Le dernier voyage de Stephen Curry à Oklahoma City : une soirée légendaire, le chaos planétaire

Le 22 mai 2016 à 17:05 par Bastien Fontanieu

Stephen Curry

Des nuits marquantes, quand on regarde la NBA au quotidien, il y en a par dizaines chaque saison. Mais des moments historiques, comme cette soirée de l’hiver dernier, on s’en souvient pour le reste de notre vie. Retour sur un chef d’oeuvre intemporel, dont on parlera probablement à nos gosses.

C’est un samedi comme un autre sur la capitale française. Le temps est frais, mais étonnamment beau pour cette période de l’année. On se permet même d’enlever les écharpes alors que ça tousse sèchement dans les transports en commun. Comme dirait Madame Rougemont, qui le répète depuis des semaines au moment où nous nous croisons à l’entrée de l’immeuble, ‘ça devrait promettre un nouvel été caniculaire’ mais surtout ‘il ne faut pas se plaindre’. Il est 18h30. Au moment où les potes du lycée me bombardent de textos pour se donner rendez-vous à la crémaillère de Clémence, je reçois encore des messages concernant le dernier concours de dunks durant lequel Aaron Gordon retourna Twitter. Le souvenir est vif, l’émotion de même. Le type vient de taper un show monstrueux mais il a perdu, tant pis. Et les textos s’enchaînent. Il est 20h. Bon alors, tu viens chez Clémence ou pas ? Et comme de nombreux samedi, dans ce mélange de dépit et de satisfaction un poil SM, j’envoie cette réponse robotique à Lucas, lui qui veut la pécho depuis la seconde : y’a match, je passerai peut-être mais rien de sûr. Allez, t’es un champion. Convaincu, dès lors, que ce Thunder – Warriors du 27 février 2016 vaudra le coup de rester debout. Et qu’il y arrivera aussi le Lucas, sans le moindre doute. Il est 2h30. Les pâtes englouties, le café protocolaire avalé, une Lucky entre les lèvres pendant que Karl-Anthony Towns défonce la raquette des Pelicans, cette nuit part sur d’excellentes bases. C’est peu dire si elle prendra des proportions fabuleuses.

Le match commence et c’est là que chacun se souvient de plusieurs passages-clés. L’engueulade entre Draymond Green et ses coéquipiers à la mi-temps, Stephen Curry qui se blesse à la cheville en deuxième, Kevin Durant dont la mixtape fait passer Andre Iguodala pour un bleu, toutes ces images reviennent sous forme de flashs, comme les briques d’un palace doré construit Boulevard des Performances Historiques. Je me souviens de cette fameuse semaine, précédant la rencontre, et durant laquelle le MVP en titre est déjà sur un rythme de taré : Atlanta, Miami, Orlando, tout le monde prend tarif. La question n’est pas de savoir s’il remportera 73 matchs cette saison avec les siens, mais plutôt de comprendre comment peut-il arriver à un tel état de grâce. Merde, c’est la mi-temps, faut que je tweete. Le téléphone vibre, Lucas a bien réussi son coup, Snap à l’appui. Beau-gosse. Au fait, il est bueno le match ? La réponse est immédiate. Non connard, pour ça que je reste devant. Le match reprend, et c’est là que la date prendra une dimension toute particulière. Car le Thunder commence à se détacher des Warriors, mais Curry ne veut rien savoir. Distance, ficelle. Distance, ficelle. Par pure curiosité, je jette un oeil aux Grizzlies qui sont en train de se faire taper par Phoenix (?!), mais la sanction est elle aussi immédiate, signée Steph. Eh connard, pour ça que tu restes devant. Le compteur commence à prendre une sale gueule et Iggy emmène tout le monde en prolongation. Aux lancers, lol. Bref. Des mois qu’on parle d’un match à 12 trois-points minimum pour Curry, certains ‘courageux’ se lancent sur Twitter et annoncent le record. Cette fois, c’est la bonne : tu parles.

L’overtime démarre dans un début de chaos suffisamment chelou pour me rappeler que je dois rejoindre la famille à 13h vers Belleville. Durant prend sa sixième faute, c’est à Westbrook d’assurer le relais. Reniflant l’odeur du sang, le meneur d’en face est dans une confiance maximale et la cheville heurtée quelques minutes auparavant disparaît des mémoires. Kyle Singler en isolation, merci Donovan pour le couverture défensive, bang. Les notifications explosent, les messages Facebook s’enchaînent : le téléphone vibre tellement qu’on se croirait dans le sac à main de Rachel Starr. Putain, encore un texto de Lucas. C’est quoi ce bordel, Curry a 11 bombes du parking ?! L’incompréhension est telle sur les réseaux sociaux que l’élection d’Obama serait un fait-divers en comparaison. Les montages explosent, Vine sature, la rédaction me demande ce qui se passe et comment doit-on réagir. Il est 5h20, changement de t-shirt. France, Europe, monde, tout sport confondu, n’importe quel type encore debout ce soir-là rejoint ses congénères dans la matrice. Et sur cette dernière action dessinée par les dieux de notre sport, Steph envoie une flèche d’environ 10 mètres, qui traverse le plafond de la Chesapeake dans une atmosphère indescriptible. Il faut que ça rentre, ce tir est destiné à rentrer, faites que… tchaf. Le panier tremble, Mike Breen explose en direct, Kanter tape une tête de huit kilomètres sur le banc et Curry est seul au monde. Twitter implose. Dirk lâche No way, Wade crie UNREAL, Kristaps demande Is this real life ? Et en effet, on se pince pour y croire. Pas le temps de comprendre, de réfléchir. Les majuscules renversent l’ordre établi, les articles prévus pour le lendemain finissent aux oubliettes. Le téléphone vibre une dernière fois avant de le passer en mode avion. C’est Lucas : OMG. Nous sommes le 28 février 2016, il est 05h25 et Stephen Curry vient de casser la NBA.

Il existe des dates et des heures, des moments sportifs remplis de bonheur, dont on se souvient pour toujours. Le 12 février 2000 et le Concours de Dunks de Vince Carter, le 22 janvier 2006 et les 81 points de Kobe, le 10 septembre 2014 et le short de Thomas Heurtel : ce 27 février 2016 restera gravé dans les mémoires de tous ceux qui ont vécu la performance en direct, quelle que fût la journée de la veille comme celle du lendemain. Pour moi c’était Lucas et Twitter. Pour d’autres, c’était Facebook et des voisins en pleurs. Mais pour tout le monde, c’était le sommet de l’absurde dirigé par Stephen Curry.

Source image : @Warriors