Joel Embiid, ou la fabuleuse histoire d’un jeune volleyeur de Yaoundé devenu All-star en NBA

Le 16 mars 2018 à 15:11 par Aymeric Saint-Leger

Joel Embiid
Source image : NBA League Pass

À l’occasion de l’anniversaire du joueur le plus hype de toute la Ligue depuis quelques mois, retour sur le parcours de Joel Embiid, qui est plus qu’atypique. Le talent d’une des plus grandes pépites de la NBA aurait bien pu ne jamais être dévoilé, si l’internationalisation de la Grande Ligue ne s’était pas effectuée, et si des concours de circonstances n’étaient pas survenus. Celui qu’on connaît comme The Process aurait pu être, aujourd’hui, un joueur pro de volley-ball en Europe, au lieu d’un All-Star en puissance. Story.

Fils du militaire Colonel Thomas Embiid – ancien joueur de handball reconnu – et de Christine Embiid, Joel-Hans est né le 16 mars 1994 à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Jojo a grandi là-bas, dans une enfance assez paisible, où, d’après l’aveu de son père, il n’a manqué de rien, en ayant toujours eu à manger et de quoi se vêtir. Quand vous grandissez sur place, devenir sportif professionnel représente bien plus qu’un rêve, c’est un objectif pour de nombreux jeunes Camerounais. Le football y est roi, et le volleyball le suit de près. Avec des icônes comme Roger Milla et Samuel Eto’o, les enfants et adolescents mettent naturellement le ballon au pied, et commencent à imiter leurs idoles. D’autres choisissent d’y taper dedans avec la main, pour poursuivre la voie de la sélection nationale de volley, omniprésente sur les podiums des championnats d’Afrique du sport d’Earvin Ngapeth, la star tricolore et mondiale de la discipline, originaire du pays d’Embiid. Ce dernier s’est forcément essayé aux deux sports majeurs de son pays, et a rapidement choisi le deuxième d’entre eux, correspondant plus à ses qualités intrinsèques. Il a donc joué pendant quatre ou cinq années au volleyball, et était bien performant, à tel point que son père le voyait embrasser une carrière de joueur professionnel en Europe, comme le font de nombreux compatriotes du Process.

En effet, actuellement, parmi les joueurs de l’équipe nationale du Cameroun, plusieurs jouent dans des clubs français, comme le Chaumont VB, le Nancy Volley, ou le Mende Volley Lozère. À 15 ans, avec un destin de sportif pro à la clé, que demander de mieux ? Imaginez, Joel aurait pu, avec ses 2m13, son envergure de 2m28, et sa détente sympathique, en sachant que Monsieur touche à 2m88 sans sauter, terroriser bon nombre de centraux et de pointus dans les équipes de volley. Un monstre au contre, posant des blocks immenses, en anticipation ou en réaction, pas de problème. Embiid, avec son explosivité, aurait pu envoyer des pétrons dans les 3m adverses sur des grosses fixes arrières ou des décalées, prenant de vitesse le contre adverse. Il aurait même pu jouer réceptionneur attaquant, au poste 4, si ce n’est passeur, au vu des doigts de fée qu’il possède.

Mais non.

Alors que la voie semblait toute tracée pour lui, et que son paternel l’encourageait dans ce sens, Jojo a découvert la balle orange et la NBA à l’âge de 15 ans. Il commence à découvrir les grands joueurs, et notamment Hakeem Olajuwon, la star africaine née au Nigéria, pays adjacent à celui des Lions Indomptables. Une des grandes stars de la Ligue, champion NBA à l’époque où Joel Embiid venait au monde, en 1994, qui sera ensuite le modèle du jeune Jojo. L’adolescent géant essaye alors le basket. Son père refuse tout d’abord, mettant en avant la dangerosité du basketball pour lui : une blessure à la cheville est si vite arrivée, et cela fait partie des pires maux du joueur de volley. Cependant, un de ses oncles va en parler à son père, et lui dit, “il faut juste le laisser essayer.” The Process commence le basket à l’âge de 16 ans. Merci Tonton. Pas seulement pour lui, mais pour tous les fans de la Ligue actuellement. Celui qui a ensuite eu un rôle prépondérant dans l’accélération du Process, c’est Luc Richard Mbah A Moute, le troisième Camerounais à avoir joué en NBA, le premier à avoir une longévité, et un vrai impact sur l’intérêt de ses compatriotes pour la Ligue. Comme c’est la coutume pour de nombreux joueurs africains, à l’image de Bismack Biyombo ou Serge Ibaka dans leur Congo respectif, chaque été, des camps sont organisés pour les jeunes joueurs. À l’intersaison, LRMAM organise un de ces camps dans son Cameroun natal. Jojo n’a que six mois de basket dans les jambes lors de l’été 2011, et ne voulait pas aller au camp du joueur des Bucks à l’époque, parce qu’il pensait tout simplement ne pas être assez bon. Son coach lui dit d’y aller, il s’exécute alors. De son propre aveu, Joel affirme n’avait pas été vraiment bon, mais il a tapé dans l’œil de Mbah A Moute. C’est sûr qu’un tall guy de 7-foot, ça se remarque. Cependant, ce n’est pas forcément pour sa taille que l’ailier l’a remarqué. Il croit tellement en ce potentiel qu’il va voir le patriarche de la famille Embiid, pour lui proposer une offre folle : trouver un établissement scolaire à son fils pour qu’il puisse aller jouer au basket aux Etats-Unis, en Floride :

“Cela ne faisait que six mois qu’il jouait au basket. Mais les moves qu’il faisait [lors du camp, ndlr] étaient des moves de gars qui ont des années de basket derrière eux. […] Je sais que cela avait l’air fou. Mais son père était un très bon joueur de handball. Il a compris.”

Proposition acceptée. Ça y est, le Process est bien lancé. Mais l’avancement se fait à pas de souris. Jojo part aux USA. Il est encore loin du niveau qu’on lui connaît aujourd’hui, il débarque donc dans le lycée de Montverde Academy, où il retrouve des joueurs tels que Dakari Johnson, ou encore un tout jeune D’Angelo Russell. Embiid débarque en Floride, dans le programme où est passé son aîné et compatriote, aujourd’hui à Houston, alors qu’il n’est pas formé, basketballistiquement parlant. Surtout, The Process est seul, ne discute avec personne puisqu’il ne sait pas encore vraiment parler anglais, il ne sait concrètement pas quoi faire. Et puis, cerise sur le gâteau, cela ne s’arrange pas sur le terrain : “Je n’arrivais pas à attraper un ballon“, disait-il dans un clip de présentation pour HFT Sports.

Il est l’objet des railleries de tous ses coéquipiers, et joue en Junior Varsity (deuxième division au lycée), ou sur le banc de l’équipe première. Kevin Boyle, son coach de l’époque, conseille aux autres d’arrêter de se foutre de sa gueule, puisqu’il leur dit que ‘dans cinq ans, vous allez lui demander de vous faire un prêt, parce que ce gars vaudra 50 millions de dollars dans quelques années. Vous n’avez aucune idée à quel point ce gosse va être excellent‘. Il les avait prévenus. Les moqueries le poussent à travailler fort, mais cela ne suffit pas. Cela ne prend pas, et le joueur de Milwaukee suggère donc de transférer Jojo dans un autre lycée, pour qu’il y fasse son année senior [sa terminale, ndlr], alors que Ben Simmons arrive lui à Montverde. Mbah A Moute appelle Justin Harden, le coach de Rock School, située à Gainesville, en Floride également. L’intéressé n’a jamais vu Embiid, à part sur YouTube. Sceptique en premier lieu, il sera conquis dès les premiers jours de la saison 2012-13. Mieux, alors que coach Harden note tous ses joueurs lors de chaque match, Joel progresse au cours de la saison. L’entraîneur se rend compte qu’il est incroyable, puisqu’il est en train de devenir le meilleur joueur de son équipe :

“J’étais impressionné en voyant à quel point il était bon en arrivant. Très souple, avec de bonnes mains. Puis il a de superbes appuis. Incroyablement doué. […] Au début, ce n’était pas toujours rose. Il n’était pas dominant dans chaque match. Il avait ses hauts et ses bas, puisqu’il apprenait à jouer de plus en plus de minutes. […] [En analysant les matchs de tous les joueurs, ndlr] On s’est rendus compte que Joel était notre meilleur joueur, et qu’on avait besoin de l’utiliser plus. Beaucoup plus.”

Jojo commence à faire du bruit, à tel point que le coach et l’assistant de la fac de Kansas viennent le voir s’entraîner dans son année senior au lycée. La conversation entre les deux hommes est brève, mais pleine de sens :

“À quoi tu penses ?” demande l’assistant, Norm Roberts.

“Tu te fiches de moi ? Ce gars sera premier choix de la Draft dans deux ans !” rétorque Bill Self, coach en chef.

Embiid part donc à l’université à Kansas, et se développe dans son année de freshman, sous les ordres de Bill Self. Il va évoluer pendant un an chez les Jayhawks, en 2013-14, aux côtés d’un des plus gros prospects du moment, Andrew Wiggins. Plutôt grosse team sur le papier. Jojo n’a alors à peine deux ans et quelques de basket dans les jambes, et il va continuer à apprendre dans une fac prestigieuse, qui a vu passer un des plus illustres Big Men que la Ligue ait jamais connu, Wilt Chamberlain. Il bosse des moves, inspirés des plus grands de l’histoire de la NBA, et bien sûr d’Hakeem Olajuwon. Le signature move du pivot de Houston, le Dream Shake, Embiid en fait son dada, et commence à le maîtriser au même titre que le hook, l’euro-step, le fade-away, le side-step, le step-back, le up-and-under, et on en passe. Il développe même son shoot à mi-distance, avant de s’attaquer aux filoches du parking, un peu plus tard. Tous ces moves, combinés au combo vitesse-explosivité-puissance du bonhomme, et malgré une expérience de la balle orange de seulement trois ans, impressionnent. Encore mieux, il commence à progresser en défense. Jojo ne connaissait pas le timing pour mettre un block sans commettre de faute il y a deux ans, maintenant il le fait bien, et se fait beaucoup moins siffler pour des punitions qui le handicapaient auparavant, lui et son temps de jeu. En 23 minutes par match avec les Jayhawks, il performe. Si on ramène ses stats sur 36 minutes, le Camerounais tourne à 18 points, 13 rebonds et quatre bâches en moyenne chaque rencontre. Le potentiel est bien là. Malheureusement, alors que la March Madness approche, Embiid se blesse au dos puis à un os du pied juste avant la fin de saison, ce qui l’éloignera des parquets pendant six mois. Malgré tout, après seulement un an de fac, deux de lycée, et un peu plus de trois de pratique du ballon orange, Joel se présente à la Draft 2014. Malgré ses blessures déjà nombreuses et son inexpérience, Jojo a le QI basket, l’attitude, et le potentiel pour aller en NBA. Son coéquipier de Kansas à l’aile sera choisi en premier lors de ce jour si particulier, par les Cavs (avant d’être envoyé chez les Wolves, coucou Kevin Love). Bill Self avait presque raison, le pivot sera lui choisi en troisième position, par les Sixers, après un an à l’université seulement. Plutôt réussi comme pari, non ? Vous connaissez la suite : blessures, silence, hype, Rihanna, restrictions, doutes, retour, débuts chez les grands, ouragan dès sa saison rookie, gros contrat, quasi quadruple-double, All-Star cette année, et le meilleur est encore à venir, alors que ce jeune homme ne rêvait pas de NBA, il ne la connaissait même pas il y a dix ans.

À un an près, Jojo pourrait jouer en pro au volley en Europe, peut-être en Ligue A, en France. Au lieu de cela, il se sert de ses qualités athlétiques incroyables, de ses skills, et de ce qui lui reste de l’époque où il pratiquait le volleyball en compétition pour poser des énormes contres irrespectueux (coucou Manu Mudiay), comme si Jean-François Exiga et son mètre 73 essayaient de mettre une petite diag à Jojo. En tout cas aujourd’hui, Embiid est en NBA et va bien y rester quelques années. Pour l’avoir fait passer du filet aux filoches, merci au papa, Thomas, à l’oncle de Jojo, au premier coach de basket qui lui a filé une cassette d’Hakeem (merci aussi à Olajuwon). Merci à Luc Richard Mbah A Moute, à Kevin Boyle, à Bill Self, aux Sixers, à la magie de la médecine pour qu’un colosse pareil reste healthy. Merci à Brett Brown, Sam Hinkie, à la famille Colangelo d’avoir pris le temps avec The Process. Merci surtout au sort de ne pas s’être acharné sur le puissant mais fragile corps de Jojo. Et enfin, merci Joel Embiid, du talent, du chemin parcouru, et de chaque nuit NBA où sa grande carcasse se démène sur les planches et électrise les foules, par sa polyvalence, son sourire, et son trashtalking. Et dire qu’on aurait pu louper tout ça…

Source texte : Wall Street Journal, Youtube/HFT Sports , Sircharlesincharge, neoindependance