15 806 passes en carrière : John Stockton détient-il un record tout simplement intouchable dans l’histoire ?

Le 26 mars 2018 à 16:04 par Aymeric Saint-Leger

John Stockton
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On ne présente plus John Stockton, véritable légende du jeu inventé par James Naismith. Il a traversé trois décennies différentes avec sa coupe impeccable et son air de comptable. Meneur extraordinaire, il a compilé un nombre d’assists tellement incroyable tout au long de sa carrière qu’il est le recordman all-time de cette catégorie statistique. Le restera-t-il pour toujours ? C’est la question qui se pose. Il en faudra beaucoup pour aller chercher celui qui fête aujourd’hui son anniversaire.

Il y a des records comme ceux-là, qu’on pense ne jamais voir battus. Les 100 points sur un match de Wilt. Une saison à 50 points et 25 rebonds de moyenne d’un certain Chamberlain. Prendre 55 rebonds dans un match, réalisé par celui qu’on surnomme The Stilt. Okay, dans le monde des performances intouchables, ça tourne beaucoup autour du même homme, mais on peut citer les 11 bagues de Bill Russell, ou la saison en triple-double d’Oscar… ah non, il a été égalé et n’est pas loin d’être battu, celui-ci. En revanche, nous allons parler de records sur une carrière entière. On connaît le record de Kareem Abdul-Jabbar, à 38 387 points marqués sur toute son oeuvre. Cela paraissait intouchable, mais au vu des performances d’un certain Cyborg vivant à Cleveland, sait-on jamais. Pour entrer dans le domaine de l’inatteignable (ou presque), il faut se pencher sur une autre catégorie statistique, celle du nombre de passes décisives en carrière.

Resituons le contexte. Cette catégorie est souvent réservée aux meneurs de jeu (sauf lorsqu’on s’appelle LeBron James), qui distillent des caviars à tout bout de champ tout au long de leur carrière. L’histoire en a connu, des grands passeurs, d’Oscar Robertson à Steve Nash, en passant par Mark Jackson, Jason Kidd, Magic ou Andre Miller pour ne citer qu’eux… Mais celui qui règne tout en haut de ce classement statistique, c’est John Stockton. 1m85 et 78 kilos de talent, de vision de jeu incroyable, et de doigts de fée. Le meneur du Jazz, excellent dans les années 90, a régalé tous les joueurs qui sont passés par la franchise de Salt Lake City, en les servant sur des plateaux. Stockton totalise, sur l’ensemble de sa carrière, 15 806 assists. Dans la Ligue, au total, ils ne sont que cinq à avoir dépassé la barre des 10 000 caviars : Steve Nash, Jason Kidd, Mark Jackson, Magic Johnson, et donc l’illustre point guard du Jazz. Sauf que le pépère à la tête de banquier, il est le seul à dépasser les 15 000. Cela lui donne 3 715 passes décisives (!) de plus que son dauphin au classement, un certain J-Kidd. De très nombreux joueurs corrects de NBA tueraient pour afficher de tels chiffres dans la colonne “points en carrière” de leurs statistiques. C’est dire la puissance d’un tel accomplissement. Mais revenons sur l’homme et à la fois père, pour commencer.

David Stockton est le fils de John. Ce dernier vient de débarquer dans la franchise historique de son paternel, et y a joué ses trois premières minutes, dans la victoire des Mormons contre les Warriors ce 25 mars 2018. Vous rajoutez quelques unités au compteur temps de David au Jazz, et vous tombez sur le total de minutes jouées par Stock dans l’Utah : 47 764, hors Playoffs. Cela donne environ 796 heures sur un parquet NBA, soit environ 33 jours entiers passés sur les planches de la Grande Ligue. Tranquillement. Comment un gars au physique aussi random a pu jouer autant de minutes, de manière à figurer dans le Top 10 dans le classement des minutes all-time ? Les raisons sont multiples. Le natif de Spokane, dans l’État du Washington, a participé à 1504 rencontres en NBA. Soit le troisième meilleur total de tous les temps, derrière Robert Parish et KAJ. Le Monsieur a une sacrée longévité, puisqu’il a pris part à pas moins de 19 saisons dans la Grande Ligue. De 1984 à 2003, pépère a trotté sur le terrain de 30 franchises différentes, jusqu’à ce qu’il tourne quadra et qu’il aille prendre une retraite bien méritée. À titre de comparaison, Jason Kidd a passé le même nombre d’années que Stock dans la Ligue, et Steve Nash juste une de moins. Ce qui est assez incroyable, ce qui le différencie des deux joyeux drilles ci-dessus, c’est la constance dans la longévité. John, lors de sa saison rookie, c’était déjà 5,1 caviars de moyenne par match. Lors de son dernier tour de piste, il jetait juste 7,7 dishes lors de chaque rencontre à 40 ans. Alors que Jason avait commencé fort (7,7) pour terminer plus faiblement (3,3), et que Steve avait commencé mollo (2,1) et fini convenablement (5,7), Stockton est lui resté consistant et constant tout au long de sa carrière. En dehors de sa première année, descendre en dessous des sept assists quotidiennes sur une saison ? Il ne connaît pas.

Au-delà d’une régularité sans faille, John Stockton était aussi capable de claquer des performances incroyables, et d’atteindre une constance absolument hors du commun, à des niveaux où aucun autre basketteur n’est allé. En effet, l’ancien meneur du Jazz détient sept des neufs meilleures performances au nombre de passes sur une saison régulière. À part Isiah Thomas en 84-85, et Kevin Porter en 78-79, personne n’a réussi à dépasser les 12,3 assists lors d’une saison de 82 matchs. Stockton l’a fait sept fois, et consécutivement s’il-vous-plaît. Entre 1987 et 1995, lors de son prime, le collègue de Karl Malone n’est pas descendu sous cette barre. Il a même aligné deux exercices d’affilée à plus de 14 caviars de moyenne par rencontre (14,5 en 1989-90, et 14,2 en 1990-91). Pour comparer encore une fois, Nash est monté à 11,6 passes de moyenne par match sur une saison, et Jason Kidd a réalisé pour performance maximale 10,8 assists par confrontation lors de l’exercice 98-99. Soit une performance pas si éloignée de la moyenne de caviars de Stockton en carrière, soit 10,51. On comprend alors l’écart entre le meneur du Jazz et les deux anciens des Suns. Dites-vous alors que seuls James Harden, John Wall, Chris Paul et Rajon Rondo ont dépassé la marque des 10 passes et demi par match sur les cinq dernières années (chacun à une reprise). On se rend ainsi compte de la constance qu’avait John Stockton, chaque année bien sûr, mais aussi chaque soir, pour aligner 15 806 passes tout au long de sa carrière.

Le comptable a de quoi en faire rougir plus d’un par ses performances, alors que c’est loin d’être un monstre physique. Grand compétiteur avant tout, John Stockton devait avoir une hygiène de vie invraisemblable, et une mentalité de travailleur acharné pour maintenir une telle machine jusqu’à ses quarante printemps. Les saisons à moins de sept passes, il ne les connaît donc pas, et ce au même titre que les blessures. L’Iron Man, c’est pourtant son compère ailier-fort qui est réputé comme tel. Sauf que niveau continuité et séries de match disputés sans en rater, le meneur d’Utah savait également faire. Sur ses 19 saisons dans la Ligue, l’ancien jazzman en a terminé 17 sans manquer la moindre rencontre. Un Cyborg avant l’heure ? Clairement. Il n’aura raté que quatre petits matchs en 89-90, et 18 en 97-98. Ne vous fiez pas à sa saison 98-99 à seulement 50 oppositions disputées, cet exercice, soumis à un lockout, a en fait duré… 50 matchs. L’homme qui a été dix fois All-Star s’est payé le luxe de boucler ses cinq dernières saisons dans la Ligue sans rater la moindre rencontre. Il est vrai, son corps ne paie pas de mine. Et pourtant, avec ses 77 kilos pour son mètre 85, John Stockton était solide, ne craignait pas d’encaisser des contacts, et de se frotter à plus grand et plus costaud. Mieux encore, il était réputé comme un des gars les plus durs de tout le circuit. Une sorte de super conseiller immobilier bien stock quoi, qui lâchait des statistiques de passes en double figure dès qu’il en avait la possibilité, c’est-à-dire à tout moment, sauf lors de 22 confrontations. Un nombre de matchs ratés ridiculement faible, à côté des 119 de J-Kidd, et surtout des 211 de Nash.

Il ne détient certes pas le record du plus grand nombre de passes sur un match NBA (30, réalisé par Scott Skiles en 1990), mais Stockton a réalisé les trois performances suivantes, avec 28, 27 et 26 assists dans un seul et même match. Les records, ce n’était pas forcément l’objectif de John. Il voulait gagner, et aller jusqu’au titre. Malheureusement, époque Jordan-Pippen-Rodman oblige, cela n’a jamais été le cas. Et pourtant, il était bien entouré, notamment par un homme, qui faisait sa tournée tous les soirs. On ne parle pas d’alcool ici, non, mais bien du Mailman. Il ne faut pas oublier le rôle de l’homme à la superbe moustache dans la réussite de son babtou de meneur. En effet, à part lors de la saison rookie de Stock, où Karl Malone n’était pas encore arrivé dans la Ligue, le meneur et l’ailier-fort ont réalisé l’ensemble de leur carrière dans la même équipe (oui, le passage de Karl aux Lakers n’a pas existé). Sous le maillot du Jazz, ils ont formé un des meilleurs duos all-time. Un extérieur, un intérieur. Une distillerie, une machine.

Il est quasiment impossible de savoir combien d’assists ont transité de Stockton vers Malone. Pour cela, il faudrait reprendre tous les déroulés play-by-play de tous les matchs qu’ont joué ensemble les anciens jazzmen, pour pouvoir tout compter. Avec plus de 1 400 rencontres communes, il y en aurait pour des années, et un wagon de Doliprane. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’un paquet des points du Mailman (2ème scoreur All-Time avec 36 928 unités) proviennent de Stockton. Deux métiers assez communs, un comptable et un facteur, cela ne fonctionnait pas si mal que cela ensemble. Alors, on peut dire que l’ailier-fort n’aurait jamais autant marqué sans son meneur. Ceci dit, l’inverse peut être valable : le point guard n’aurait peut-être jamais atteint de tels sommets au classement des passeurs all-time de la Ligue sans son power forward. Le pick-and-roll, le Delta Center (actuellement Vivint Smart Home Arena) en a dégusté à l’époque. Ça se trouvait les yeux fermés, Stockton avait littéralement un “radar à Malone“. Ainsi, on ne sait pas à quelle hauteur il a contribué, mais l’Iron Man de la NBA, qui n’a raté que six matchs dans sa carrière (hors L.A.) a bien évidemment aidé Stock à construire sa légende et à augmenter drastiquement son total de caviars.

Cela pourrait ainsi être critiquable. On voit déjà venir les “Karl carried John”, mais la réussite et l’histoire des plus grands meneurs de la Ligue sont souvent liés aux destins d’intérieurs incroyables. Quand on prononce le nom de Steve Nash, à qui pense-t-on directement ? Amar’e Stoudemire, bien évidemment. Même chose pour Jason Kidd, époque Nets du New Jersey, on l’associe directement à Kenyon Martin. Ces duos ont tous performé autour du pick-and-roll, de quoi amener des assists pour le meneur et du scoring pour l’intérieur. Pour mettre cela en perspective, prenons des intérieurs qui ne jouaient pas forcément énormément de pick-and-rolls : Dirk Nowitzki et Kareem Abdul-Jabbar. Jason Kidd a joué avec le Wunder Kid pendant plus de quatre saisons, et Magic Johnson pas moins de 10 saisons avec KAJ. Les deux sont des top 5 meneurs all-time de la Ligue. Coïncidences ? Peut-être, ou peut-être pas. Avoir un grand marqueur, un scoreur pur, cela aide forcément le point guard qui joue à ses côtés à aligner de plus belles statistiques, au-delà du talent pur du meneur. Et du talent, il en avait, John Stockton, pour distiller, les unes après les autres, ses 15 806 passes décisives. Un record qui ne devrait pas être battu avant longtemps, du moins pas dans les prochaines années.

Parmi les joueurs actifs, le plus proche est Chris Paul, qui totalise 8 672 caviars en carrière, soit un peu plus de la moitié du total de Stock…! CP3 a 32 ans, autant dire qu’il arrivera peut-être dans le club des 10 000, mais n’ira pas chercher l’ancien d’Utah. Derrière, tous les joueurs encore actifs au-dessus de 6 000 assists sont trentenaires, sauf Russell Westbrook. 6 034 passes pour le Brodie, à 29 ans. S’il jouait jusqu’au même âge que Stockton, soit onze saisons de plus, il lui faudrait aller chercher 9 775 passes supplémentaires pour passer devant le multiple All-Star au bilan global. Sur onze saisons, cela fait environ 889 assists à aller donner lors de chaque exercice, soit environ 10,84 caviars lors de chaque match jusqu’à la fin de sa carrière pour aller chercher le record. En sachant que sa meilleure performance sur une saison est de 10,4 passes de moyenne sur 82 matchs, on voit mal Russ West aller le titiller. John Wall pourrait être un candidat, avec ses 9,2 assists de moyenne en carrière. Mais la blessure de cette saison ne va pas l’aider à se rapprocher de la barre des 10. À 27 ans, il n’a pas encore 5 000 passes décisives en carrière. Il lui faudrait ainsi soit augmenter son total drastiquement lors de chaque saison, soit jouer jusqu’à 42 ans à ce rythme-là pour essayer de dépasser Stock. Mission… à 99% impossible.

Parmi les légendes de la NBA, on entend trop peu souvent le nom de John Stockton. Le discret et modeste ancien meneur du Jazz était pourtant un joueur incroyable, mais surtout un passeur sans égal à travers le monde et les époques. Vision du jeu, longévité physique, régularité, constance chaque saison, talent pur et entourage royal du Mailman lui ont permis d’aller chercher un record exceptionnel, et de placer la barre à une hauteur jamais imaginée, qui ne sera sans doute jamais égalée avant de très nombreuses années. Alors, quel record tombera en premier, les 100 points de Wilt ou les 15 806 passes en carrière de Stockton ? Si on devait y laisser notre main, on dirait le premier. Sans trembler.

Sources texte : basketball-reference.com