La très belle lettre de Jeremy Lin sur l’appropriation culturelle : un “asiatique” qui fait des dreads, et alors ?

Le 04 oct. 2017 à 08:40 par Bastien Fontanieu

Jeremy Lin
Source image : The Players' Tribune

Les curieux qui ont suivi la rentrée des Nets ont peut-être aperçu un Jeremy Lin nouveau. Au niveau de son look, surtout, puisque le meneur a opté pour des dreads : un détail à la base, mais qui tient en fait une signification importante pour Lin.

Depuis son passage par les Hornets, Jeremy a décidé de se faire plaisir d’un point de vue capillaire. Fréquemment, le garçon innove et n’hésite pas à tenter des folies, quitte à se faire pointer du doigt par certains. Mais comme il l’explique dans cette longue lettre disponible sur The Players’ Tribune et qu’on vous conseille de lire en intégralité, la pression de l’époque Linsanity avait failli enterrer sa carrière, le dragster étant visé de partout après son coup de chaud chez les Knicks. Escroc, profiteur, Jeremy prenait assez cher, sans même parler des insultes sur ses origines asiatiques (Américain d’origine taïwanaise). Et le problème, c’est qu’au lieu de laisser ces jugements de côté, le joueur prenait ces remarques et critiques au premier degré, l’empêchant d’être un athlète heureux, ou tout simplement bien dans ses pompes. Après l’épisode à Charlotte donc, Lin a décidé de faire comme Passi et de laisser parler les gens, donnant naissance à un nouvel homme qui balaye les critiques comme ses cheveux au quotidien. D’où ses différentes coiffures, créant les plus vives réactions. Mais en arrivant au camp d’entraînement des Nets ces derniers jours, le meneur a provoqué des remarques assez inédites et différentes venant de ses observateurs. Sur ses anciennes coupes, les plus fréquentes réponses étaient de l’ordre du goût personnel : c’est cheum ou j’aime bien, sans plus. Sauf que pour les dreads ? La question d’appropriation culturelle est rentrée en jeu. Un sujet dont Lin a voulu parler en long et en large, quelques extraits étant traduits ci-dessous.

Je vais être honnête : au tout début, je ne voyais pas le rapport entre mes coupes de cheveux et la notion d’appropriation culturelle. Quand j’étais plus jeune, j’ai probablement dû choisir une ou deux coiffures qui étaient populaires chez mes potes ou dans ma famille. Mais en étant d’origine asiatique, je sais deux ou trois choses sur l’appropriation culturelle. Je sais ce que cela fait, de sentir que les gens ne comprennent pas ma culture. Je sais à quel point cela m’énerve, de voir Hollywood reléguer les Asiatiques dans des second-rôles symboliques, ou pire, quand on prend des histoires venant d’Asie et qu’on les raconte sans Asiatiques. J’ai ressenti cette douleur, quand des gens nous réduisent à des stéréotypes autour de Bruce Lee ou des pâtes aux crevettes. C’est facile de réduire ces choses là à de simples “blagues”. Mais au bout du compte, ça fait beaucoup. Et l’effet final peut vous faire ressentir que vous êtes moins important que d’autres personnes, que votre voix importe moins que celle des autres. Donc évidemment, je ne souhaite pas faire ressentir tout cela à une autre culture. Mais je n’avais jamais réalisé à quel point quelque chose d’aussi personnel que mes cheveux, en tant que basketteur d’origine asiatique en NBA, pouvait affecter autant de personnes.

Il est assez facile de prendre des choses qui nous plaisent, venant d’une autre culture. C’est un des aspects les plus chouettes, quand on vit dans une société multiethnique comme la notre. Mais je crois que nous devons faire attention, afin que “prendre” ces choses ne devienne pas tout ce que l’on fait. Avec toutes les divisions, les embrouilles politiques et les violences insensées qui prennent place actuellement, on doit parler tous ensemble plus que jamais auparavant.

Encore une fois, je n’ai peut-être pas totalement compris toute l’idée en décidant d’avoir des dreads. Mais j’espère que c’est un début, et non une fin, pour développer plus de dialogues concernant nos différences. Nous avons besoin de plus d’empathie, plus de compassion et moins de jugement. Ce qui demande du travail et de la communication. Commençons donc, dès maintenant.

L’initiative est donc bien plus qu’une question de style, Rondae Hollis-Jefferson prenant part à celle-ci afin de soutenir son coéquipier et créer un vrai lien en dehors des terrains. Ce que Lin tente de faire est plus qu’honorable, c’est une mission brûlante quand on voit le contexte dans lequel les Etats-Unis vivent en ce moment. Voir un Américain, d’origine asiatique, porter des dreads ? Cela peut sembler insignifiant à première vue, sauf que cela représente un mélange culturel que le pays de l’Oncle Sam a du mal à digérer en ce moment. Et comme Jeremy le souligne à juste titre, il serait peut-être temps pour les habitants de son pays d’ouvrir ces discussions multiculturelles, afin de ne plus en faire des sujets tabous. Qu’on se marre sur les stéréotypes des blancs qui ne savent pas danser, des renois qui meurent en premier dans un film ou des noich qui se spécialisent dans l’informatique. Mais qu’on ose aussi défier ces mêmes stéréotypes en en parlant, et en mélangeant les rôles ainsi que les préjugés cimentés dans nos sociétés. Afin qu’un blanc puisse mourir en premier dans un film, qu’un renoi se spécialise dans l’informatique, et qu’un noich sache très bien danser. Le tout, sans se vexer, car là est bien la ligne soulignée par Jeremy dans sa lettre. Si une simple coupe de cheveux peut provoquer des réactions aussi vives, qu’est-ce que cela peut bien dire du chemin qu’il reste à parcourir pour obtenir une société plus harmonieuse et ouverte vers autrui ?

Se foutre de la gueule de Lin parce qu’il a encore osé une coiffure insolite, on continuera à le faire, sans aucun doute. Mais la prochaine fois qu’on le verra en présenter une nouvelle, peut-être sera-t-il intéressant de se demander en quoi avons-nous eu cette première réaction, histoire de revoir nos méthodes de jugement. Merci, Jeremy.  

Source : The Players’ Tribune


Tags : Jeremy Lin