L’affaire Kevin Durant : 16 questions brûlantes, pour parfaitement comprendre cette décision

Le 06 juil. 2016 à 14:43 par Bastien Fontanieu

Kevin Durant

Depuis lundi, la planète basket est déboussolée. Bourrée, choquée, en quête de réponses, assise devant un putain de point d’interrogation. Comment doit-on regarder l’affaire Kevin Durant ? Voici 16 questions détaillées, qui vous aideront peut-être à mieux digérer cette KDecision.

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# Mais… pourquoi autant de haine envers Kevin Durant ?

  • C’est probablement l’aspect le plus marquant de cette affaire, la déferlante d’animosité réservée à l’ailier en ayant pris cette décision. Quand on se range du côté des fans les plus choqués, plusieurs points sont forcément mis en avant. Le fait de quitter Oklahoma City en les laissant clairement dans la merde, le fait de gratter en quelque sorte sa bague en rejoignant une équipe qui vient de remporter 73 matchs et était à 48 minutes d’un titre. Le fait, aussi, de revenir sur ses pas après avoir longtemps parlé de loyauté et de battre les grands à sa façon. Mais ce qui a été le plus généralement répété, c’est cette capacité à pouvoir s’allier avec la franchise… qui vient de t’éliminer. Par le passé, on n’avait jamais vraiment vu une ‘superstar’ en plein prime se faire battre en juin, pour finalement embrasser son bourreau en juillet. Et c’est notamment ce point qui a réduit en cendres les visions de beaucoup de monde, faisant passer KD du statut de garçon modèle à celui d’opportuniste flagrant.

# Peut-on simplement la fermer et se réjouir pour quelqu’un qui veut améliorer sa carrière ?

  • Absolument ! Et c’est là une notion qui est généralement oubliée lorsque les marchés ouvrent leurs portes en juillet. Quand vous passez toute votre vie à bosser sur votre jeu, que vous souhaitez simplement réussir et prendre du plaisir au quotidien, et qu’on vous offre l’opportunité de créer une équipe comme la NBA n’en a jamais vu auparavant, pourquoi s’en priver ? Kevin Durant n’était pas qu’un agent-libre, c’était un homme libre, qui a donné de magnifiques années à OKC. Un adulte en quête de bonheur et surtout un compétiteur voulant améliorer ses chances de l’emporter, ce qu’il a fait. Imaginez que vous êtes au terrain un dimanche, et que vous venez de vous faire sortir en 11 par une team assez folle. Trente minutes plus tard, celle-ci se fait sortir et doit attendre son tour pour se refaire. Les gars s’approchent de vous et vous demandent de venir les rejoindre, allez-vous sérieusement rester sur le côté pour vous battre et tenter de remporter un petit match ? Chacun sa réponse.

# Comment la NBA peut-elle laisser une telle affaire se produire ?

  • Si le mandat d’Adam Silver a été impeccable jusqu’ici, il aura quand même un énorme point à gérer dans les prochains mois. Celui de préparer un CBA beaucoup plus crédible en  2017, après les promesses faites aux côtés de David Stern il y a quelques années. La Ligue a toujours été dominée par les équipes possédant plusieurs stars, mais depuis The Decision on penche vers un tout autre type de modèle, où les stars s’arrangent entre elles alors qu’auparavant elles tentaient de se battre entre elles. La société avance, les gens évoluent, la NBA doit en faire de même et trouver un moyen d’empêcher une dictature aussi implacable. Car même si d’un point de vue business, les Warriors vont régaler les caisses de la Ligue, la compétitivité s’en retrouve explosée alors que les projections de 2012 applaudissaient l’équilibre entre grands et petits marchés. L’affaire Chris Paul aux Lakers ? Pas du tout la même chose, sachant que New Orleans appartenait encore à la NBA. Mais dans une grande famille de 30 gosses où le daron doit tenter de satisfaire tout le monde, Silver va avoir du sacré boulot, sous peine de voir un énorme lock-out lui tomber dessus dans quelques mois.

# Depuis quand doit-on accepter la création de telles superteams ?

  • Depuis toujours en fait, mais ce qui est véritablement marquant ces dernières années, avec comme point d’exclamation cette décision, c’est qu’il s’agit de création via le marché, arrangée entre copains, et entre joueurs qui sont ‘censés’ s’affronter. La NBA a toujours été dirigée par des cylindrées hallucinantes, le Heat de LeBron, les Spurs du Big Three, les Lakers et Celtics des années 80, les Bulls de Jordan, et ainsi de suite. Il n’y a pas de surprises, il faut des stars pour remporter des titres et Golden State en a désormais 4, malgré tout ce qu’on peut dire sur Klay Thompson. C’est évidemment énervant de voir des moves aussi cheatés sur le marché, mais comme on le mentionne ci-dessus, la NBA l’a permis et Durant en a bien profité. Si la Ligue souhaite retrouver un certain équilibre, il faut adapter les règles aux évolutions comportementales : pourquoi, par exemple, ne pas faire en sorte que quitter une franchise représente le fait de mettre une croix sur un énorme jackpot financier ? La cinquième contractuelle d’aujourd’hui, c’est plus du vent qu’autre chose. Les propriétaires souhaitaient éviter les contrats à la Gilbert Arenas ou les paperasses sur 8 ans qui te mettent dans l’embarras, voilà où on en est aujourd’hui à offrir trop de flexibilité. Les superteams resteront reines de la Ligue, mais il faut penser à d’autres manières d’opérer.

# Doit-on vraiment être étonnés quand on connaît le caractère de Durant ?

  • On veut souvent voir les stars réaliser nos rêves, prendre des décisions qui nous conviennent en bombardant des valeurs de loyauté, d’honneur ou autres. Cependant, on a tendance à oublier les personnalités des joueurs, les parcours traversés et les proches qui l’ont influencé. Kevin Durant n’a jamais été du genre extraverti, à lâcher de grosses punchlines et à faire du bruit où qu’il aille. Plutôt réservé, il a certes été un compétiteur refusant d’accepter la seconde place, mais il a aussi été celui qui n’osait pas regarder Westbrook tirer des lancers cruciaux. Il a aussi été celui qui se forçait à prendre des fautes techniques, afin de se donner une image de bad boy. Il a surtout été ce garçon adorant dire aux gens ce qu’ils voulaient entendre, plutôt que d’assumer intégralement ses décisions. Tout cela a mené à ce choix, celui de vouloir brises cette paroi et enfin assumer sa personne : KD n’est pas un compétiteur de la même catégorie que les Kobe, Mike, et tous ceux qu’on loue H24. Rien de très étonnant, juste un constat qui refait surface après des années de montagnes russes, notamment cachées par la détermination de son meneur.

# Mais tous ces messages qu’il envoyait sur la loyauté et la persévérance ?

  • Qui n’a pas dit de conneries à 20 ans, pour finalement revenir dessus à 26 et sourire en se rendant compte de la bêtise affirmée ? Les stars de la NBA sont scrutées au quotidien et leurs déclarations aussi, mais tout le monde a le droit de changer d’avis. On peut affirmer comme LeBron qu’on ne partira pas de Cleveland avant de remporter un titre, puis faire un passage remarqué par Miami avant de revenir et terminer la mission, sans que cela pose de problèmes à qui que ce soit aujourd’hui. Là où ça coince avec KD, c’est sur les déclarations d’amour enchaînées, cet aspect de garçon différent et qui pouvait suivre les traces des grands ayant persévéré dans leur coin, mais c’est comme ça aujourd’hui. Le gars est revenu sur ses pas et il en a le droit, surtout quand on sait à quel point il semblait influençable…

# Peut-on parler d’une décision prise… au dernier moment ?

  • Et c’est là que cela devient fun, car comme on le mentionnait au-dessus avec la personnalité du garçon, qui n’avait pas ressenti cette instabilité dans la tête de Durant ? Formidable joueur, tueur sur les parquets, Kevin était cependant du genre à pouvoir passer du chaud au froid et du Nord au Sud en l’espace de quelques discussions. Du coup, lorsque l’ailier a accepté de rencontrer toutes ces équipes dans les Hamptons, la porte était ouverte afin de réaliser n’importe quelle Inception. Et qui de meilleurs que les Warriors à ce petit je-là ? Pratiquement personne, même Pat Riley ne peut luter contre des stratèges pareils. Nombreux sont ceux qui, autour du joueur, affirment qu’il revenait probablement à OKC avant que le marché des agents libres ne s’ouvre. Mais quand on vous laisse dans un magasin avec 20 balles et que vous devez ramener de quoi dîner, il y a ceux qui restent concentrés sur leur objectif… et ceux qui vont finalement repartir avec 15 paquets de bonbon car un texto a fait la différence.

# Peut-on en vouloir aux Warriors sur cette affaire ?

  • Ce serait limite honteux, de leur en vouloir. Car même s’il y a cet aspect d’équipe hors-norme, qui n’arrive pas à terminer le boulot alors qu’elle vient de remporter 73 matchs en régulière, et qui va quand même draguer Kevin Durant, le business reste le business. Et lorsque le 1er juillet a sonné, KD était le meilleur joueur disponible sur le marché. En tant que franchise, vous devez tout faire pour que la machine tourne, que les tickets se vendent, les victoires s’enchaînent et les maillots soient visibles aux quatre coins de la planète. Des cases qui avaient déjà été cochées par Bob Myers et Jerry West précédemment, mais qui prennent un level up fabuleux depuis ce lundi. On peut trouver ça injuste, mais on doit surtout s’incliner devant la grandeur du management californien : lorsqu’il faut construire une équipe injouable, personne ne fait le boulot aussi bien qu’eux.

# Qui est le plus grand vainqueur, dans toute cette histoire ?

  • C’est chacun son choix, en fait. La NBA, déjà, qui va voir une Rolls Royce représenter sa Ligue et proposer un basket tout simplement légendaire si chacun fait sa part du boulot. Steve Kerr, aussi, qui va enchaîner une nouvelle saison avec plus de 65 victoires sauf séisme et commence donc sa carrière d’entraîneur au calme. Stephen Curry, Klay Thompson, moins de pression sur leurs épaules et un rôle de side-kick qui va aussi leur convenir à merveille. Le staff médical des Warriors, qui va pouvoir se reposer en voyant de tels joueurs tourner dans le rôle du gifleur. Mais probablement plus que tout, les habitants d’Oakland ou de San Francisco, fans de leur franchise. On est à quelques semaines de voir potentiellement l’équipe la plus indéfendable de l’histoire du jeu, et quand on peut assister à ça en direct, c’est une chance incroyable.

# Encore une saison à plus de 70 victoires pour les Warriors ?

  • Oui, non, peut-être, on n’en sait rien. La tentation évidente est de dire oui, car en fermant les yeux les gars vont pouvoir tourner et planter 110 points sur leurs adversaires. Mais on sait aussi ce qui s’est passé l’année dernière et l’avis de Steve Kerr là-dessus aujourd’hui, ce que représente une adaptation à de nouveaux coéquipiers, la pression de chaque déplacement, bref le nez dit 70 victoires mais on va gentiment attendre la fin du marché et rappeler à tout le monde qu’une blessure peut intervenir à tout moment. Partons plutôt sur 66 victoires, sans forcer et pour aborder les Playoffs avec le couteau entre les dents.

La transition entre le Thunder et Golden State sera chaude pour KD ?

  • Sur le terrain, cela semble peu risqué. Car dans le mode de jeu des Warriors qui privilégie les géants, polyvalents, capables de tirer et de courir… qui représente mieux ce profil que Durant ? Il y aura des situations offensives intéressantes à regarder, notamment au poste où on parle déjà de voir l’ailier créer des décalages fabuleux en attirant deux défenseurs sur lui. Maintenant, quand on sait qu’il peut aussi bien poser un écran pour Stephen Curry sur pick and pop ou bien profiter de Draymond Green dans ce rôle lorsque lui-même possède la balle, les frissons s’accumulent. Mieux encore, et l’aboyeur de GS le mentionnait avant-hier, la longueur de bras de Kevin sera utile en défense, le numéro 35 ayant montré bien plus d’investissement dans sa propre moitié de terrain lors des derniers Playoffs. Il n’aura peut-être pas le même nombre de tirs qu’à OKC, mais Durant a de fortes chances de terminer meilleur marqueur de son équipe la saison prochaine, car ses copains vont vouloir l’installer dans un fauteuil en or.

# Comment défendre contre un cinq majeur aussi… indéfendable ?

  • Stephen Curry, Klay Thompson, Draymond Green et Kevin Durant, le tout coaché par Steve Kerr, on transpire déjà dans les 29 autres franchises de la NBA. On ne parle pas de Zaza dans le cinq car on pourrait mettre un lampadaire et ça resterait un carnage. Tout le monde peut jouer sur pick and roll, sur sortie d’écran, tout le monde peut poser un écran, se caler dans un corner, tout le monde a de la vision du jeu et aime partager la balle, tout le monde est adroit à distance et peut terminer dans la peinture. On a deux membres du Club 180, trois des – allez – 15 meilleurs snipers de l’histoire, et quatre All-Stars qui trottinent. Sur demi-terrain, il faudra surtout ralentir le rythme et forcer des tirs compliqués sans véritable mouvement de balle, tout en boxant bien au rebond défensif. Car si les gars commencent à être ouverts et en rythme, autant éteindre les lumières du stade. On mentionne le rebond car GS va repartir sur du modèle assez petit, il faudra tabasser en-dessous et bousculer physiquement un garçon comme Kevin.

# Quel impact aura ce choix sur l’héritage de Kevin Durant ?

  • On parle souvent de l’affaire entourant LeBron, et à quel point la victoire efface toutes les critiques. Il est clair qu’en terrassant la Ligue avec le Heat, James a effacé les questions entourant son héritage puisqu’il rejoignait enfin le club des multi-titrés. Cependant, le cyborg a réussi à faire cela en étant l’homme numéro 1 incontestable à Miami, ce qui sera peut-être différent aux Warriors. On l’attend au-dessus des autres, mais aura-t-il le caractère pour l’accepter ? Dans tous les cas, une ou plusieurs bagues solidifieront sa place chez les grands, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas. Là où ce sera aussi intéressant, c’est de voir comment le public symbolisera ce succès en connaissant le départ de Durant et le fait qu’il a rejoint une équipe déjà historique, mais aussi les choix futurs après avoir atteint son objectif. LeBron est retourné à Cleveland pour de multiples raisons dont son attache à la maison, Kevin restera-t-il en Californie ou penchera-t-il vers le Thunder comme les Wizards ? Des questions qui vont le suivre pendant pas mal de temps…

# Et que va devenir Russell Westbrook suite à ce départ soudain ?

  • Une des pires conséquences dans toute cette histoire, c’est le fait que le Thunder est peut-être en train de vivre le premier de deux étés au fond du puits. Car même si Russell va être infernal la saison prochaine, en enchaînant les triple-doubles et en continuant son massacre quotidien, il y a de fortes chances de voir Westbrook se lasser d’une situation aussi désespérante, au point de demander un transfert. Pour le meneur, les grands projecteurs des gros marchés puisqu’on en parle depuis des années. Pour le Thunder, la fin d’un chapitre qui aurait pu bouleverser la Ligue à jamais, mais qui s’est finalement terminé dans la déprime. Il y a du talent à OKC, mais dans un an il n’y en aura peut-être plus comme en mai 2016. C’est cette perspective qui rend le dossier RW aussi… inquiétant.

# Mais KD est-il prêt à affronter autant de huées, de haine et de critiques ?

  • C’est probablement ce qu’il y a de plus intrigant, pour la saison à venir et le reste de sa carrière. Car quand on avait vu LeBron partir pour Miami, il y avait cette exubérance et cette confiance inébranlable qui sortait de ses yeux, cette capacité à promettre 6 à 7 titres, quel que soit le niveau de connerie de cette phrase. James était et est un monstre aussi physique que mental, on l’a vu sur les dernières Finales. Durant ? Pas le même calibre, pas la même carapace, on parle là d’un joueur plutôt petit garçon, qui est probablement le plus mature et daron de tous sur les terrains, mais n’a peut-être pas les remparts suffisants pour accepter et affronter l’adversité. Son équipe sera fabuleuse et elle lui permettra de faire taire pas mal de critiques, mais Kevin l’humain va avoir un énorme été pour bosser dans sa tête, car ce qui l’attend dans les prochains mois est probablement le plus gros challenge émotionnel qu’il aura à endurer. Pas sûr qu’il puisse continuellement assumer.

# En bref, si on doit retenir cette affaire en une  phrase, laquelle serait-elle ?

  • Bienvenue en 2016. On a plein de phrases en tête, mais ce serait probablement celle-là qu’on retiendrait. Bienvenue en 2016, une année où le marché et le jeu ont changé. Bienvenue en 2016, une année où la NBA autorise légalement ce type de réunion, dans une époque où les joueurs communiquent en permanence sur les réseaux sociaux, participent au circuit AAU ensemble, et se font des soirées entre eux. Bienvenue en 2016, une année où on peut gagner 73 matchs, battre le Thunder, perdre en Finale, mais quand même recruter le meilleur joueur de l’équipe éliminée. Bienvenue en 2016, une année où il faut tout simplement accepter que les choses changent. Tout le monde n’est pas Reggie Miller, ou Dirk Nowitzki. Nous fans, sommes les premiers à avoir validé ce système avec la Ligue, en faisant des titrés des héros et des non-titrés des zéros. Donc bienvenue en 2016, dans une NBA où la quête de bagues a aussi défoncé toute autre notion de challenge identitaire.

Source image : LocalTVKfor


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