Derrick Coleman : un talent indéniable gâché par un caractère ingérable

Le 21 juin 2016 à 18:23 par Alexandre Martin

Caractériel, difficile à gérer, imprévisible, pas toujours au top du professionnalisme, provocateur et très capable de dépasser les limites (oh oui…). Tous ces termes peuvent servir à définir Derrick Coleman. Mais il ne faudrait alors pas oublier de parler de gros physique, de patte gauche en velours, de footwork, de poste bas et de moisson au rebond. Tout cela mis bout à bout peut représenter un tableau assez fidèle de ce joueur tout aussi fantasque que talentueux qu’était “D.C”. 

Le 16 mars 1995, les Nets – de New Jersey à l’époque – se préparaient à recevoir le Jazz de Karl Malone et John Stockton le lendemain. L’équipe mormone faisait partie des meilleures de l’Ouest alors que les Nets étaient en difficulté à l’Est mais ils venaient de faire exploser le Magic dans le sillage d’un Coleman bien monstrueux avec 36 points et 11 rebonds sur une raquette tenue par un certain Shaquille O’Neal. En sortie d’entraînement ce jour-là, l’ami Derrick fut interrogé par quelques journalistes concernant des propos de Malone qui avait déclaré, en parlant de lui, “qu’il pourrait emmener les Nets aussi bien en Playoffs que vers un choix en Lottery à la Draft”. Et la réponse de ce bon Coleman fut parfaite dans un premier temps puisque l’ailier-fort des Nets expliqua qu’il “s’en fichait” et que tout ce qui comptait pour lui “était de gagner des matchs”. Mais connaissant le côté irritable du bonhomme, les journalistes l’ont un peu plus titillé et ce qui devait arriver arriva, et fut rapporté par le New York Times :

Tout le monde a son opinion, tout le monde… Peu importe quelle est votre opinion, une fois que vous êtes sur le terrain, vous devez me respecter

Il (Karl Malone) a été un Oncle Tom depuis toujours. C’est ainsi que je le vois, comme un Oncle Tom. […] Parce qu’il est faux. Il n’est pas vrai.

Il faut savoir que l’expression Uncle Tom – ou Oncle Tom si on la francise donc – est clairement insultante puisqu’elle fait référence à des heures sombres où l’esclavage était de mise. Cette expression découle d’un livre “Uncle Tom’s Cabin” (la cabine de l’Oncle Tom) et est devenue une insulte au fil des années car un Oncle Tom est un noir qui fait tout pour plaire aux blancs, comme un esclave en somme… Bonjour l’ambiance. Et bien évidemment, ces bons mots sont arrivés aux oreilles du grand Karl qui n’a que peu apprécié et a déclaré devant des journalistes venus de Salt Lake City :

Encore un jeunot qui ne respecte pas ses aînés.

Le lendemain, le 17 mars 1995, Le Jazz a battu les Nets sur leur parquet et – du haut de ses 31 ans et déjà équipé notamment de 8 sélections All-Star – Karl Malone a bien fait passer son message avec 29 points et 18 rebonds en duel avec un Coleman qui n’aura pas démérité (17 points et 17 rebonds) mais qui aurait certainement mieux fait de se taire. Cet épisode de la carrière de Derrick Coleman est assez significatif et va, malheureusement pour lui, coïncider avec un pic d’un point de vue statistique et médiatique que les blessures principalement l’empêcheront d’atteindre à nouveau. Car depuis son arrivée en NBA, Coleman envoyait du lourd et même si son attitude n’était pas toujours la plus classe, ses aptitudes pour le tripotage de balle orange étaient indéniables et faisaient de lui un des meilleurs postes 4 de la Ligue (derrière Malone et Barkley en gros, voire peut-être Shawn Kemp). Numéro 1 de Draft en 1990, sa première saison à plus de 18 points et 10 rebonds de moyenne lui valut le titre de rookie de l’année. Les doubles-doubles vont ensuite s’enchaîner à base d’au moins 30 ou 35 par saison pour des moyennes toujours autour des 20 points et des 10 rebonds. Très solide le garçon.

Son gros physique allié à sa belle technique lui permettait de faire mal aussi bien dessous avec ses épaules imposantes et son footwork que dans le périmètre avec sa mobilité et son bon petit shoot à mi-distance voire derrière l’arc. All-Star pour l’unique fois de sa carrière en 1994, il fera partie de la Dream Team II, celle dont personne ne se souvient mais qui était quand même une sacrée équipe de fous furieux et qui sera championne du monde sans trembler à Toronto. Par la suite, sur l’exercice 1994-1995, Coleman est toujours en pleine ascension, il est même au top. Pourtant, s’il domine individuellement, il ne résussit pas à se comporter en leader et les résultats collectifs des Nets vont le priver d’un deuxième All-Star Game alors qu’il tourne encore en 20/10. Et puis, les échanges et les blessures vont s’en mêler. Tradé à Philadelphie la saison suivante, malgré la présence d’un certain Allen Iverson et toujours de sacrées lignes statistiques, il n’arrive pas à faire décoller les Sixers. Pire, ce bon Derrick nous gratifie de quelques écarts de conduite bien sales et se retrouve à plusieurs reprises devant les tribunaux pour de petits délits certes mais des délits quand même, comme cette fois où il a tout simplement uriné devant tous les clients d’un restaurant à Detroit. Sympathique.

Bref, ça ne marche pas pour Derrick Coleman en Pennsylvanie et ça ne marchera pas non plus à Charlotte. Ses statistiques commenceront alors à baisser au fur et à mesure que son caractère deviendra de plus en plus ingérable. Les blessures ne le laissent pas non plus tranquille, ses coéquipiers ne l’aiment pas, “D.C” joue de moins en moins. Il aura beau retourner chez les Sixers, il est trop tard. Un dernier essai chez les Pistons – tout juste champions – en 2004-2005 avec coach Larry Brown qui le connait bien et le veut pour garnir sa rotation, mais il sera coupé au bout de 5 matchs…

Il a connu une entame de carrière en boulet  de canon, il est monté très haut dans la hiérarchie des joueurs NBA au début des années 90 puis il a tout gâché. Par manque de mental, à cause d’un surplus d’agressivité qu’il n’arrivait pas à canaliser ou tout bonnement parce qu’il avait une case ne moins ? On ne le sait pas vraiment, mais on ne juge pas Derrick Coleman. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il fait partie de ces gars, ces monstres qui “auraient pu” devenir des très grands…

36 points et 11 rebonds face au Magic en 1995

Source image : Mitchell Layton/Getty Images