuvres ?  Aussi, où est véritablement l’artiste ? Est-ce le joueur ? Ou bien l’équipe ? Ou encore le coach ? En disant que le basket, c’est de l’art, on prétend répondre à  ces question : eh bien, on peut d’ores et déjà vous dire que ce n’est pas évident du tout – suite et fin au prochain épisode.

Sources images : complex.com et montage.