La lettre de Tim Duncan, pour demander de venir en aide aux victimes de l’ouragan Irma dans ses îles Vierges

Le 09 sept. 2017 à 04:52 par Bastien Fontanieu

Tim Duncan
Source image : YouTube

C’est cette nuit, sans qu’on puisse s’y attendre, que Tim Duncan a écrit une lettre pleine d’émotions. Le natif des îles Vierges a vu son petit paradis se faire balayer par l’ouragan Irma, et le légendaire ailier-fort demande de l’aide venant de tout le monde.

Tim Duncan ? Une lettre ? Publique ? Tellement inattendu que le Big Fundamental l’expliquait d’entrée, comme vous pourrez le voir ci-dessous. Peu habitué à ces grandes sorties médiatiques, le néo-retraité aurait de nature préféré agir autrement. Sauf que dans des cas exceptionnels, comme celui d’aujourd’hui, il faut parfois se retrousser les manches. Faire tout son possible pour venir en aide, notamment aux victimes de l’ouragan qui a frappé son île et les avoisinantes. Une initiative qui vient aussi d’un souvenir, traumatisant, celui de l’ouragan Hugo qui avait dévasté le coin il y a près de 30 ans. Revivant cette tragédie mais cette fois dans la peau d’un adulte, et pas n’importe lequel, Duncan a compris que chaque geste pouvait aider dès maintenant et soutenir des familles en panique. Des familles comme la sienne, en 1989, lorsque Tim, sa mère et sa soeur s’étaient cachés pour ne pas périr sous la colère de l’ouragan Hugo. C’est donc une longue lettre que TD a souhaité écrire, et la voici ci-dessous.

Hey, c’est Tim.

Normalement je ne suis pas du genre à parler directement dans les médias, ou à écrire des choses publiquement. Du coup, je suis un peu hors de ma zone de confort, là. Je n’utilise pas Twitter. Je n’utilise pas Facebook. Les interviews sont ok, je suppose, mais je préfère quand elles sont de type courtes.

Mais me voici, à vous parler, à vous demander une faveur. Je promets que je ne demanderais pas si cela n’était pas aussi important. La communauté du basket m’a déjà tellement donné au fil des années. Mais maintenant j’ai besoin de votre attention pendant quelques minutes.

Pendant que je suis en train d’écrire ceci, les îles Vierges – où je suis né et ai grandi – ont été salement touchées par l’ouragan Irma. Les gens sur place, dont nombreux d’entre eux sont des amis de longue date, sont en train de souffrir. Les projections météorologiques indiquent qu’une autre tempête de Catégorie 5, l’ouragan Jose, n’est pas très loin. Personne ne sait à quoi ressemblera cet endroit une fois que la pluie cessera.

Mais maintenant, chaque minute compte.

Je donne immédiatement 250 000$ – ce soir – aux actions de secours des îles Vierges liées à la tempête. Et par la suite, je promets de suivre tous vos dons jusqu’à atteindre le premier million de dollars. Et c’est là que vous intervenez : vous pouvez aller ici et faire un don. J’ai également ajouté de plus amples informations à la fin de ce papier.

Je sais que tout le monde ne peut pas donner, et c’est ok. Après tout, nombreux d’entre vous ont déjà donné de leur poche aux victimes de l’ouragan Harvey et aux feux qui ont eu lieu sur la Côte Ouest. Mais si vous êtes capables d’aider, voilà ce que je peux promette : chaque dollar donné ira directement aux actions de secours sur place. Et dès que la météo le permettra, je remplirai un avion de vivres en partance de San Antonio et en direction de St Croix, la plus grande ville des îles Vierges. Je m’occupe déjà de constituer une équipe, avec des gens sur place et des gens qui viendront en avion d’ailleurs, afin d’aider à gérer ces soutiens envers les actions de secours.

J’ai beaucoup pensé à mon ancien quartier de St Croix, où j’ai emmené mes enfants. Je leur ai montré où je jouais avant avec mes amis, quand j’avais leur âge. Et maintenant je me demande, qu’est-ce qu’il restera de tout ça après les ouragans ?

On peut prier, mais ensuite on doit agir.

Aujourd’hui, vous, moi, nous pouvons faire une différence.

Coach Popovich a toujours été un type qui préfère “dire moins et agir plus”, j’ai toujours admiré cela chez lui et j’ai essayé de le suivre comme exemple. Mais Pop sait aussi quand il est temps de parler, donc dans cette voie-là je veux prendre un moment afin de vous expliquer en quoi mon île est si spéciale, et pourquoi elle a besoin de votre soutien en urgence actuellement. Je vais même tenter d’insérer une leçon apprise grâce à Chef Boyardee, si j’y arrive.

Vous voyez, ce qui est difficile à comprendre venant de loin lorsqu’on vous demande de l’aide en secours après un désastre, c’est qu’il est dur d’imaginer comment cela va aider. Comment cela va vraiment aider. Et je ne pense pas que ce soit la faute de qui que ce soit, car c’est dur de se mettre à la place de quelqu’un qui a vécu une telle expérience, quand vous ne l’avez vécue que via un journal ou la télévision. C’est facile d’imaginer les fonds dépensés n’importe comment, ou pire, jamais dépensés sur ce qu’il aurait fallu.

Mais j’ai survécu à un ouragan auparavant. J’ai vu sa puissance de destruction. J’ai vu en quoi obtenir de l’aide, immédiate et concrète, est quelque chose de vital.

Le plus gros ouragan à avoir frappé les îles Vierges était l’ouragan Hugo. Il était de Catégorie 5, comme Irma. Nous étions en 1989, j’avais 13 ans. Je reprenais l’école, les gens parlent encore de cet ouragan aujourd’hui. Certains disent même que depuis, cette île n’est jamais vraiment redevenue normale. C’est dire à quel point elle fût dévastée. Les gens parlent du délai d’aide en secours lors des pires jours et les semaines suivantes, ce qui était surtout dû au fait que cette île est petite et très éloignée des autres grandes villes.

Hugo a frappé en pleine nuit. La première chose dont je me souviens, c’est un énorme boom sortant de notre maison à travers les fenêtres. Ma mère et ma soeur ont foncé dans ma chambre, et m’ont traîné immédiatement dans une autre salle. On a passé le reste de la nuit assis dans une petite salle de bain, nos yeux grands ouverts. Personne ne pouvait dormir. On a entendu les bruits de tous les débris. Parfois, je regardais discrètement dans le couloir pour voir mon père, qui fixait le plafond. Une des poutres avait craqué et doucement mais sûrement le craquement s’agrandissait au fil de la nuit. Je crois que mon père priait.

Notre toit ne s’effondra pas, mais d’autres eurent moins de chance. Certains sont morts et d’autres furent blessés. Ceux qui comme nous avaient survécu sont sorti pour finalement découvrir que le quartier avait été détruit. Plein de maisons n’avaient pas de toit, ou manquaient de murs. Notre voisin d’à côté avait perdu toute sa maison. Ils avaient passé la nuit dans un petit cabinet de la cuisine, avant d’emménager chez nous par la suite pendant quelques temps.

Hugo tua l’économie locale. Les gens perdirent leur business. Le prix de la nourriture explosa. Pour les six mois suivants, des parties de l’île n’avaient pas d’électricité, et l’école fût fermée pendant deux mois. On devait faire bouillir de l’eau pour la boire ou cuisiner. J’étais devenu bon dans l’art de prendre la douche avec un seau. Sans électricité, on devait imaginer de nouveaux moyens pour garder la nourriture et les boissons au frais. Je me souviens avoir attaché des bouteilles de jus d’orange et de lait pour les placer proche d’une citerne qui collectait l’eau de pluie. Une eau qui était bien plus fraîche vers là. J’apprenais à m’adapter, comme tout le monde.

Ici ou là, des gens obtenaient un générateur et les familles se le passaient afin de l’utiliser quelques heures. La priorité concernait toujours la lumière et le frigo. J’étais un enfant, donc je voulais regarder la télé et jouer aux jeux vidéos (j’avais la Nintendo originale, et Zelda venait de sortir). Mais on savait qu’on devait se focaliser sur ce dont on avait besoin, pas ce dont on avait envie.

Et en regardant en arrière, je suis halluciné de voir le calme avec lequel mes parents nous ont fait traverser tout ça. Car on a traversé tout ça. D’autres membres de la famille ont perdu leur maison ou leur boulot, mais on a été chanceux.

Maintenant que je suis plus âgé, je reconnais l’importance d’obtenir de l’aide le plus rapidement possible, et à quel point une île aussi petite peut être oubliée. Je ne peux pas laisser passer ça.

C’est pourquoi je mentionnais Chef Boyardee un peu plus haut.

Je ne me suis nourri que de ça après l’ouragan Hugo. Chef Boyardee, c’était mon gars. Un centre de distribution avait été mis en place dans notre quartier, et Chef Boyardee était le seul type de nourriture auquel on avait accès. Les sachets Tang étaient un luxe, également, s’ils en avaient dans la dernière livraison de biens. On chauffait de l’eau pour être sûr qu’elle soit propre, et ensuite on mélangeait avec de la poudre Tang.

Du coup, cette semaine j’ai beaucoup pensé à ces boîtes de conserve. Car elles étaient des cadeaux envoyés par Dieu. Elles étaient magiques pour moi. Quelqu’un les avait forcément envoyées, je ne sais pas qui ou quelle organisation, mais quelqu’un l’avait fait. Et j’en étais tellement heureux et chanceux. Pas parce que je les aimais, je ne crois pas avoir mangé de Chef Boyardee depuis, mais parce que cette nourriture était nécessaire. Elle nous a permis de survivre.

Des îles comme les nôtres ont tendance à être oubliées après des tempêtes. On est reculés, ce qui rend la livraison rapide, peu chère et adéquate de biens assez difficile. Beaucoup de monde ne voit pas les îles Vierges comme la maison de quelqu’un. C’est plutôt une île où on s’évade, je l’ai compris en vieillissant. Je me souviens des bateaux de croisières. Ils venaient sur l’île, les groupes de gens venaient découvrir les boutiques du coin. Ils traînaient sur la plage ou prenaient des bateaux plus petits pour visiter les îles avoisinantes. C’était toujours cool de voir que ces étrangers voulaient visiter ma petite île reculée. Après quelques jours, les bateaux de croisières repartaient.

Après Hugo, ces bateaux ne revinrent pas pendant longtemps.

J’écris tout ceci pour que vous puissiez venir en aide aux actions de secours, mais je vous demande aussi de ne pas oublier ces îles comme les îles Vierges, St Martin ou les autres.

Les nouvelles concernant la tempête vont peut-être se réduire dans la masse d’infos, mais il y a toujours des gens là-bas, de bonnes personnes, qui ont besoin de votre bienveillance, et qui n’oublieront jamais votre générosité.

Source : The Players’ Tribune