Avant-gardistes : comment, de 2004 à 2009, les Suns ont influencé la NBA d’aujourd’hui

Le 04 avr. 2016 à 19:56 par Baptiste

Cette saison 2015-2016 est unique à plusieurs points de vue. Les Warriors sont probablement sur le point d’établir un nouveau record de victoires, et le jeu n’a jamais été aussi porté sur l’offensive. Plus que jamais, la meilleure défense, c’est l’attaque, et aujourd’hui, ce sont 22 équipes qui tournent à plus de 100 points en moyenne par match. Impensable il y a encore une petite vingtaine d’années, cette évolution trouve ses origines dans l’Arizona, du coté de Phoenix, au début des années 2000.

Flashback de la finale NBA 2003. Les Spurs battent les Nets du New Jersey 4 victoires à 2. Il s’agit du premier titre de Tony Parker, obtenu au cours d’une série globalement maitrisée. Pourtant, dans son bureau, David Stern fait la gueule. La finale a été la plus boudée de l’histoire par les téléspectateurs, avec seulement 6.5% de parts d’audience. Si les relatifs petits marchés que sont alors à l’époque San Antonio et New Jersey n’ont pas aidé, le mal est plus profond, les changements de règles au début des années 2000 (fin du hand-check en défense notamment) n’ont pas eu l’effet escompté au niveau du public. Si les spectateurs boudent, ce n’est pas bon pour le business et cela, David Stern ne le sait que trop bien. Il faut donc autre chose, un électrochoc, des stratégies innovantes, des idées nouvelles, un renouveau tactique et technique pour redonner au basket NBA une place de choix dans les foyers américains. Le commissionner de l’époque devra attendre un an de plus avant d’assister à un souffle nouveau sur la Ligue, qui va tout ravager sur son passage et charmer des millions de fans, à travers le monde. Ce vent de nouveauté tant attendu nous viendra du côté de Phoenix.

Steve Nash, small ball et Run’n’Gun

Fin de saison 2004. Les Pistons sont champions en battant les Lakers 4-1, en ayant fait honneur au basket grâce à des qualités de collectif qui ont totalement dominé l’individualisme régnant dans la super team de L.A. Dans le désert d’Arizona, la saison fut catastrophique mais la sélection d’Amar’e Stoudemire, deux ans auparavant à la Draft, a permis de poser les fondations pour l’avenir, en compagnie des transferts des contrats en plomb de Marbury ou Penny Hardaway. Fraîchement vendue à un fonds d’investisseurs mené par Robert Sarver, la franchise voit grand et veut retrouver sa place parmi l’élite. Lors de l’intersaison, le GM Jerry Colangelo réalise plusieurs coups de génie. Il signe Steve Nash, Quentin Richardson et confirme dans ses fonctions Mike d’Antoni, coach intérimaire ayant remplacé lors de la saison précédente Frank Johnson. L’entraîneur italo-américain a donc tout l’été pour inculquer à son groupe ses idées assez révolutionnaires – sans être tout à fait novatrices puisque certains coachs comme Don Nelson ou Paul Westhead les avaient déjà portées sur les parquets NBA – qui se résument en un nom : Run’n’Gun. Le le coach moustachu va pousser l’expérience à son paroxysme. Courir et tirer le plus possible en sept secondes ou moins, comme l’indique son playbook : Seven Seconds Or Less (SSOL, qui est aussi l’inverse de LOSS, soit “défaite” en anglais). Les Suns passent tout un training camp à courir, tirer à trois points, jouer toutes les contre-attaques possibles et imaginables afin que des défaites, il n’y en ait plus du côté de l’Arizona. La saison 2004-2005 verra les Suns surprendre toute la ligue malgré un effectif un peu court poussant d’Antoni à limiter sa rotation entre six et huit joueurs le plus souvent. En une saison, Phoenix passe de 29 à 62 victoires, et de 94.2 à 110.4 points de moyenne, meilleure attaque de la Ligue. Steve Nash sublime ses coéquipiers, Stoudemire déroule sur pick and roll et claque dunk sur dunk, Shawn Marion, fidèle à son équipe de toujours, est totalement remotivé et fait parler sa polyvalence et son shoot aussi dégueulasse qu’efficace pendant que Joe Johnson envoie des flèches de tous les cotés du terrain. Si les Suns sont finalement sortis en cinq matchs par les Spurs en finale de conférence, la saison est un succès. Toute la Ligue et les fans sont charmés par le jeu survitaminé des Suns, encore jamais vu jusqu’ici, et Steve Nash est élu MVP tandis que Mike d’Antoni est élu coach de l’année.

Ce sentiment se poursuit lors de la saison suivante. Malgré un effectif remodelé (transfert de Joe Johnson contre Boris Diaw, Richardson échangé contre Kurt Thomas, signatures de Raja Bell, James Jones et Eddie House notamment) et la blessure pour toute la saison d’Amaré Stoudemire, Phoenix décide de rester fidèle à ses idées. Mike d’Antoni insuffle un sentiment de révolte chez l’ensemble de ses joueurs, et utilise au mieux leur polyvalence, dans un système d’attaque toujours plus débridé. Les Suns sont encore la meilleure attaque de la Ligue, remportent leur division avec 54 victoires, sont honorés par la Ligue (Steve Nash MVP et Boris Diaw MIP) mais chutent face aux Mavericks, une nouvelle fois en finale de Conférence. L’année suivante, la saison 2006-2007 sera celle des regrets éternels pour l’ensemble des fans de Phoenix. Le retour de Stoudemire tient toutes ses promesses, l’équipe remporte 61 matchs et rencontre les Spurs dans une demi-finale de Conférence explosive. Alors que le match 4 touche à sa fin, ces Suns flamboyants sont sur le point d’égaliser à 2 partout dans la série mais Robert Horry envoie Steve Nash valdinguer contre la table de marque. Un début d’échauffourée s’en suit, et la Ligue décide de sévir en suspendant Horry pour les matchs 5 et 6… tout en suspendant également Stoudemire et Diaw pour le suivant, les deux joueurs ayant eu le malheur de se lever pour aller protéger leur meneur. Très affaiblis au match suivant par cette décision dure, les Suns cèderontt en six matchs…

Pas de bagues mais une influence évidente sur le jeu…

Les saisons suivantes ne seront pas fructueuses entre une tentative ratée de changement de style avec l’arrivée de Shaquille O’Neal ou une de nouvelles Finales de Conférence sous les ordres d’Alvin Gentry. Et si la quête du titre des Cactus a finalement été veine, elle a modifié en profondeur le paysage NBA d’aujourd’hui. En cinq ans, les Suns ont apporté un style de jeu aussi débridé et libre qu’efficace, ce qui n’avait jamais été démontré auparavant. Un style de jeu unique, précurseur et original, qui amena l’ensemble des équipes à penser différemment leur jeu offensif. D’un point de vue statistique, au cours de la saison 2003-2004, l’année précédant l’arrivée de Mike d’Antoni à la tête des Suns, seules deux équipes marquaient plus de 100 points en moyenne. Aujourd’hui, elles sont au nombre de 22. Cette même saison 2003-2004 fut la moins offensive depuis la saison 1998-1999, avec une moyenne de seulement 93.4 points par équipe. La saison actuelle est la plus offensive de l’histoire de la NBA, avec une moyenne de 102.6 points par équipe. D’une manière générale, les équipes ont adopté la notion de jeu rapide tout autour de la Ligue, et les derniers champions, Lakers, Heat, Mavericks, Spurs, Warriors, étaient tous efficaces sur contre-attaque, qui constituait une majeure partie de leur jeu offensif. Toutes les équipes ont insisté sur le fait de pousser le tempo de leurs attaques et de multiplier les possessions, offrant davantage de possibilités de marquer, car les Suns avaient été les premiers à démontrer la possibilité d’allier des tirs rapides avec (beaucoup) de victoires. Ainsi, toujours au cours de la saison 2003-2004, la moyenne de possessions par équipe était seulement de 90.1. Aujourd’hui, au cours de la saison 2015-2016, elle est de 95.8.

Si vous aviez encore des doutes sur l’influence des Suns sur la NBA d’aujourd’hui, il convient d’effectuer une analyse plus en profondeur. Cette année, nous avons la chance de voir l’histoire s’écrire (sans doute) sous nos yeux, les Warriors étant en passe de signer un record de victoires historique. D’ailleurs, si l’on observe le jeu de la meilleure équipe actuelle de la Ligue de basket la plus offensive jamais vue, il est courant d’observer des similitudes avec les Suns époque D’Antoni. Tout d’abord, le titre de l’année dernière fut acquis avec un coach, Steve Kerr, ancien GM de la franchise de l’Arizona, et un assistant, Alvin Gentry, ancien coach et chef d’orchestre des Suns. La vista de Curry à la mène n’a sans doute d’égal que celle de Steve Nash et si leurs jeux diffèrent, le premier possédant un instinct de scoreur plus développé que le second, collectif et génial passeur avant tout, les deux meneurs se rejoignent sur plusieurs points : une adresse démentielle, une réelle capacité à organiser et impliquer l’ensemble de leurs coéquipiers et une relation très développée avec un coach qui leur a donné les clés du camion. Si les Warriors sont basés avant tout sur leur traction arrière Curry – Thompson tandis que les Suns possédaient un duo extérieur-intérieur redoutable avec Nash et Stoudemire, plusieurs parallèles peuvent être effectués entre les role players. La polyvalence de Draymond Green rappelle celle de Shawn Marion, la grande gueule en plus, et le rôle d’Andrew Bogut, poseur d’écran, point d’ancrage poste haut et ministre de la défense, est similaire à celui de Kurt Thomas en 2007. Quant à Leandro Barbosa, il assure le trait d’union entre deux des équipes les plus spectaculaires depuis le début des années 2000. Sur jeu placé, les Warriors cherchent avant tout à mettre en position leurs deux arrières pour un bon tir (c’est à dire tout shoot pris en dessous de 15 mètres de distance) tandis que les Suns ne se gênaient pas pour abuser du pick and roll, avec succès. Cependant, leurs jeux rapides génèrent tous deux de nombreux tirs ouverts à trois points, la défense étant totalement prise de court en manquant de temps pour s’organiser au niveau du marquage.

Les plus grands ont pris un peu de Mike D’Antoni

D’un point de vue médiatique, ce renouveau du jeu offensif a permis au public américain de se passionner de nouveau pour la balle orange. La popularisation de l’attaque rapide et spectaculaire couplée à l’internationalisation de la ligue a permis à la NBA de se trouver de nouveaux fans, aux Etats-Unis comme partout dans le monde. Ainsi, la saison régulière 2014-2015 a établi un nouveau record de spectateurs dans les salles NBA avec un cumul de 21,9 millions de spectateurs. De plus, la dernière finale entre les Warriors et les Cavs, a réalisé la meilleure audience de l’histoire, avec 11.6% de parts d’audience.

Le tempo échevelé prôné par le technicien italien durant ces années de domination au sein de la Conférence Ouest a donc séduit et inspiré la majorité des coachs actuels en NBA. S’il n’a pas rencontré de succès en Playoffs, D’Antoni était persuadé que son système pouvait mener au titre, et la plupart des observateurs partageaient ce sentiment. Peu à peu, de plus en plus d’équipes ont adopté et essayé d’imiter la stratégie de leur confrère, à l’image des Warriors totalement barges de 2007, des Nuggets époque Melo & Iverson ou même des Spurs, Gregg Popovich lui-même avouant avoir pioché dans les idées de son confrère italien, à qui il a si souvent rendu des batailles acharnées. Le coach à la moustache toujours soignée est arrivé à une époque où le jeu offensif se déroulait principalement sur demi-terrain, et où toutes les équipes privilégiaient l’aspect défensif du jeu. Courageux, il a su imposer ses idées et a su recruter les joueurs qui convenaient à son système, pour surprendre l’ensemble de la Ligue durant ses années de coaching et laisser un héritage ignoré par les fans de la NBA d’aujourd’hui. Si les Warriors dominent la Ligue, c’est grâce aux Suns qui ont décomplexé la NBA en termes de rythme offensif. Si les moyennes de points ont explosé, c’est grâce à la volonté d’un coach de prôner l’attaque avant tout, persuadé qu’il s’agissait de la meilleure manière de gagner. Si le jeu est aussi spectaculaire, c’est grâce à la démonstration par les Suns que les décalages se créent par un mouvement de balle rapide et précoce, sur contre-attaque comme sur demi-terrain. La NBA d’aujourd’hui ne serait pas la même si Phoenix n’avait pas assemblé cette fabuleuse équipe de basket, entre 2004 et 2009.

Malgré le fait de na jamais avoir gagné le titre, la génération dorée des Suns de Phoenix aura fait rêver supporters, adversaires et coachs. Les doutes liés à la capacité d’une équipe de jouer le Titre tout en possédant un jeu rapide et débridé se sont envolés au rythme des inspirations de Nash, des coupes sans ballons de Marion et des dunks de Stoudemire. Plus que jamais, les équipes de NBA proposent désormais de manière courante ce que les Suns ont proposé de manière unique durant cinq ans. Plus que jamais, nous leur disons merci.

Source stats : ESPN / basketball-reference.com

Source image : Jonathan Daniel/Getty Images 


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