Le fabuleux destin du millésime 96 – Peja Stojakovic : un bras pareil ne pouvait venir que des Balkans

Le 08 nov. 2016 à 18:30 par Alexandre Martin

Peja Stojakovic Draft 1996
Source : YouTube / Montage @TheBigD05

On parle beaucoup de la Draft de 1984 ou de sa petite soeur de 2003 en termes élogieux, comme les meilleures que la NBA ait pu connaître. Pourtant, intercalée entre ces deux générations dorées, une autre cuvée a son mot à dire. Avec 18 titres de champion, 2 MVP des Finales, 4 MVP de saison régulière et 10 All-Stars, la classe 1996 mérite toute notre attention. Ce millésime – qui vient de voir son dernier représentant tirer sa révérence avec un feu d’artifice à 60 points – fête donc cette saison les 20 ans de son arrivée dans la Ligue. Et, force est de constater que ces gars – comme Steve Nash, sujet de ces quelques lignes – ont non seulement brillé sur les parquets mais aussi grandement contribué à changer le visage de la NBA. Pour le meilleur ou le pire, n’est-ce pas monsieur Stern ?

Le mois dernier c’est Steve Nash, le Canadien, qui avait été le sujet de notre opus sur cette inimitable cuvée de 1996. Pour cet épisode de novembre, nous continuons dans les joueurs internationaux avec un magnifique sniper venu des Balkans pour grandir chez les rois de Californie avant de connaître la consécration collective à Dallas. 

Rookie Origins – une Yougoslavie en guerre, la Grèce et le PAOK Salonique en terre d’accueil

Né dans une famille serbe, Peja Stojakovic a grandi à Pozega (aujourd’hui en Croatie). Il a toujours adoré le sport. Il a pratiqué le handball et le volleyball avec ses potes pendant toute sa jeunesse mais c’est le football qui le motivait par-dessus tout. Cependant, son corps – qui sera long de 206 centimètres au final – l’obligera à se rendre à l’évidence et à comprendre, dès l’âge de 13-14 ans qu’il ne pourrait pas faire une vraie carrière sur le rectangle vert. A cette époque, les conflits de la guerre de Yougoslavie venaient de commencer et Peja et les siens ont rejoint Belgrade (capitale serbe). C’est là, à l’entrée de l’adolescence, qu’il va découvrir le basket en club avec l’Etoile Rouge et faire trembler ses premières ficelles. Une spécialité que ce bon Pedrag va développer avec passion par la suite. Puis, à peine plus de deux ans plus tard, il migrera vers le Nord de la Grèce, fuyant ainsi sa région d’origine trop gangrénée par les combats entre son peuple et ses voisins. C’est là, à Thessalonique que la carrière de basketteur de Stojakovic a connu son premier gros élan. Il passera quatre années (de 1994 à 1998) à jouer sous le maillot du fameux PAOK Salonique, club très solide de la ligue grecque et client régulier des coupes européennes.

Il joue le plus souvent ailier-fort même si son poste de prédilection deviendra plus tard celui d’ailier shooteur. Déjà, à cette époque, son talent peut être résumé en deux fabuleuses armes : compréhension du jeu très au-dessus de la moyenne et qualité de shoot hors du commun . Oui, hors du commun. Cela ne passera d’ailleurs pas inaperçu auprès des scouts NBA qui ont déjà bien pris l’habitude de scruter les meilleures compétitions du vieux continent. Merci Arvydas, merci Valde, merci Mozart. Et, en ce soir de juin 1996, Peja n’a encore que 19 ans mais son nom va être appelé en 14ème position de la Draft. Ce sera Sacramento et ses Kings pour le Serbe. Pour autant, comme beaucoup de ses prédécesseurs européens, il va prendre le temps de finir bien tranquillement son apprentissage, avec le PAOK, avant de faire le grand saut. L’occasion pour l’ami Peja de tout casser sur son passage lors de sa quatrième et dernière année. 23,9 points, 5 rebonds, 2,5 passes décisives dans le championnat grec. 20,9 points (meilleur marqueur en 1998) et 3,9 rebonds en EuroLeague. Le garçon est prêt à s’envoler pour la Californie.

Rookie year – gros lock-out et adaptation pas évidente

Stojakovic débarque à Sacramento à l’été 1998 pour une première saison qui sera bien particulière puisqu’elle sera écourtée pour cause de gros lock-out, ne comptera que 50 matchs car elle ne démarrera qu’en février 1999. Notre sniper Serbe en jouera 48 en tant que remplaçant au poste 3 derrière Corliss Williamson à raison d’une grosse vingtaine de minutes par soir. Ce statut de joueur qui sort du banc le change évidemment de celui de titulaire indiscutable qu’il avait en Europe. Et, au sein de ces Kings très ambitieux et en plein renouveau avec l’arrivée du dominant Chris Webber et du rookie à sensation Jason Williams, Peja peine à s’adapter. Il n’a que 8 tirs par match et n’en rentre qu’un peu moins de 38% dont seulement 32% de loin. Il y aura bien quelques éclairs comme ces 26 points contre Utah mais le Serbe dépassera tout juste les 8 points de moyenne sur l’exercice.

Il faut reconnaître que pour un joueur de la morpholigie de Stojakovic – assez grand pour un ailier mais ni très rapide, ni très aérien et peu puissant – l’arrivée en NBA est donc plutôt compliqué. Il tombe régulièrement sur des adversaires direct qui le dominent athlétiquement voire tout simplement physiquement. De plus, ce rôle de remplaçant, voire carrément chauffeur de banc parfois, le paralyse quelque peu. On a l’impression que, quand il est sur le terrain, il est toujours en train de regarder par-dessus son épaule si Rick Adelman a l’air satisfait ou non. Ses aptitudes au shoot ont beaucoup de mal à s’exprimer dans ce contexte et certains observateurs sont déjà en train de parler d’une erreur de casting du côté des rois de Californie. En attendant, non seulement le Serbe n’est pas du genre à abandonner mais il s’accroche. De plus, Adelman et son staff sont plutôt satisfaits de la première saison de ce jeune de 21 ans qui peut jouer assez indifféremment sur les postes 3 et 4 et qui a montré un indéniable sens du jeu faute d’avoir, pour l’instant, confirmé ses talents de sniper.

Petit rookie deviendra grand – sniper craint et admiré, All-Star, bagué juste avant de raccrocher

Pour sa saison de sophomore, Peja gagne du coup un peu de temps de jeu et ses stats augmentent sensiblement, surtout ses pourcentages au tir qui reviennent dans des eaux plus conformes à son statut de tireur d’élite venant des Balkans. Puis, pour sa troisième saison, Adelman, finit par lui accorder une vraie confiance et, à partir de là, le Serbe va faire très mal. Nous sommes sur l’exercice 2000/2001 et il est désormais titulaire à part entière d’un frontcourt constitué de Chris Webber, son compatriote Vlade Divac et lui-même donc. Résultat : 71 matchs joués pour une ligne statistique garnie de 20,4 points (à 47% au tir dont 40% derrière l’arc) et presque 6 rebonds par soir. Soudainement, ça ne rigole plus du tout. Stojakovic est peut-être régulièrement dominé athlétiquement mais au final c’est lui qui calme ses adversaires à coups de tris primés mais aussi de pénétrations bien senties et comme il convertit tout ou presque sur la ligne des lancers (89,5% en carrière), il score. Inlassablement. La Grande Ligue apprend dès lors à connaître et à craindre ce Serbe qu’on ne peut laisser seul pendant le moindre dixième de seconde sous peine de se faire punir par un swish. Ses coéquipiers sont en extase :

Quand il shoote, parfois je me surprends à juste… regarder. — Doug Christie (pitbull attitré des grands Kings et coéquipier de Peja de 2000 à 2004)

Et son coach apprécie bien évidemment l’impact de son ailier :

Peja enlève beaucoup de pression à ses coéquipiers parce que les adversaires doivent d’abord se préoccuper de lui. — Rick Adelman

Car non seulement le Serbe est très efficace mais il dégaine vite et de très haut. Si le défenseur n’est pas dans son short au moment où il reçoit la balle, c’est déjà trop tard en fait. Il enchainera ainsi 5 saisons avec les Kings dont sa meilleure en carrière, en 2003-2004, où il enverra plus de 24 points de moyenne à plus de 48% au tir dont 43,3% derrière l’arc, le tout accompagné de 6 rebonds. Il connaîtra aussi la douleur de ne pas pouvoir tout donner contre l’ennemi juré des Kings, les Lakers, lors des Finales de Conférence de 2002 qu’il regardera – blessé – depuis le banc pour les quatre premiers matchs et dont il ne pourra faire basculer le sort lors des matchs 6 (l’arbitre s’en est chargé) et 7… Il sera 3 fois All-Star durant cette période (2002,2003 et 2004), le temps pour lui de rafler deux fois le gros lot lors du concours de 3-points du samedi soir ce qui fera d’ailleurs dire à Larry Bird (en 2004) :

Il (Peja Stojakovic) est le meilleur shooteur (actuel) dans la ligue. De loin.

Les Kings finiront par l’échanger début 2006. Direction les Pacers puis les Hornets (à Oklahoma City puis à la Nouvelle-Orleans) avant de filer à Toronto. Les Raptors le couperont en janvier 2011. On se dit alors que c’en est fini de la carrière du Serbe mais il rebondit chez les Mavs. Il a alors 34 ans et va trouver dans le Texas un rôle parfaitement adapté pour contribuer de belle manière au titre de cette bande de vétérans emmenée par Dirk Nowitzki. Oh oui, ces 21 points dont un 6/6 du parking pour mettre le couvercle sur le sweep infligé aux Lakers en Demi-Finales de Conférence, on n’est pas prêts de les oublier. Peja non plus d’ailleurs, car ce soir-là, il s’est un peu plus rapproché de la bague tout en s’offrant une sympathique vengeance (après 2002) sur les Angelinos.

Sa bague en poche, Peja Stojakovic pouvait raccrocher tranquillement et sereinement ses sneakers. Sa gestuelle impeccablement fluide lui aura permis d’enquiller 1760 tirs primés (13ème all-time) à 40,1% en plus de 800 matchs de saison régulière et de se rendre plus qu’utile dans une escouade jouant le titre. Voilà un héritage non négligeable pour ce sniper dans la plus pure tradition des Balkans. 

Stats en carrière : 

17 points à 45% au tir dont 40,1 derrière l’arc, 1,8 passe décisives et 4,7 rebonds 33,5 minutes de moyenne sur 804 rencontres de saison régulière dont 665 en tant que titulaire.

Un bout de palmarès : 

  • Champion NBA en 2011
  • 3 fois All-Star
  • 2 fos vainqueur du concours de shoot du All-Star Weekend
  • MVP de l’EuroBasket (2001)
  • Numéro #16 retiré par les Kings

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