Enes Kanter, désormais Enes Gülen : quand la politique découd le nom situé au dos du maillot

Le 19 août 2016 à 10:05 par Francois M

Enes Kanter traverse en ce moment des temps difficiles. Après avoir reçu des menaces de mort, le pivot du Thunder a été renié par sa famille, sur le prétexte de son soutien à Fethullah Gülen, inspirateur du mouvement Gülen. Les luttes politiques qui divisent le pays ont ainsi directement affecté sa présence en sélection nationale, ainsi que sa propre identité civile.

Avec toute la polémique autour de son cas personnel, Enes Kanter s’est fendu d’une longue lettre la semaine dernière, qu’il a publié sur Twitter afin d’expliquer plus en détail sa situation :

Les extraits choisis ont été traduits depuis une traduction en anglais, réalisée par nbcsports, de la lettre originale publiée en turc par Kanter. Le choix exact des mots est ainsi à prendre avec précautions. 

Aujourd’hui j’ai perdu ma mère, mon père, mes frères et sœurs, ma famille et tout mes proches. Mon propre père m’a demandé de changer mon nom. Ma mère, qui m’a donné la vie, m’a renié. Mes frères et sœurs avec qui j’ai grandi m’ignorent. Mes proches ne veulent plus jamais me voir.

Pour le Service de Gülen, qui a été nourri par les larmes de gens loyaux et dévoués, ce n’est pas un mais des milliers d’Enes qui pourraient être sacrifiés. Je sacrifierais ma mère, mon père et ma famille pour le bien de Gülen.

Je donnerais ma tête pour le Service [Hizmet, le mouvement güleniste]. […] Je sacrifierais ma place au paradis et je rirais en enfer pour soutenir le Service. Mon amour pour Gülen est plus grand que mon amour pour ma mère, mon père, mes frères et sœurs et tout autre amour.

A partir de maintenant, mes sœurs et mes frères sont les soutiens du Service dans 171 pays. Les soldats qui œuvrent pour lui sont mes frères et mes sœurs. A partir de maintenant, ma famille est ma Hodja [i.e. école coranique]. Les tyrans seront renversés à temps. Soyez patients, Dieu est avec nous.”

Cette rupture entre Enes Kanter et sa famille a été accentuée plus que générée par la récente tentative de coup d’Etat, et se fonde sur des désaccords existants depuis quelques années. Gülen est un des  – si ce n’est le – hommes les plus influents de Turquie et dispose d’un réseau très puissant et particulièrement développé dans les hautes sphères publiques et dans l’armée. D’ailleurs, son appui a été essentiel à l’arrivé au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan, premier ministre de 2003 à 2013 puis président depuis 2014. Cependant les deux hommes sont en désaccord depuis 2013. Les questions politiques autour de l’événement n’ont pas leur place sur TrashTalk, mais ces bases sont essentielles pour comprendre la situation autour du pivot du Thunder. Gülen est expatrié depuis 1999 aux Etats-Unis et est toujours très influent à l’étranger grâce à un réseau d’écoles d’élite, qui lui offre une place toute particulière auprès de la jeune bourgeoisie turque.

Depuis son arrivée aux U.S., Enes Kanter s’est rapproché du “Service” – le nom que se donne la communauté güleniste -, et ce soutien est très mal vu par le pouvoir en place. Erdoğan qualifie le mouvement d’organisation terroriste, l’intérieur turc a ainsi été accusé d’outrage à la présidence, et a reçu des menaces de mort par la suite. Son père a déclaré qu’il “s’excusait auprès du peuple turc et du président pour avoir un tel fils”, et a en conséquence demandé de couper tout lien de filiation. La sphère politique a ainsi complètement débordé dans le monde de la balle orange, dans ce cas plus que jamais. Certes, les basketteurs sont des personnes publiques très exposées, mais on ne peut que regretter que les divisions soient si fortes qu’elles handicapent une sélection nationale, ici dirigée par Ergin Ataman. En effet, Enes Kanter incarnait l’avenir du basket-ball turc il y a encore peu de temps, mais il va falloir vivre sans la possibilité d’en tirer profit, comme nous avons pu le voir lors des dernières compétitions internationales.

Conséquence sportive de cette situation dramatique ? Tant que Erdoğan sera au pouvoir, on peut être sûr que le joueur d’OKC ne reviendra pas en sélection, et le climat politique actuel ne peut que nous pousser à affirmer une retraite internationale pour Kanter. Conséquence visuelle ? Elle concerne le titre de ce papier et se situe donc dans le dos du maillot que portera Enes dans quelques semaines. Celui du Thunder, comme prévu, mais avec un nom probablement différent cousu au-dessus du numéro 11. Car en effet, les proportions prises par cette affaire et le soutien affirmé par l’intérieur nous laissent envisager une situation dans laquelle le bras-droit de Steven Adams ne sera plus Kanter mais Gülen. Un détail pour la plupart des fans, sauf que les racines expliquant ce changement soudain sont bien plus profondes qu’on ne peut l’imaginer. Du moins, les bases désormais, vous les avez.

Quoiqu’il en soit, on souhaite du courage à Enes Kanter pour traverser cette difficile période. Avec la départ de Kevin Durant, sa franchise d’OKC va avoir plus que jamais besoin de son talent offensif, et cette saison pourrait être celle de l’éclosion pour le jeune intérieur : de quoi se concentrer à nouveau sur la balle orange, dès que possible, quel que soit le nom inscrit au dos du maillot.

Source : nbcsport
Source image : vavel.com


Tags : Enes Kanter