Shaquille O’Neal : oui, le monstre d’hier serait dominant aujourd’hui

Le 06 mars 2017 à 21:46 par Alexandre Martin

Shaquille O'Neal - Trophées
Source : YouTube / Dunkman827

Shaquille O’Neal a débarqué en NBA en 1992. Instantanément, il a obligé les coachs et les joueurs adverses à s’adapter, à imaginer des stratagèmes pour pouvoir ne serait-ce qu’espérer le ralentir un peu, car sinon c’était l’assurance d’une grosse punition. Il a envoyé 13 saisons d’affilée en double-double (les 13 premières) dont dix d’entre elles à plus de 25 points de moyenne par soir. Il a enfoncé ses adversaires au poste bas, il a cassé des paniers. Bref, il a dominé comme rarement un joueur ne l’a fait dans l’histoire NBA. Mais qu’en serait-il aujourd’hui ? Le Shaq dominerait-il autant qu’il n’a pu le faire dans les années 90 et dans la première moitié des années 2000 ? 

Si l’on écoute Kevin Durant, la réponse est évidemment non étant donné que l’ailier des Warriors s’est exprimé sur son aîné Hall of Famer récemment. Morceau choisi dans lequel KD résume, de manière très simpliste, le questionnement que l’on peut avoir à propos d’O’Neal par rapport à la NBA moderne :

Shaq était un shooteur de lancers merdique. Il loupait des dunks. Il faisait des airball aux lancers. Il ne pouvait pas tirer en dehors de la raquette. Il était plus grand que tous les autres, il n’avait aucune technique, il était juste plus grand et plus fort que tous les autres.

Avant de s’amuser à dézinguer les propos du MVP 2014, il faut reconnaître qu’il met en avant un point intéressant concernant le Shaq et sa domination. Car au-delà de sa propension à louper du lancer (52,7% seulement en carrière), il est vrai que le Diesel n’était pas vraiment dangereux en dehors de la raquette, il est vrai qu’il ne possédait pas un shoot fiable. On peut donc facilement être tenté de s’en tenir à ça et présumer du fait qu’il n’aurait pas pu se mettre à tirer à trois points comme la plupart des meilleurs pivots aujourd’hui. Il s’agit d’un argument sérieux, un argument sur lequel on peut s’appuyer pour soutenir la déclaration de KD comme quoi le Shaq n’avait aucune technique. Mais, franchement, ça s’arrête là. Car si l’on gratte un peu et que l’on va plus loin dans l’observation du monstre qu’était le Shaq, on s’aperçoit assez vite que la porte entrouverte par Durant et certains détracteurs d’O’Neal peut se refermer très rapidement, voire claquer sur leurs museaux.

Déjà, le Shaq – mesuré à 2m16 – n’était finalement pas tellement plus grand que les intérieurs qu’il a croisés. Patrick Ewing (2m13), Hakeem Olajuwon (2m13), David Robinson (2m16) et Dikembe Mutombo (2m18) notamment n’étaient pas des nabots. A l’époque, toutes les équipes ou presque avaient un pivot de 2m13 (les fameux 7-footer) ou plus et qui était accompagné d’un ailier-fort de 2m06 minimum. C’est la philosophie de jeu assez lente, basée majoritairement sur les attaques placées qui imposait cela. Bref, de la taille en NBA, il y en a toujours eu et il y en aura toujours mais les 90’s furent clairement une sorte d’apogée en termes d’utilisation des big men. Ensuite, Shaq n’était pas “plus fort que tous les autres” comme le dit KD, il était BEAUCOUP plus fort, BEAUCOUP plus puissant que toutes les bestioles qu’il a été amené à croiser dans les raquettes et, soyons clair, cela serait exactement pareil aujourd’hui. DeMarcus Cousins, Marc Gasol, Hassan Whiteside, Rudy Gobert ou DeAndre Jordan – pour ne citer qu’eux – ne pourraient rien face aux 145 kilos du gros Shaq. Ils ne pourraient pas l’empêcher de les enfoncer au poste bas, de les enrouler pour un alley-oop (la spéciale du Diesel) ou de les écraser, comme de vulgaires insectes, d’un dunk surpuissant. C’est un fait. Jamais la NBA n’a connu de force brute telle que le Shaq. Même Wilt Chamberlain – qui a tout détruit (sauf les Celtics) dans les années 60 – pesait au moins 20 kilos de moins qu’O’Neal mine de rien. Les années 90 étaient bourrées de pivots phénoménaux et Shaquille leur a tous proposé une tâche impossible en défense…

Cependant – et c’est là que KD et d’autres font une erreur – le Big Shaqtus était loin d’être seulement grand et fort. Il était aussi très agile et extrêmement mobile pour un gars de ce gabarit. On l’a vu battre des gars bien moins gros que lui en termes de vélocité et de fluidité dans les mouvements. On l’a vu faire carrément des coast-to-coast et les finir les deux mains dans le (pauvre) cercle. On l’a vu se jeter pour sauver des balles et ce, avec une dextérité et une aisance impressionnante. Si bien qu’on peut le dire sans sourciller (rien à voir avec Anthony Davis) : le Big Aristote aurait pu suivre le rythme rapide du jeu actuel en NBA. Sans souci. Nous l’aurions vu au rebond défensif puis à la conclusion de contre-attaque qui en découle. Nous l’aurions vu faire des dégâts considérables en trailer sur transition ou en sortie de pick-and-roll. Sans oublier qu’en Playoffs, quand les défenses se resserrent, que le tempo ralentit et que les ajustements tactiques rendent le jeu plus dur, moins foufou : avoir un point d’ancrage comme O’Neal peut devenir une arme létale si elle est utilisée intelligemment. Car il attirerait forcément des prises à deux (sinon il punit à plus de 58% de réussite en carrière) et il saurait lâcher la bonne passe vers un shooteur ouvert ou un gars qui coupe dans le dos de la défense.

C’est d’ailleurs dans ce sens que dire que le Shaq n’avait pas de technique est le plus faux. Il n’avait pas de technique de tir, il n’aurait certainement pas pu progresser suffisamment pour devenir une menace à distance comme les pivots actuels. Mais il savait passer donc, il avait un footwork très sérieux au poste bas et pouvait finir par de petits hooks des deux mains avec un véritable toucher. Ce n’était pas du niveau d’un maître technique comme Hakeem Olajuwon mais c’était tout de même bien plus propre que ce qu’on pourrait croire. Et puis, de toutes façons, on ne peut pas trop se focaliser sur le shoot – notamment à trois points – pour juger un extra-terrestre comme le Shaq. Le tir lointain est devenu la nouvelle arme fatale du basket moderne. Le spacing est roi et les snipers sont des stars. Mais, même aujourd’hui, “seulement” 31,5% des tirs pris le sont derrière l’arc. C’est environ deux fois plus qu’en 1999-2000, saison où O’Neal fut MVP de régulière et des Finales. Pour autant, cela laisse donc 68,5% des tirs qui sont donc pris dans des zones à deux points. Et vu que le secteur mi-distance est fortement délaissé, on se retrouve actuellement avec un peu plus de 44% des tirs qui sont pris entre 0 et 3 mètres du cercle soit la zone de confort de notre ami le Shaq…

Voilà qui montre bien que les points près du cercle restent une valeur sûre au basket. Et la raison principale est que le meilleur moyen de trouver des espaces pour les snipers est d’être dangereux dessous, que ce soit grâce à des pénétrations de la part des extérieurs ou pourquoi pas grâce à un joueur dominant au poste bas. Et si le tir primé est de plus en plus à la mode chez les big men, il reste un truc de “petit” avant tout. Un gars comme Cousins ne marque finalement que 5 à 6 points en moyenne par match sur les 27 qu’il envoie. Karl-Anthony Towns n’en est qu’à 3 ou 4 points par soir sur les 24 qu’il propose. Et le constat s’applique à quasiment tous les pivots qui shootent de loin. Pourtant ces deux gars – DMC et KAT – savent vraiment shooter mais leur zone de prédilection reste plus proche du cercle, là où ils peuvent utiliser leur puissance, leur taille et leurs moves pour marquer mais aussi pour attirer les défenses et créer des espaces pour leurs coéquipiers.

Tout ça pour dire que Shaquille O’Neal était effectivement plus grand et plus fort que ses adversaires directs, que cela lui a permis de dominer. Mais si ce physique était la base de sa domination, il n’en a pas été la seule raison et surtout, il lui aurait permis de faire tellement mal encore aujourd’hui. 23,7 points, 10,9 rebonds, 2,5 passes décisives et 2,3 contres de moyenne en plus de 1200 matchs de régulière de 1992 à 2011. Mettez- le dans les années 60 et ça aurait pu probablement être mieux encore. Mettez-le dans la NBA actuelle, imaginez-le s’attaquer à des Clint Capela, Jonas Valanciunas, Mason Plumlee, Nikola Vucevic ou autre Myles Turner et osez venir nous expliquer qu’il n’aurait pas dominé outrageusement…